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Dossier - Award de Rs 5,7 milliards: la STC a jusqu’à mardi pour payer Betamax

16 juin 2021, 22:10

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Dossier - Award de Rs 5,7 milliards: la STC a jusqu’à mardi pour payer Betamax

La société Betamax n’a pas tardé à passer à l’acte. Dès lundi, jour du jugement du Privy Council, Veekram Bhunjun, directeur de la compagnie, avait eu une séance de travail avec ses hommes de loi pour discuter de la marche à suivre. Ce qui n’a pas tardé, puisque hier, la procédure d’exécution de l’award du tribunal d’arbitrage international de Singapour a été enclenchée.

Betamax a fait servir une réclamation hier à la State Trading Corporation (STC). Elle somme l’organisme paraétatique de lui verser Rs 5,7 milliards dans un délai de sept jours, soit le 22 juin au plus tard. Au cas contraire, Betamax va intenter des actions juridiques pour le recouvrement du montant dû. Sinon, un avis de saisie sera émis sur les biens de la STC. Le tribunal d’arbitrage international de Singapour, présidé par l’unique arbitre Dr Michael Pryles, avait, dans sa décision en date du 5 juin 2017, donné gain de cause à Betamax et lui avait accordé des dommages de $ 115 267 199. Betamax indique, dans sa notice servie à la STC, avoir encouru des dépenses pour les affaires juridiques et pour les travaux de l’arbitrage. Les sommes dépensées sont : USD 2 823 547,20 (dollars américains), SGD 272 077,79 (dollars singapouriens) et GBP 880 296 (livres sterling).

Betamax réclame aussi des intérêts de l’ordre de 3 % par an à partir de la date du verdict d’arbitrage international, soit le 5 juin 2017, jusqu’à la date du paiement final. Dans son document légal, la société soutient que la STC est, à ce titre, maintenant endettée envers elle d’USD 14 287 362,61, de SGD 32 917,69 et de GBP 106 503,76. La réclamation officielle totale s’élève donc à Rs 5,7 milliards.

Betamax a retenu les services de Me Rishi Pursem, Senior Counsel, et de Me Rajesh Bucktowinsing, Senior Attorney.

Un pavé qui éclabousse gouvernement et opposition

Tous – ou presque – mouillés par le noir pétrole de Betamax qui n’aura finalement pas été livré au pays. La confirmation que l’État aura bien à dédommager l’ancien importateur montre que la décision de résilier son contrat était mauvaise. Et ceux qui sont aujourd’hui dans l’opposition ou hors-circuit étaient au cabinet à l’époque ou, plus avant, ont permis son octroi.

L’affaire Betamax version 2021 éclabousse tant le gouvernement (GM) dirigé par le Mouvement socialiste militant (MSM) qu’une bonne partie de l’opposition. Depuis que les Law Lords ont rendu public leur jugement, lundi, Pravind Jugnauth n’a fait aucun commentaire. Quand la décision de résilier le contrat de cette société a été prise par le Conseil de ministres en janvier 2015, sir Anerood Jugnauth (SAJ) était certes le Premier ministre, mais son fils était le leader de l’alliance comprenant le MSM, le Parti mauricien social-démocrate (PMSD) et le Muvman Liberater.

Cette révocation a été prise par le cabinet après la remise au GM du rapport d’un comité ministériel comprenant Roshi Bhadain, Ravi Yerrigadoo, Vishnu Lutchmeenaraidoo et Ashit Gungah. «C’est dans l’intérêt du pays et du peuple.» C’est en ces termes qu’Ashit Gungah, l’ancien ministre du Commerce, avait justifié cette décision. Il n’a pas répondu à nos appels pour revenir sur cette affaire, tout comme Vishnu Lutchmeenaraidoo, qui était aux Finances. Ravi Yerrigadoo, l’ancien Attorney General, n’était, lui, pas à son bureau hier.

Pour sa part, Roshi Bhadain a quitté le MSM en 2017 pour fonder le Reform Party. Quand le contrat avait été résilié, Bhadain, alors ministre des Services financiers et de la Bonne gouvernance, avait déclaré que les procédures n’avaient pas été suivies pour l’octroi du contrat. «Après un travail approfondi et après avoir obtenu un avis légal, nous avons découvert qu’il y avait maldonne», avait-il soutenu.

Lors d’une déclaration à la presse lundi après-midi, quelques heures après la publication du verdict du Privy Council, il s’est dédouané. «C’est un comité ministériel spécial, présidé par Lutchmeenaraidoo, qui a pris cette décision et j’ai fait partie de ce comité… Pour le pays, ce n’est pas bon», a-t-il déclaré, arguant qu’il s’était entretenu avec SAJ, en présence de Yerrigadoo et de Gungah, pour lui faire part qu’il n’était pas d’accord avec un arbitrage, mais qu’il était en faveur de défendre l’intérêt public. «On ne m’a pas écouté», se défend-il.

Le leader du PMSD et de l’opposition, Xavier-Luc Duval, était également au Conseil des ministres quand la décision de résiliation avait été prise. Il affirme aussi qu’il était contre. «Quand un ‘high ranking legal advisor’ du GM m’a dit que c’était très dangereux de rompre le contrat, j’étais davantage convaincu qu’il ne fallait pas le résilier. Mais on ne m’a pas écouté.»

Pour quelle raison n’a-t-il pas démissionné comme ministre alors ? «On ne peut pas démissionner deux mois après les élections ou chaque semaine. (...) Prenez cet exemple: le PMSD a démissionné du GM pour sauvegarder l’indépendance du bureau du Directeur des poursuites publiques. C’est une bonne chose, mais une large partie du public nous le reproche toujours.»

Actuellement dans l’opposition, Nando Bodha était également au Cabinet à l’époque. Nous avons essayé de l’avoir, mais en vain. Le Parti travailliste n’est pas épargné non plus (voir texte plus loin). Il demeure dans l’opinion publique que le contrat a été accordé par le GM de Navin Ramgoolam à Betamax, dont le Chief Executive Officer est Veekram Bhunjun. Celui-ci est le beau-frère de Rajesh Jeetah, ancien ministre dans le cabinet de Navin Ramgoolam.

Le MSM ne veut pas se prononcer

Deux ministres et un ancien du MSM que nous avons interrogés hier ont préféré garder le silence sur le jugement dans l’affaire Betamax. D’abord, le ministre Soodesh Callichurn a répondu qu’il est en train d’analyser la situation et commenterait après. Mahen Seeruttun, qui était déjà ministre en 2015, a préféré ne pas faire d’observation, tout en nous demandant de chercher l’avis de ceux qui sont derrière cette décision. Il faisait référence sans doute à Roshi Bhadain. L’ancien ministre orange Etienne Sinatambou avait déclaré, en décembre 2017, quand Betamax avait décidé de faire bloquer l’arrivée d’une cargaison de carburant : «Le groupe Bhunjun se comporte comme une compagnie mercenaire. Il a recours à un procédé anti patriotique.» Interrogé hier, il a dit que depuis qu’il n’est plus ministre, il s’abstient à faire des commentaires publics. À noter que lors des débats budgétaires, lundi, Reza Uteem et surtout Shakeel Mohamed ont fait référence au jugement du Privy Council. Toutefois, on a noté que personne au sein du GM, d’autant plus que l’Attorney General, Maneesh Gobin, prenait la parole juste après l’intervention du député du PTr, n’a fait mention de l’affaire Betamax. Il nous revient qu’embarrassés par ce jugement, les membres du GM et même les anciens ont décidé d’être avares de remarques sur cette affaire.

Chronique d’un scandale

Veekram Bhunjun avait été arrêté en octobre 2015, alors qu’Anil Bachoo (à g.) a aussi été inquiété par la police suivant la rupture du contrat de Betamax.

Le jugement des Laws Lords marque le point final d’un litige qui dure depuis 2015. Mais l’affaire avait débuté avant la résilisation du contrat d’approvisionnement en produits pétroliers, dans son attribution même.

Mai 2007

Une étude du cabinet de consultants Maritime Logistics and Trade Consultancy sur l’acquisition d’un navire-citerne pour le transport de produits pétroliers conclut que si le pays possédait son propre pétrolier, des économies nettes substantielles de 12,6 millions de dollars seraient réalisées entre autres bénéfices. Un comité ministériel composé du ministre des Infrastructures publiques, du ministre des Finances et de celui de l’Industrie est constitué pour examiner la mise en œuvre du rapport.

Septembre 2007

La Mauritius Shipping Co. Ltd (MSCL) propose la création d’une nouvelle société, avec une participation du secteur privé et de partenaires étrangers, en vue de mobiliser des fonds pour l’acquisition d’un pétrolier. Le ministère des Finances de l’époque indique, le 6 septembre 2007, qu’il ne garantirait pas le prêt contracté par la MSCL pour le projet.

26 octobre 2007

Le gouvernement accepte que les entreprises locales du secteur privé soient invitées à investir dans un navire-citerne contre l’offre d’une captive cargo guarantee de 15 ans de la STC.

4 mars 2008

La Land Transport and Shipping Division des Infrastructures publiques sollicite la collaboration de la Chambre de commerce pour contacter ses membres intéressés par le projet. Une invitation officielle est envoyée à ces sept entreprises qui ont manifesté leur intérêt:

(i) ABC Motor Co. Ltd ;
(ii) Currimjee Jeewanjee ;
(iii) Abdullason Co. Ltd ;
(iv) Bhunjun & Sons (Betonix Ltd) ;
(v) Gamma & Sons ;
(vi) Gamma Civic Ltd ; et
(vii) Maersk (Mauritius).

Seule Betonix Ltd a soumis une proposition de projet, en partenariat avec Executive Ship Management (ESM) Private Ltd, qui a un siège social à Singapour et des bureaux d’équipage dans quatre villes indiennes.

19 décembre 2008

Le gouvernement donne son accord à Betonix Ltd, en partenariat avec Executive Ship Management Private Ltd de Singapour, pour l’acquisition, l’exploitation et l’immatriculation locale d’un pétrolier à double coque, sous réserve qu’un contrat commercial soit conclu entre la STC et les promoteurs pendant 15 ans à compter d’août 2010.

30 mars 2009

Betamax Ltd propose un Contract of Affreightment (COA) à la STC et un accord de mise en œuvre pour que le gouvernement garantisse le projet. Des discussions ont lieu entre Betamax Ltd, le ministère des Finances, le ministère du Commerce, le State Law Office (SLO) et la STC sur le projet de contrat d’affrètement (COA) et l’accord de mise en œuvre, tous deux fournis par Betamax Ltd.

28 avril 2009

Fortes réserves du SLO sur le COA et l’accord de mise en œuvre proposés par Betamax Ltd, qui impliquaient la STC dans les aspects de construction et de financement du projet. Suggestion du SLO : la STC pourrait envisager un autre arrangement contractuel qui exclurait tous les obstacles liés au financement du projet. Autres observations du SLO : les procédures prévues par la loi sur les marchés publics n’avaient pas été suivies et l’approbation du Central Procurement Board, qui était alors requise, n’avait pas été obtenue.

6 mai 2009

La société Betamax est créée. Le même jour, malgré l’avis du SLO, le conseil d’administration de la STC approuve un contrat de transport captif de cargaisons de pétrole d’une durée de 15 ans entre la STC et Betamax Ltd à compter de septembre 2010. Le ministère du Commerce obtient l’approbation du gouvernement de cette décision du conseil d’administration de la STC, mais avec une condition supplémentaire : la STC devait reformuler le contrat afin de minimiser les risques pour le gouvernement et la STC, comme l’avait conseillé le ministère des Finances, et les risques d’inclure une garantie du gouvernement en cas de défaillance de la STC.

29 juin 2009

La STC est exemptée de la loi sur les marchés publics en ce qui concerne les «goods purchased for resale, including services incidental to the purchase and distribution of such goods».

3 juillet 2009

Betamax s’est vu proposer un contrat révisé tenant compte des avis et des réserves du SLO.

17 juillet 2009

Le contrat révisé est rejeté par Betamax qui le trouve «inacceptable pour nous et les parties financières car la plupart des clauses telles que la clause de résiliation avaient été complètement supprimées».

22 juillet 2009

Betamax Ltd écrit directement au président du conseil d’administration de la STC pour demander l’«exécution» du contrat. Le lendemain, le secrétaire financier présidera une réunion avec le président de la STC, le ministère du Commerce et le SLO afin de dé- terminer ce qui bloquait le projet et de convenir de la marche à suivre.

30 juillet 2009

Lors d’une réunion présidée par le ministre des Finances à laquelle participent le président et le DG de la STC, il est décidé que le SLO examinerait la possibilité de présenter un nouveau projet de contrat en tenant compte des éléments suivants :

- exclure tous les aspects relatifs au financement du projet, à la construction et à l’exploitation du navire

- l’engagement de la STC qui aura un impact sur la garantie du gouvernement en ce qui concerne l’affrètement de produits pétroliers pour une période de 15 ans ; et

- la violation des obligations par affrètement.

31 juillet 2009

La présidente d’alors de la STC signale à son conseil d’administration que les modifications apportées au COA avaient été discutées et acceptées lors de la réunion du 30 juillet au ministère des Finances. Elle indique que le SLO enverrait un nouveau contrat à Betamax, au ministère des Finances et à la STC.

5 août 2009

Le SLO soulève un certain nombre de questions fondamentales qui exposent encore la STC et le gouvernement à des obligations, des risques et des responsabilités excessives. Le SLO soumet un projet de contrat modifié reflétant tous les changements requis «pour un partage plus équilibré des risques». Le SLO propose un certain nombre de changements «afin de réduire les risques financiers et les responsabilités (par exemple en cas de résiliation) pour la STC et le gouvernement».

12 août 2009

La STC envoie une copie du projet de document de travail à Betamax.

18 août 2009

Betamax Ltd soumet ses commentaires qui sont envoyés au SLO.

21 août 2009

La question est discutée au conseil d’administration de la STC, mais aucune décision n’est prise. La présidente de la STC s’op- pose vivement au fait que le COA, un document volumineux, avait été envoyé aux membres du conseil d’administration à 21 heures le 20 août 2009 pour approbation le jour suivant. Elle objecte que le processus d’examen et d’approbation du COA ne correspond pas à ce qui avait été convenu lors d’une réunion du conseil le 31 juillet 2009. Il est convenu que le conseil d’administration prendrait position après une réunion prévue avec le SLO.

4 septembre 2009

Le gouvernement approuve la création d’un comité ministériel, présidé par le ministre du Tourisme, le ministre des Finances, le ministre des Infrastructures publiques, le ministre des TCI et le ministre des Entreprises pour examiner les différentes clauses du contrat, les avantages que le gouvernement peut tirer du contrat et déterminer une base raisonnable d’indemnisation du propriétaire du navire en cas de défaillance de la STC.

29 septembre 2009

Lors d’une réunion du comité ministériel, il est décidé que la STC devrait solliciter les services de BDO De Chazal Du Mée (BDO DCDM) pour une évaluation approfondie du contrat proposé par Betamax Ltd. BDO DCDM était aussi l’auditeur de Betonix Ltd.

Sa mission : produire un rapport uniquement sur l’avantage comparatif en termes de coûts que Betamax Ltd fournirait par rapport aux transporteurs ponctuels retenus par la STC sur la base du contrat existant pour l’année 2008-09.

27 octobre 2009

BDO DCDM soumet un premier rapport à la STC. La principale conclusion du rapport est simplement que la proposition de Betamax Ltd était plus compétitive par rapport aux taux de fret payés par STC à ses deux transporteurs du marché spot, à ce moment. Elle conseille que la State Investment Corporation soit un partenaire stratégique pour sauvegarder les intérêts du gouvernement et que le contrat soit modifié pour prévoir plus d’un port de chargement.

Le ministère du Commerce demande alors un second rapport de BDO DCDM concernant la vérification des coûts du projet, y compris le contrat de construction du navire, les frais juridiques, entre autres.

26 novembre 2009

BDO DCDM soumet son deuxième rapport, indiquant, entre autres, «que la plupart des coûts du projet proposés par Betamax Ltd semblaient raisonnables. » Pour cela, BDO DCDM s’est basé sur les données, chiffres et hypothèses fournis par Betamax et aux discussions avec les promoteurs concernant les détails des coûts du projet.

27 novembre 2009

Le ministère des Finances envoie une lettre au ministère des Entreprises sur la fourniture d’une garantie publique. Le même jour, le ministère des Entreprises demande à la STC de convoquer une réunion du conseil d’administration pour approuver le contrat d’accord avec Betamax. Le conseil d’administration se réunit donc à 11 heures et approuve le contrat avec Betamax, bien qu’il ne contienne pas les modifications proposées par le SLO et rejetées par Betamax.

Le même jour, le COA et l’accord de mise en œuvre sont signés respectivement entre la STC et Betamax Ltd et entre le gouvernement et Betamax Ltd.

8 janvier 2010

En réponse à une demande d’avis, le SLO déclare qu’il n’était pas au courant que le COA et l’accord de mise en œuvre avaient déjà été signés, car il avait supposé que les négociations n’avaient pas abouti.

18 mai 2011

Le Red Eagle entre en service. Au 31 décembre 2014, il a effectué 57 voyages.

19 décembre 2014 au 5 janvier 2015

Le comité interministériel comprenant Vishnu Lutchmeenaraidoo, Roshi Bhadain, Ravi Yerrigadoo et Ashit Gungah tient plusieurs séances de travail avec le directeur général de la STC d’alors, Megh Pillay, le secrétaire financier Dev Manraj et le Solicitor General Dheeren Dabee.

La proposition du comité de résilier le contrat de Betamax «dans l’intérêt public» est portée au Conseil des ministres.

30 janvier 2015

Le Cabinet du nouveau gouvernement mauricien arrivé au pouvoir en décembre 2014 annonce qu’il met fin au COA à la lumière de «la procédure et les processus illégaux concernant l’attribution du contrat».

4 février 2015

La STC notifie Betamax qu’elle n’était plus en mesure d’utiliser ses services de la société. La clause de sortie n’est pas respectée.

12 octobre 2015

Arrestation de Veekram Bhunjun dans le cadre de l’enquête sur l’obtention du contrat. Plusieurs personnalités politiques, dont Navin Ramgoolam et Anil Bachoo, des hauts fonctionnaires sont inquiétés par la police.

15 mai 2015

Betamax dépose une notification d’arbitrage auprès de la cour d’arbitrage international de Singapour et réclame des dommages et intérêts de plus de 150 millions de dollars.

5 juin 2017

La sentence arbitrale en faveur de Betamax tombe et la STC est sommée de payer environ Rs 4,5 milliards plus intérêts et autres frais du procès à la société de Veekram Bhunjun.

Août/septembre 2017

Des demandes d’annulation et d’exécution de la sentence arbitrale sont déposées par la STC devant la Cour suprême.

1er décembre 2017

Demande d’injonction de Betamax devant la haute cour du Karnataka, en Inde, pour réquisitionner le Pacific Diamond, qui a remplacé le Red Eagle. La compagnie demande une garantie bancaire de Rs 4,5 milliards à la STC le temps que la Cour suprême se prononce.

11 décembre 2017

La haute cour du Karnataka écoute les deux parties et lève l’injonction contre le Pacific Diamond.

13 mars 2018

L’appel de la sentence arbitrale interjeté par la STC est entendu par la Cour suprême.

29 mai 2019

La Cour suprême de New Delhi somme la STC d’émettre la garantie bancaire de 130 millions de dollars.

31 mai 2019

Verdict de la Cour suprême qui estime que la sentence était contraire à l’ordre public mauricien et l’a annulée en vertu de l’article 39(2) (b)(ii) de l’International Arbitration Act.

20 et 21 janvier 2021

Betamax ayant fait appel du jugement de la Cour suprême devant le Privy Council, l’affaire est débattue pendant deux jours d’audience à Londres.

14 juin 2021

Verdict sans appel. Le Privy Council renverse la décision de la Cour suprême et donne gain de cause à Betamax.

Ébauche du jugement par le Privy Council : privilège enlevé depuis le procès MedPoint

Selon les règlements du Privy Council, la copie du jugement d’une affaire est remise aux avocats et avoués des deux parties concernées avant que celui-ci ne soit rendu public. Cette pratique a été établie pour que les hommes de loi puissent vérifier si le document comporte des erreurs, noms mal orthographiés par exemple ou autres inexactitudes mineures. Le contenu d’un jugement peut également être divulgué aux personnes directement concernées 24 heures avant qu’il ne soit rendu public. Le contenu de l’ébauche est «sous embargo» et les personnes à qui le contenu a été révélé, ont le devoir de préserver la confidentialité du document dont toute violation constitue un outrage.

Or, on se souvient tous de la fuite du jugement du Privy Council concernant l’affaire MedPoint dont Sudhir Sesungkur, ancien ministre de la bonne gouvernance avait fait état sur sa page Facebook. Depuis, le Board du Privy Council avait décidé de ne plus circuler de drafts des jugements en amont. Et le Bar Council qui avait été sollicité avait précisé que divulguer un jugement avant qu’il ne soit officiellement rendu public constitue une violation de l’éthique qui régit la profession. Cela, après que le comité judiciaire du Conseil privé avait ordonné une enquête et demandé des explications auprès des avocats ou avoués qui avaient reçu une copie de l’ébauche du jugement.

Les points saillants du Conseil privé

Dans son jugement du 14 juin, le Conseil privé casse la décision de la Cour suprême qui avait annulé la décision de l’arbitre en faveur de Betamax. Rappelons qu’en 2009, la STC avait alloué à Betamax un contrat pour la construction et l’opération d’un pétrolier à être utilisé pour le transport de produits pétroliers de l’Inde à Maurice. Betamax avait obtenu l’exclusivité du transport de produits pétroliers achetés par la STC pour la capacité maximale du bateau et un droit de priorité de contracter pour toute capacité supplémentaire requise par la STC, sur une période de 15 ans. De plus, la STC était obligée de payer à Betamax 100 % de la capacité de fret du pétrolier, même si la STC n’utilisait qu’une partie de cette capacité. Betamax prévoyait de percevoir USD 17 millions (Rs 595 millions) la première année, laquelle somme serait augmentée chaque année. Le contrat avait été alloué à Betamax sans obtenir l’autorisation du Central Procurement Board qui est requise par la Public Procurement Act pour l’allocation de certains marchés publics.

Dans l’arbitrage, l’arbitre avait décidé que le contrat alloué à Betamax était exempté des procédures de la Public Procurement Act, et n’était donc pas illégal, ni invalide.

Par conséquent, l’arbitre avait conclu que la STC était responsable pour avoir prématurément mis fin au contrat, et avait ordon- né la STC de payer USD 115 millions de dommages, USD 1,7 millions de frais légaux (Rs 57 millions) plus intérêts. Notre International Arbitration Act prévoit que les décisions d’un arbitre qui portent sur le fond de l’affaire (celles qui sont liées à la réclamation ultime du demandeur, comme les questions de l’exemption et de l’illégalité du contrat), ne peuvent être reconsidérées par la cour. Cependant cette même loi donne à la cour les pouvoirs de contrôler la régularité de la décision, notamment quant à sa compatibilité avec l’ordre public (l’ordre public est l’ensemble des règles fondamentales obligatoires dont la violation ne peut être tolérée par un État).

La cour avait décidé que la Public Procurement Act ayant pour objectif de combattre la fraude et la corruption dans l’allocation des contrats importants financés par les fonds publics, dans le but de s’assurer, dans l’intérêt public, de leur bonne utilisation.

Par conséquent, ces procédures formaient partie de l’ordre public et la cour était donc autorisée à reconsidérer la question de l’illégalité du contrat. Après avoir noté que les conditions particulièrement avantageuses du contrat auraient au final permis à Betamax d’obtenir le financement par la STC de l’achat de son pétrolier, la cour avait statué que le contrat n’était pas exempté des procédures de la Public Procurement Act et que sa conclusion avait été faite en violation flagrante de ces règles et était donc illégal et invalide. Le Conseil privé casse dans son jugement la décision de la cour, en précisant que la cour n’avait pas les pouvoirs de décider sur l’illégalité du contrat et qu’elle ne pouvait pas utiliser l’ordre public pour décider, de nouveau, des questions de l’exemption et de l’illégalité du contrat. Le Conseil note que cette approche est contraire au principe de finalité des décisions arbitrales, principe bien établi de l’arbitrage international, auquel Maurice a souscrit à travers l’adoption en 2018 de l’International Arbitration Act.

Le Red Eagle toujours à flot

Que devient le Red Eagle que la STC avait l’option d’acheter pour compenser Veekram Bhunjun si le gouvernement avait exercé la clause de sortie du contrat d’affretement entre Betamax et l’organisme parapublic ?

Le CEO de Betamax affirme que le pétrolier battant pavillon mauricien est toujours aux affaires et se trouve dans un port au Singapour. Le bateau, propriété de Betonix et géré par Executive Ship Management (à en croire des sites qui tracent les navires), assure toujours le transport de produits pétroliers.

Selon les dernières données disponibles sur le site Vessel Finder, le Red Eagle était le 19 avril à Al Fujairah aux Émirats arabes unis. À Singapour le 29 avril et au port de Mailiao à Taïwan le 6 mai.

Contrat avec l’état et Betamax cassé : Les trois raisons évoquées par Roshi Bhadain en 2015

C’était le 30 janvier 2015. Après le Conseil des ministres, Vishnu Lutchmeenaraidoo, alors ministre des Finances, Roshi Bhadain, qui occupait le portefeuille de la Bonne gouvernance, et Ashit Gungah, qui était au Commerce, animent une conférence de presse pour annoncer la résiliation du contrat entre l’État et Betamax.

L’annonce n’était pas une surprise. Quelques semaines auparavant, soit le 9 janvier 2015, sir Anerood Jugnauth, qui était alors Premier ministre, avait évoqué ce contrat, signé le 27 novembre 2009, entre la STC et Betamax. Selon lui, le contrat était contre l’intérêt de l’État et du public et, dans la foulée, annonce qu’il allait être renégocié.

Mais finalement, la décision de rompre le contrat sans respecter la clause de sortie a été avalisée par le cabinet ministériel. C’est l’ancien ministre de la Bonne gouvernance qui, à deux reprises en quelques jours, soit le 30 janvier et le 4 février, a justifié cette décision en conférence de presse. D’ailleurs, Vishnu Lutchmeenaraidoo avait mis l’accent sur le travail de Roshi Bhadain, de Ravi Yerrigadoo et d’Ashit Gungah pour rendre cette résiliation possible.

Pourquoi résilier le contrat ? C’est Roshi Bhadain lui-même qui donnera les explications. Il y a beaucoup de maldonnes et de procédures qui n’ont pas été respectées lors de la signature de ce contrat. Il en énumère trois.

Tout d’abord, l’appel d’offres n’a pas été fait selon les procédures. «Les call for bids doivent nécessairement avoir l’approbation du Central Procurement Board (CPB)», a-t-il rappelé. Puis, le contrat a été alloué, toujours sans l’aval du CPB. Et finalement, le troisième point égrené par Roshi Bhadain ce jour-là concernait la signature même du contrat.

L’ancien ministre de la Bonne gouvernance avait rappelé que personne ne pouvait signer un contrat majeur avec l’État sans l’approbation du CPB encore une fois. Donc, le point soulevé pour résilier le contrat était qu’il ne respectait pas les dispositions de la Public Procurement Act.

Cependant, toutes les charges retenues contre Veekram Bhunjun, Navin Ramgoolam, Anil Bachoo et les autres protagonistes du contrat, elles, sont tombées en cour.

PIB : les Rs 5,7 Mds enfoncent le clou de la dette publique

LA facture Betamax coûtera cher. L’État doit trouver Rs 5,68 milliards, tous frais inclus, pour dédommager Veekram Bhunjun suivant le jugement favorable du Conseil privé lundi à l’égard de Betamax. Son contrat pour transporter des produits pétroliers pour le compte de la STC avait été résilié par celle-ci en 2015 suivant l’avènement de l’Alliance Lepep.

Alors que le ministre des Finances doit gérer toute la polémique entourant la taille réelle du déficit budgétaire et celle de la dette publique, l’affaire Betamax risque de corser sa situation. Pour cause, il doit maintenant débourser Rs 5,7 milliards de la caisse gouvernementale pour payer Veekram Bhunjun. Une démarche qui risque d’impacter sur les dépenses gouvernementales pour la présente année fiscale chiffrée à Rs 163 milliards ainsi que sur la dette publique déjà estimée à 95 % du Produit intérieur brut (PIB).

Il est fort à parier que Renganaden Padayachy, qui avait prévu d’empocher Rs 2,4 milliards des réserves de la STC comme souligné dans le Budget Estimates pour grossir ses revenus, ne mettra sa décision à exécution après ce nouveau développement. D’autant que la corporation ne dispose que d’environ Rs 3 milliards de réserves.

Interrogé, le Chief Executive Officer de la STC, Rajiv Servansingh, n’a pas souhaité s’expliquer sur le modus operandi auquel il aura recours pour s’acquitter des dommages versés à Betamax. «Nous avons plusieurs réunions actuellement pour décider de la marche à suivre. D’ici lundi, nous serons fixés», a dit-il déclaré à l’express.

Entre-temps, Betamax a déjà activé la procédure d’Enforcement of the Award de l’arbitrage singapourien en logeant hier sa réclamation auprès de la compagnie d’État.

Les lendemains du secteur mauricien des services financiers

Déjà pointé du doigt et par le Groupe d’Action Financière et l’Union européenne, le secteur des services financiers va devoir gérer les répercussions sur la réputation de Maurice de cette affaire de non-respect par l’État d’un contrat signé en bonne et due forme. Ces répercussions sont-elles positives ou négatives? Les avis divergent.

Le jugement du Conseil privé dans l’affaire Betamax projette l’État mauricien sur la scène de la communauté internationale des affaires. Un environnement où, grâce aux nombreuses activités des services financiers de divers pays, les capitaux à la recherche de placements avec les meilleurs retours sur investissement possibles circulent entre frontières. La grande question que met en exergue cette affaire version 2021 est l’importance qu’attache le gouvernement au respect des contrats qui le lient à des opérateurs tant locaux qu’internationaux et au verdict d’un arbitrage international.

Cette affaire a pris de l’ampleur lorsque le gouvernement, indifférent à toute forme de négociation, décide de résilier le contrat accordé au groupe Bhunjun pour l’approvisionnement du pays en carburants. Parmi les questions qu’implique la tournure qu’a prise cette affaire, on peut lister celles qui suivent:

-Doit-on faire confiance au gouvernement en participant à des appels d’offres pour l’approvisionnement de biens et la prestation de services ?

-Ne risque-t-il pas d’introduire une législation rien que pour rendre légale toute initiative visant la résiliation de contrat ?

-La posture du gouvernement ne risque-t-elle pas de fragiliser davantage la réputation de Maurice, déjà confronté à une accusation de permettre sur son territoire des activités liées tant au blanchiment d’argent qu’au financement du terrorisme ?

«L’impact négatif, avance Pierre Dinan, est sur les finances publiques. Avis aux contribuables.» L’économiste estime que la décision du Conseil privé est loin de constituer un handicap au secteur mauricien des services financiers face à la communauté internationale des affaires. Il pense plutôt le contraire et explique pourquoi, de son avis, ce jugement aura plutôt un impact positif pour les services financiers. «Ce jugement montre à tout investisseur potentiel (local, mais surtout étranger) qu’en cas de litige, il a la possibilité d’aller devant les Law Lords (qu’on peut considérer comme sans préjugé, vu leur éloignement du champ mauricien) et ainsi avoir un jugement honnête et libre de tout a priori. This is the silver lining in the cloud which has appeared in our skies.”

Commenter à visage découvert les répercussions du jugement du Conseil privé est une initiative que certains refusent d’entreprendre. C’est le cas du directeur d’une société de services enregistrée auprès de la Financial Services Commission (FSC), le régulateur du secteur. Raison avancée : «L’affaire Betamax est purement politique. Nous ne voulons pas que notre entreprise soit mêlée de loin ou de près avec la politique.»

Cet interlocuteur «ne pense pas que le versement à Betamax du montant préconisé par le Conseil privé aura un quelconque impact sur les activités du secteur des services financiers. Ce verdict va égratigner la réputation de Maurice par rapport au principe exigeant le respect et l’adhésion aux engagements pris dans le cadre des obligations liées à un contrat au plus haut niveau de l’État. Ce sont avant tout les contribuables qui passeront à la caisse du groupe Bhunjun en lui versant les dommages de Rs 5,7 Mds, incluant le paiement des intérêts de même que des pénalités. Le respect du jugement du Conseil Privé va alourdir le poids du déficit budgétaire par 1 %, à moins que pour éviter une telle perspective, le gouvernement ne décide de relever à la hausse le niveau actuel d’impôt. Cependant, l’élément positif que ce jugement laissera dans son sillage est qu’il servira d’alarme, tant pour le gouvernement actuel que pour les gouvernements futurs susceptibles de remettre en question et de rejeter unilatéralement et de façon hasardeuse, les engagements dans le cadre des contrats signés en bonne et due forme.»

Invité par un de nos collègues à donner son avis sur le jugement du Conseil privé, Mahen Seeruttun, ministre des Services financiers et de la bonne gouvernance, a préféré que ceux qui géraient au dossier en 2015 se prononcent. Pour cause. Car ce n’est que le 12 novembre 2019 que Mahen Seeruttun a pris les rênes de ce portefeuille.

Il y a cependant une autre raison qui pourrait expliquer la réticence du ministre à se mêler à cette affaire. En dépit du fait que le secteur mauricien des services financiers se trouve sur la liste grise du Groupe d’action financière (GAFI) et sur la liste noire de l’Union européenne, pour mauvaises conduites alléguées au niveau de la lutte efficace contre le blanchiment et le financement du terrorisme, les sociétés étrangères n’ont pas boudé la destination.

Chiffres à l’appui, le ministre en a fait la démonstration le 9 juin au quartier général de la FSC à Ébène. C’était dans le cadre du lancement officiel d’un nouveau régime pour inciter les sociétés de gestion des fonds d’investissement à venir s’installer. En effet, entre 2019 et 2020, le nombre de licences octroyées par la FSC est passé de 1 245 à 1 990, soit une hausse de 745 nouvelles licences.

«C’est un signe, a indiqué Mahen Seeruttun, qu’en dépit de l’impact du placement du centre mauricien des services financiers sur les listes défavorables du GAFI et de l’Union européenne et des effets de la pandémie Covid-19 sur ses opérations, ce secteur continue de bien faire. C’est également une indication claire et nette que la confiance, tant de la communauté des hommes d’affaires et des investisseurs dans notre centre des services financiers est bel et bien vivante.»