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Umayr Beeharry et Raul Koolwant: de lauréats à pilotes d’Air Mauritius au chômage

23 septembre 2021, 20:00

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Umayr Beeharry et Raul Koolwant: de lauréats à pilotes d’Air Mauritius au chômage

La jubilation des lauréats, parents, enseignants, entre autres, vendredi dernier, jour des résultats du Higher School Certificate (HSC) 2020-2021, a ravivé de merveilleux souvenirs chez deux anciens boursiers, Umayr Beeharry et Rahul Koolwant, devenus, depuis, pilotes de ligne au service de leur pays. Ils sont, hélas, aussi tombés brutalement de leur petit nuage. Les deux figurent parmi les 18 pilotes mauriciens au chômage pour une période pouvant aller jusqu’à cinq ans. Leur parcours, leur rêve, leur cauchemar… ils racontent tout.

Bio express

Umayr Beeharry: «J’espère que MK me donnera les ailes dont j’ai besoin pour que je puisse redécoller avec elle»

Lui, c’est Sheik Umayr Beeharry. Issu d’une famille très modeste de Port-Louis, il a été lauréat en 2009, après des années de dur labeur et de sacrifices au collège. Classé premier dans la filière technique, il s’est envolé pour l’Angleterre. Quatre ans plus tard, un Master de la University College London en poche, il rentre au pays et postule à Air Mauritius (MK) pour le Ab-Initio Cadet Pilot Programme, exclusivement conçu pour les jeunes aspirants pilotes mauriciens.

En 2015, après avoir réussi la difficile sélection, il met le cap sur l’Afrique du Sud pour ses études de pilote, qu’il complète en moins d’une année, tout en ayant une performance académique remarquable.

En 2016, il intègre finalement MK en tant que pilote de ligne. Le plus beau métier du monde à ses yeux. Un rêve d’enfant qui se réalise. Depuis, chaque jour, il s’efforce de conserver un style de vie sain et très discipliné afin de pouvoir donner le meilleur de lui-même à chaque fois qu’il est dans le cockpit. Malgré le fait d’avoir réalisé son rêve le plus cher, Umayr Beeharry est toujours resté très humble et vit modestement. Il se dit avant tout reconnaissant envers Dieu de lui avoir octroyé toutes ces opportunités.

Bio express

Rahul Koolwant: «Le facteur humain n’a eu aucune importance aux yeux des administrateurs»

Rahul Koolwant, 26 ans, est pilote de ligne sur l’Airbus A319 chez MK. Ancien collégien du Saint-Esprit, il a été lauréat de la cuvée 2012 dans la filière technique. En 2013, durant sa première année d’études à la Buckinghamshire New University en Angleterre où il cherchait à obtenir un BSc Air Transport Management with Commercial Pilot Training, il apprend lui aussi que MK a relancé l’Ab-Initio Cadet Pilot Programme. Devenir pilote de ligne pour la compagnie nationale ayant toujours été son rêve d’enfant, il a tout de suite saisi l’opportunité. Après avoir réussi des sélections rigoureuses, il quitte tout en Angleterre pour se consacrer à la formation organisée par MK en Afrique du Sud. Il rejoint MK en janvier 2017 en tant que co-pilote sur l’ATR. Suite à de bonnes performances lors de tests biannuels en simulateur, Rahul Koolwant est promu sur l’Airbus A319 en août 2019.

Qu’est-ce qui vous a poussé à faire entendre votre voix à la radio au lendemain de la proclamation des résultats de HSC ?

U. B. : J’ai connu la joie d’être sacré lauréat, mais aujourd’hui je connais la douleur et le chagrin que l’on ressent quand on devient un sans-emploi du jour au lendemain, surtout quand on exerce son métier avec rigueur et passion. Ayant vécu ces deux expériences extrêmes, je voulais à tout prix faire comprendre aux lauréats qu’il est important de garder les pieds sur terre et de se préparer aux défis futurs, surtout qu’il leur a été demandé de se mettre au service du pays. C’était aussi l’occasion de passer un message à nos leaders : pour que nos jeunes talents rentrent au pays pour servir la patrie, il est primordial de leur accorder une certaine protection – surtout en matière de sécurité d’emploi dans leur pays. Sans des actions concrètes en ce sens, nos jeunes ne reviendront pas de peur de se sentir vulnérables dans leur propre pays.

R. K. : Je comprends ce que ressentent ces jeunes, qui viennent d’être proclamés lauréats. Je me souviens toujours de ce jour spécial en février 2013 où j’ai été moi-même sacré lauréat. C’était un sentiment de joie et de fierté après des années de dur labeur. Mais aujourd’hui, malgré un parcours sans faute dans mon travail au service de mon pays, je me retrouve sans emploi du jour au lendemain. C’est triste de se retrouver dans une telle situation, surtout quand chaque année, nos leaders demandent à l’élite nationale de rentrer servir le pays après leurs études. Si nos dirigeants souhaitent que les meilleurs éléments académiques retournent servir le pays, il faudrait mettre en place des mesures concrètes pour les inciter à rentrer, à commencer par une sécurité d’emploi.

Umayr Beeharry (à dr.) en compagnie du commandant Tulloo, opérant un vol humanitaire de Hong Kong, en pleine pandémie. Ils acheminaient en urgence du matériel médical vers Maurice, le 22 avril 2020.

En tant que lauréat, qui est revenu servir son pays, qu’est-ce que cela vous fait de vous retrouver sans travail et, par conséquent, sans salaire ?

U. B. : Je reconnais que le pays passe par des moments économiques difficiles et que les emplois dans divers secteurs sont menacés. Toutefois, la situation dans laquelle je me trouve est déchirante car je me suis donné corps et âme pour aider mon pays en tant que Frontliner pendant la crise sanitaire. Appelé à opérer des vols humanitaires et des vols de rapatriement à préavis court, et ce, à plusieurs reprises, j’ai mis ma santé et celle de mes proches en péril, à un moment où il n’y avait pas encore de vaccin. Mais j’ai accompli mon devoir en tant que patriote avec beaucoup de fierté pour aider le pays à faire face à une crise sanitaire sans précédent. Mes amis lauréats qui ont choisi de travailler à l’étranger, au lieu de rentrer à Maurice, se donnent raison aujourd’hui, car ils sont dans une situation bien meilleure que moi, qui me suis mis au service de mon pays. Je suis donc déçu, aujourd’hui, de me retrouver sans salaire pour les années à venir, mais aussi profondément attristé par le manque de reconnaissance à l’égard de notre courage et notre sens de devoir patriotique.

R. K : C’est une situation très difficile à digérer, d’autant plus que la plupart des autres lauréats de ma cuvée, qui ont fait le choix de rester à l’étranger, ont préservé leur emploi malgré la crise sanitaire mondiale. Je reconnais que Maurice passe par une phase économique difficile, et que nous devons tous faire des sacrifices pour le bien national, mais de là à se retrouver sans salaire pendant une période pouvant aller jusqu’à cinq ans, est une pilule dure à avaler.

Les administrateurs s’appuient sur le fait que MK a vendu les avions sur lesquels vous travailliez pour justifier la mise en congé sans solde de 18 pilotes, dont vous. En quoi est-ce difficile à digérer ?

U. B. : MK a massivement investi en nous pour notre recrutement et notre formation, et nous placer en congé sans solde à long terme rend cet investissement vain. De plus, la formation additionnelle requise afin de nous permettre de passer à d’autres avions de la flotte actuelle est très simple. Quelques heures de simulateur suffisent, et les coûts restent donc relativement bas. Ceci est comparable aux sessions dédiées aux pilotes, qui sont en phase de réactivation après une longue période de congé. Nous cibler comme étant redundant a été une solution très simple pour réduire le nombre de pilotes, sans essayer de trouver une alternative pour sauver nos emplois. Il y avait l’option de trouver ensemble un plan de financement pour notre conversion – je pense, par exemple, à une aide de la Mauritius Investment Corporation (MIC), organisme dont un des objectifs est de soutenir les entreprises affectées par le Covid-19. Il était aussi tout à fait possible de considérer les options de voler à mi-temps une fois notre conversion terminée, ceci nous aurait garanti au moins une certaine rémunération. Je fais ressortir que d’octobre 2020 à août 2021, je recevais moins d’un quart de mon salaire, et il était donc déjà difficile de joindre les deux bouts. Maintenant, c’est carrément impossible.

R. K : Premièrement, le choix de flotte n’est pas individuel mais un choix d’après les besoins de la compagnie au moment de la progression. Donc, ce n’est pas de la responsabilité d’un employé si la direction décide de vendre un certain type d’avion. D’autant plus que le coût associé à la reconversion d’un type d’Airbus à un autre est minime. Il suffit de quelques sessions sur simulateur et le tour est joué ! Il y a plusieurs formules, hormis un congé sans solde indéfini, qui auraient pu être considérées, comme un emploi à temps partiel en attendant la reprise de l’aviation. Mais il semble que le facteur humain n’a eu aucune importance aux yeux des administrateurs.

Les administrateurs auraient donc dû privilégier les fils du sol au lieu d’octroyer un contrat en bonne et due forme aux expatriés, qui étaient sous contrat de courte durée ?

U. B. : Les expatriés ont beaucoup contribué au développement de MK et j’ai beaucoup de respect pour eux. D’ailleurs, je leur suis redevable en grande partie pour ma formation en tant que pilote. Toutefois, il va sans dire que tout pays a le devoir de s’assurer que les intérêts de ses citoyens prévalent dans des moments de crise. Je suis rentré à Maurice dans le but de bâtir une carrière solide dans l’aviation, qui, je l’espérais, allait durer jusqu’à la retraite. Même s’il y a la possibilité de poursuivre ma carrière de pilote dans des conditions plus intéressantes en Asie ou au Moyen-Orient, aujourd’hui, la priorité pour moi, en tant que jeune aviateur mauricien, est de contribuer au redécollage de MK. Et je garde espoir que la compagnie aérienne nationale me donnera les ailes dont j’ai besoin pour que je puisse redécoller avec elle !

R. K : Il est important de souligner que ce n’est pas une bataille entre les fils du sol et les expatriés. Mes collègues expatriés sont des professionnels qui ont contribué au bon développement de MK depuis plusieurs années. J’ai été formé par plusieurs d’entre eux et je suis reconnaissant de l’expertise qu’ils peuvent amener à notre compagnie nationale. Cependant, en temps de crise, il va de soi que les autorités doivent préserver l’intérêt des fils du sol en priorité. J’ai rejoint MK dans le but de servir mon pays et je compte y rester durant toute ma carrière si on m’en donne l’opportunité.

Un pilote mauricien sans emploi, cela se résume à quoi ?

U. B. : Comme pour tout autre employé, qui se retrouve soudainement sans salaire, c’était d’abord un choc brutal, et ensuite un calvaire. Depuis quelques mois, je suis l’heureux papa d’un petit garçon, mais ce bonheur est maintenant submergé par l’incertitude de pouvoir subvenir aux besoins de ma petite famille. Mes parents sont âgés, et leur santé est fragile. Comme je suis enfant unique, ces derniers dépendent de moi pour les soutenir. De plus, certains d’entre nous remboursons toujours nos prêts d’études; nous subissons d’énormes pressions de ces engagements financiers. Je n’aurais jamais cru qu’une situation comme cela allait nous arriver à Maurice.

R. K. :C’est une situation très difficile à vivre quand on vous annonce, du jour au lendemain, que, possiblement pour les cinq prochaines années, vous n’aurez plus de salaire. Contrairement à d’autres métiers, nous n’avons pas l’option de tenter notre chance ailleurs car il n’y a qu’une seule compagnie d’aviation à Maurice. Il va sans dire que l’incapacité d’honorer nos engagements financiers fait que nous vivons constamment sous pression.

À l’étranger pendant la pandémie, on a vu des pilotes forcés de se reconvertir en conducteur de trains ou en entrepreneur, par exemple. Qu’en est-il ici ? Est-ce facile pour un pilote mauricien de trouver du travail ?

U. B. : MK est l’unique compagnie aérienne du pays, et il est donc impossible de trouver un autre emploi en tant que pilote à Maurice. Ayant l’aviation à cœur, je ne me vois pas mettre de côté mes longues années d’études et d’expérience pour me reconvertir. Un changement de carrière n’est pas du tout envisageable mais je n’aurai probablement pas d’autre choix si je veux rester pour servir mon pays. Cependant, je reste convaincu qu’avec la bonne volonté de tout un chacun, on peut, ensemble, trouver des solutions à la fois immédiates et durables afin que mes 17 autres collègues et moi retrouvions notre place au sein de l’aviation nationale mauricienne.

R. K. :Comme susmentionné, MK est la seule compagnie d’aviation à Maurice et si je compte foncer dans mon domaine de prédilection, il faudra obligatoirement chercher du travail dans un autre pays. Malheureusement, en ces temps difficiles, les autres compagnies favorisent davantage le recrutement des locaux et il sera quasi impossible pour un jeune pilote mauricien, peu expérimenté, de trouver du travail ailleurs. J’aime mon île et je veux faire ma vie ici. C’est pourquoi en novembre de l’année dernière, j’ai lancé une entreprise de Waterless Carwash avec un partenaire. C’est une alternative écologique au lavage traditionnel où on économise en moyenne 200 litres d’eau par voiture lavée. Il y a d’autres projets sur lesquels je travaille mais il n’y a qu’une chose dont j’ai hâte : me retrouver parmi les nuages !

Qu’espérez-vous avec cet appel de détresse ?

U. B. : Il est important de souligner qu’on a été recruté dans le but de ‘mauricianiser’ le personnel navigant technique. Les pilotes mauriciens sont les ambassadeurs internationaux des valeurs de MK et de Maurice. Par exemple, depuis sa création, MK a talonné la République de Maurice dans sa démarche de devenir un exemple mondial en matière de sécurité aérienne - qui est le pilier même de notre métier. On ressent naturellement une immense fierté de porter le drapeau mauricien sur notre veste de pilote, car en tant que Mauricien, cela nous donne le privilège d’être l’écran planétaire de cette excellente réputation. J’espère du fond du cœur que notre voix sera entendue et que nous aurons de nouveau l’opportunité de promouvoir les valeurs de Maurice à travers le monde grâce à notre beau métier.

R. K. :Cet appel de détresse ne s’applique pas uniquement à moi mais à mes 17 autres collègues, qui se retrouvent aujourd’hui dans la même situation. Ce sont des professionnels, qui n’ont jamais manqué de faire honneur au drapeau national et j’estime que l’on mérite tous un peu plus de considération de la part de nos dirigeants. J’espère honnêtement que ce message sera entendu et que nous pourrions trouver une solution beaucoup plus adaptée et humaine pour notre communauté.

Qu’attendez-vous de la «Watershed meeting» du 28 septembre ?

U. B. : On garde espoir que notre sort sera revu. C’est dur d’accepter qu’on nous qualifie de surnuméraires dans une compagnie, qui nous a employés pour la ‘mauricianiser’ alors qu’elle continue à employer des étrangers. On est aussi dévasté d’être taxé de redondant car on a répondu à l’appel du pays plusieurs fois, notamment en tant que Frontliner en pleine pandémie. De plus, c’est la communauté des pilotes, qui a été la plus touchée pendant toute l’administration et qui a fait le plus de sacrifices à ce jour. Tristement, c’est cette même communauté qui est souvent critiquée car il y a beaucoup d’inexactitudes et d’informations erronées qui sont circulées à son égard. J’espère que les intérêts des employés, de la compagnie et du pays, en général, seront pris en compte, dans les meilleurs délais et, avant tout, dans un élan patriotique.

R. K. :Cette Watershed Meeting a été longuement attendue par tous les employés de MK. On garde tous espoir que le gouvernement, qui est l’actionnaire majoritaire de la compagnie, injectera les fonds nécessaires pour faire redémarrer MK. Maurice étant un pays qui repose principalement sur l’industrie du tourisme, il est évident que la compagnie d’aviation nationale a un grand rôle à jouer dans la relance économique. J’espère vraiment que l’intérêt de toutes les parties prenantes sera pris en considération par rapport au plan qui sera présenté par les administrateurs à cette rencontre.

Votre message aux lauréats qui viennent de briller aux examens de HSC.

U. B. : Je les félicite pour le travail accompli, d’autant plus qu’ils ont été contraints de finir leur cycle secondaire dans des conditions inattendues en raison de la pandémie. Je rejoins le gouvernement dans son discours et je leur demande également de rentrer au pays après leurs études universitaires, car l’appel de la patrie ne peut rester vain. Ceci étant dit, il est primordial que le gouvernement leur donne l’assurance que leur bien-être, en tant que fils du sol, sera sauvegardé. Donc, notre gouvernement doit veiller à ce que nos concitoyens soient traités équitablement dans leur pays quand ils reviennent. J’espère que mon exemple de courage et de résilience pourra, d’une part, encourager les jeunes à rentrer et, d’autre part, enclencher des changements positifs à cet effet, en commençant par aborder la situation des 18 pilotes en congé sans solde pendant cinq ans. Ensemble, on y arrivera. Vive les lauréats, vive MK, vive Maurice !

R. K. : Un grand bravo à tous ceux qui ont brillamment réussi aux examens de HSC et aussi à tous ceux qui y ont participé. Les conditions n’étaient pas des plus simples avec la pandémie, qui affecte le monde entier, mais ils peuvent être fiers de leur réussite ! Maurice a besoin de ses talents académiques et je les encouragerais à revenir servir le pays. Je profite aussi de l’occasion pour faire appel au gouvernement pour qu’il reconnaisse, à sa juste valeur, le talent de l’élite nationale, qu’il veille à ce que ces jeunes soient encouragés à rentrer et bénéficient des meilleures conditions pour servir le pays !