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Maurice classé pays à très fort risque de covid-19: retombées négatives pour l’économie et la santé publique

15 septembre 2021, 22:00

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Maurice classé pays à très fort risque de covid-19: retombées négatives pour l’économie et la santé publique

Encore une mauvaise nouvelle pour Maurice. Alors que le pays fait tout pour sortir de la liste grise du Groupe d’action financière (GAFI), voilà qu’il passe au niveau de risque le plus élevé pour le Covid-19 comme destination touristique. Déjà, les répercussions économiques et en santé publique se font sentir.

«Avec le nouveau rapport du CDC, c’est comme un second classement du GAFI qui s’abat sur nous», réagit Bhavish Jugurnath, économiste et expert-comptable, après la nouvelle liste de Centres for Disease Control and Prevention (CDC) publiée le 13 septembre 2021. Basée aux États-Unis, l’instance répertorie les destinations touristiques selon leur niveau de risque face au Covid-19. Verdict: Maurice a été classé dans la quatrième et dernière catégorie des pays à «très haut risque» de Covid-19. Tout comme l’Afghanistan, Belize, Grenade, la Lituanie, Saint Kitts et Nevis, la Serbie et la Slovénie. Auparavant, notre île affichait un risque élevé, soit de niveau 3. Le deuxième niveau traduit un risque modéré tandis que le premier, un risque faible.

Or, avec sa forte prévalence du Covid-19, calculée à raison de 500 cas positifs pour 100 000 habitants durant les 28 derniers jours pour la catégorisation au niveau 4, Maurice détrône le Brésil, qui passe au niveau 3 ainsi que l’Inde et le Pakistan qui sont de risque modéré, soit de niveau 2. Maurice dépasse même les îles voisines comme Madagascar et les Comores classées dans la première catégorie. Que signifie un classement de niveau 4 ? En fait, il conseille aux voyageurs d’éviter ces destinations touristiques figurant dans cette catégorie. Et s’il y a obligation de se rendre dans un de ces pays, l’on préconise un cycle vaccinal complet.

Croissance à 4,5 %

Une situation qui met du plomb dans l’aile de notre tourisme face à la réouverture complète des frontières le 1er octobre. Ce secteur n’est pas le seul à en pâtir. La catégorisation du CDC entraîne de lourdes conséquences économiques pour Maurice. «Définitivement, la visibilité de Maurice en prend un coup dans les filières professionnelles. On pensait que l’économie allait mieux se porter avec la réouverture du territoire. Il y aura un effet direct sur les visiteurs qui hésiteront à venir à Maurice», confie Bhavish Jugurnath. Si les prévisions de croissance économique avoisinaient les 6 % jusqu’à décembre 2021, le classement du CDC risque fort de ramener ce taux à 4,5 %, prévoit-il.

D’après lui, les effets néfastes se répercutent à tous les niveaux. Par exemple, en finances et technologies, plusieurs compagnies entamant le retour au travail en présentiel ont dû faire marche arrière et réinstaurer le télétravail face à la virulence du Covid-19, souligne souligne-t-il. Idem pour l’investissement étranger, qui en sera largement affecté. «Le rapport du CDC sera lu à travers le monde. Les mois d’octobre à décembre sont des points névralgiques pour les revenus touristiques et commerciaux. L’absence de visiteurs et investisseurs jouera à notre détriment. L’exportation est également en berne avec les prix du fret qui ne cessent de flamber. On ne peut qu’espérer que d’autres secteurs rattrapent le coup.»

Or, là encore, Maurice navigue en eaux troubles, constate, pour sa part, l’économiste Azad Jeetun. «Déjà, on avait grand espoir pour l’industrie touristique mais la forte prévalence du Covid-19 ici décourage les étrangers à fouler notre territoire, y compris ceux voulant investir. Tout le monde suit de près cette classification du CDC. D’ailleurs, il y a des ambassades partout. Il ne faut pas croire que ce rapport restera confiné», déclare-t-il. Selon lui, le secteur manu- facturier est également en souffrance. Comme les capacités existantes sont pleinement saturées, ce domaine peine à trouver de nouveaux investisseurs.

Pour le Dr Vasantrao Gujadhur, ancien directeur des services de santé du ministère de la Santé et du Bienêtre, les répercussions du classement du CDC sur la santé publique sont énormes. «Cela démontre comment Maurice gère son système. Les cas positifs au Covid-19 sont en hausse tandis que le nombre de tests pour déceler la maladie diminue. Dans une telle situation virologique, on aurait dû augmenter les détections», confie-t-il. Ainsi, plus on diagnostique les cas, plus on prônera l’isolement des patients positifs, ce qui contrecarrera la circulation du virus au sein de la communauté. Il soutient que le nombre de décès communiqué doit davantage refléter la réalité.

Recrutement d’étudiants

Le Dr Dawood Oaris, président de l’Association des cliniques privées, demeure, quant à lui, plus optimiste face au taux de vaccination. «En dépit de la hausse des cas positifs, les patients sont majoritairement asymptomatiques et peuvent être traités à domicile. Main- tenant pour le tourisme, tout dépendra de la réaction des voyageurs européens et d’autres pays», déclare-t-il.

De son côté, l’ancien directeur des services de santé insiste sur le fait que les citoyens mauriciens, gens d’affaires, étudiants et travailleurs étrangers, entre autres voyageurs, seront tous affectés par la classification du CDC.

D’ailleurs, au niveau du recrutement international des étudiants, la pandémie a eu des retombées négatives, concède le professeur Mari Jansen Van Rensburg, Campus Director de la Middlesex University Mauritius. «À ce stade, nous ne pouvons confirmer si le changement sur la liste du CDC va décourager les jeunes étrangers ayant l’intention d’étudier ici. Nous n’avons reçu aucun retrait de dossier de ceux devant débuter leur programme à la fin de septembre», explique-t-elle.

Alors que plusieurs institutions sont largement impactées par le virus, la Middlesex University Mauritius résiste avec une cohorte internationale représentant 36 nationalités et 45 % de notre population estudiantine. «Nous espérons que le classement de Maurice sur la liste du CDC va changer à mesure que plus de personnes se feront vacciner», déclare-t-elle.

En matière de santé publique, Bhavish Jugurnath et Azad Jeetun avancent que le rapport du CDC incite à accentuer et intensifier les protocoles sanitaires. Car avec les cas positifs et les décès qui se succèdent, les enjeux médicaux sont cruciaux pour la population locale.

La santé brandit le taux de vaccination comme défense

En guise de réponse déguisée au CDC, le ministère de la Santé a émis un communiqué, hier soir, via notamment le Government Information Service, au sujet de la réouverture des frontières le 1er octobre. «Mauritius reopens its borders on the 1st of October 2021, with one of the highest full vaccination rate in Africa», clame le document, visiblement destiné à l’international, puisqu’il parle de «the Indian Ocean Country of Mauritius». Sans citer une seule fois le classement niveau 4 de Maurice, il est écrit que le pays continue avec sa réponse «proactive et transparente à la crise du Covid-19». «The nation’s modern health service has coped well throughout the pandemic, implementing strong protocols», precise encore le ministère, qui insiste sur un taux d’hospitalisation faible («3% des patients sur les derniers 28 jours (…) la plupart en raison de comorbidités plutôt que de symptômes du Covid-19»). Le communiqué évoque 45 décès depuis mars 2020, imputés directement au Covid-19 sur 1,3 million d’habitants. Outre Kailesh Jagutapl, il cite également le Dr Laurent Musango, représentant de l’OMS à Maurice, qui termine par «Mauritius is doing well»

Sentiment mitigé des opérateurs touristiques

À deux semaines de la réouverture complète des frontières, les opérateurs touristiques se préparent à accueillir les premiers touristes. Mais Maurice est désormais classé comme «Very High Risk» pour les voyageurs. Quel impact cette classification aura-t-elle sur les arrivées touristiques à l’ouverture ?

Ajay Jhurry, président de l’Association of Tourist Operators, estime que les réservations ne seront pas affectées pour octobre mais pourrait l’être au fil des mois. «Beaucoup de compagnies aériennes ont revu leur politique de réservation. Il y a un type de billet d’avion qui permet de reporter le voyage sans frais additionnels. Si les touristes ont acheté leur billet, ils vont hésiter avant de voyager. Le déplacement aujourd’hui comporte des risques.»

Selon lui, aussi longtemps que Maurice figure sur une liste des pays à risque, les touristes vont évaluer la situation avant d’entreprendre un voyage. «Les touristes réfléchiront à deux fois avant de venir à Maurice. Nous devons limiter les dégâts pour ouvrir d’une façon intelligente. Si demain il faut reporter l’ouverture autant le faire. Si dimé pé invit lamor bizin fer enn swa.»

Ajay Jhurry s’interroge aussi sur la septaine. «Ne s’est-on pas précipité pour sortir de la quatorzaine ? Ne fallait-il pas que ce soit de manière dégressive?» Face à la réouverture des frontières, qui sera une réalité, il estime qu’il faut une campagne de conscientisation au niveau national.

Avions remplis

Du côté des hôteliers, la situation n’est pas alarmante, affirme-t-on dans le milieu. Il s’avère que le pourcentage de réservations pour le mois d’octobre et novembre est de 35 % en moyenne et ils s’attendent à ce que ce chiffre grimpe. Ce qui laisse comprendre que le marché avance dans la bonne direction. «Car au niveau sanitaire, tout a été fait comme il le fallait, même mieux par rapport aux autres destinations. Les résultats parlent d’eux-mêmes.»

Le fait d’être «relatively covid free» est avantageux notent les hôteliers, si l’on compare les chiffres compilés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur Maurice et les autres îles de l’océan Indien. Le pourcentage de Mauriciens contaminés est de 1,01 % contrairement aux Maldives et aux Seychelles, qui comptent 15,88 % et 20,93 % de leur population, respectivement. Même si ce n’est pas comparable en termes de population, l’on affirme que Maurice ouvre uniquement aux vaccinés, contrairement aux Seychelles et aux Maldives. «On s’alarme pour 1 % alors que c’est minime», font ressortir les hôteliers. Ils affirment que la réouverture se fait dans des conditions optimales de sécurité. «Le taux de vaccination est bon. Le protocole est bien rodé. On est toujours en train de rebâtir la confiance pour convaincre les voyageurs de revenir. Les avions sont remplis. Les premiers signes sont positifs. Maintenant, la communication institutionnelle doit soutenir les efforts marketing qui sont en train d’être faits par la MTPA.»

Umarfarooq Omarjee, directeur exécutif d’Omarjee Aviation, affiche son optimisme. Selon lui, la plupart des premiers vols d’octobre sont remplis. «Les touristes vont en profiter car il n’y a pas de restrictions», affirme notre interlocuteur. Il fait aussi ressortir que le taux de capacité dans les hôtels est de 35-40 % et que pour les deux dernières semaines de décembre, il sera aux alentours de 75 %. «Nous sommes loin des chiffres de 2019 certes, mais nos marchés principaux ne seront pas affectés. C’est vrai qu’on fait face à une flambée de cas. Mais on a aussi la vaccination et le protocole qu’on a mis en place.»

Du côté des plaisanciers, Karl Lamarque de Karlos Excursions affiche, lui, la prudence. Raison pour laquelle il ne compte pas lancer ses activités de loisirs pour la réouverture. «Je ne me suis pas préparé pour octobre. La situation est trop critique. Le risque de contamination est trop élevé. Même le vaccin n’est pas une immunité. Je ne vais pas m’exposer.»

Quant à Joomeet Aubeeluck, président de la Fédération des marchands de plage, il estime que les touristes «de qualité» comparés à ceux «de la masse», feront marche arrière avant de venir à Maurice.