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Natalité et mathématiques

6 juin 2021, 08:40

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Le parti communiste chinois, après avoir interdit aux couples d’avoir plus d’un enfant, pendant des décennies, décidait, en 2016, d’être plus souple et de permettre deux enfants par couple. À noter ici que parmi les conséquences de la politique d’enfant unique, la Chine s’est retrouvée avec, d’une part, environ 400 millions de naissances en moins sur la période 1980-2015 et, d’autre part, un sérieux déséquilibre entre les genres ; les familles sous le joug des directives de l’État s’organisant régulièrement pour favoriser la naissance de 34 millions de garçons de plus que les filles. En Inde, où la préférence culturelle est aussi en faveur des garçons et d’héritiers mâles, le chiffre équivalent est de 37 millions plus d’hommes que de femmes…

Cependant, les résultats de la politique chinoise de «deux enfants par couple» ne se sont pas révélés être un succès : alors qu’il y avait 18 millions de naissances en Chine en 2016, ce chiffre n’était plus qu’à 12 millions en 2020, puisque, comme partout au monde, l’urbanisation et le coût d’y éduquer et d’y élever un enfant, la «libération» relative des femmes et l’amélioration de la condition humaine mènent très naturellement à une diminution de la natalité. Il est dès lors prévisible que la décision du parti communiste chinois, il y a seulement quelques jours, d’inciter les familles à produire non plus deux, mais trois enfants est probablement voué à l’échec aussi ! À moins que l’on ne sorte le grand jeu et que des amendes soient infligées aux familles les moins fertiles ?

Qu’est-ce qui a poussé l’État chinois à changer de politique de natalité en 2015, puis encore en 2021 ? En une phrase, c’est à cause du vieillissement de la population et de la crainte des autorités quant aux conséquences d’une pression grandissante sur les jeunes en état de travailler pour subvenir aux besoins des vieux plus nombreux. En fait, dans cette équation, la tendance défavorable est présente aux deux extrémités de la pyramide d’âge : il y a moins de naissances et l’espérance de vie augmente. La combinaison de ces deux facteurs fait que le taux de dépendance (dependency ratio) des vieux de 65 ans + sur les jeunes de 16 à 64 ans se détériore un peu partout dans le monde…

Ce taux de dépendance est le plus élevé au monde, au Japon où chaque 100 citoyens en âge de travailler doit supporter 48 vieux de 65 ans +. Les vieilles démocraties riches, où l’espérance de vie est élevée et les naissances en chute libre, font partie du peloton de tête à cet index parlant et à défaut d’une politique nataliste imposée par l’État, ces pays ont souvent essayé d’injecter de la main-d’œuvre étrangère dans leurs économies pour tenter de tenir des équilibres précaires. Ainsi, la décision de Madame Merkel en Allemagne d’accueillir 1,3 million de réfugiés en 2015 ou le «melting-pot» américain ou la politique d’immigration accélérée du Canada. Mais les politiques d’immigration, si bien avisées sur le plan de la production et de la fiscalité, finissent toujours par créer des malaises sociaux et des réactions épidermiques, surtout quand l’immigrant vit en vase clos et ne s’intègre pas fortement comme il est souhaitable. L’immigration finit donc par être de nature cyclique, «On» puis «Off» jusqu’à la prochaine crise… Le Japon, par contre, dont la politique d’immigration n’a jamais été favorisée, verra sa population actuelle de 127 millions s’écraser à 84 millions seulement à la fin du siècle courant. On peut alors comprendre la fascination du Japon pour la robotisation et l’intelligence artificielle.

Maurice affiche, pour sa part, un taux de dépendance de 17,7 pour le moment, mais cela va se détériorer très rapidement. Il n’y a, pour l’illustrer, qu’à se référer aux tranches d’âge de nos jeunes par bloc de 5 ans, au 1er juillet 2019. S’il y avait 97 244 jeunes entre 15 et 19 ans, ils n’étaient plus que 85 423 entre 10 et 14 ans, 71 236 entre 5 et 9 ans et 51 519 entre 1 et 4 ans. La tendance est claire et elle est troublante ! Car, d’autre part, à l’autre bout de la pyramide d’âge, le nombre de bénéficiaires du «Basic Retirement Pension» (BRP), que l’on a augmenté à Rs 9 000 après les élections de 2019 et que l’on a promis d’augmenter par encore Rs 4 500 en 2023, passera des 13 % de la population actuelle… à 30 % en 2050. Une projection faite en 2015 par le FMI signalait (avant les promesses électorales de 2019 bien sûr) que le financement des pensions par le Trésor public passerait de 5 % du PIB en 2015 à plus de 11 % en 2060. Avec la pension augmentée à Rs 9 000 en 2019 qui passerait à Rs 13 500 mensuellement en 2023, la situation pourrait doubler à environ 22 % du PIB en 2060.

«Après moi, le déluge», disait déjà Louis XV ?

Il y a bien sûr des palliatifs, à défaut de solutions miraculeuses. Le «means testing» est une évidence, l’indexation de l’âge de la retraite sur l’espérance de vie qui s’améliore est une mesure évidemment rationnelle, la dépolitisation des décisions affectant les pensions paraît raisonnable et une politique sincère de portes ouvertes aux étrangers va aider. Mais nous avons, pour le moment, accouché de la souris CSG et on refuse toujours de nous faire la démonstration de sa fiabilité à moyen terme !

Pour rappel, le rapport WP/15/126 du FMI, publié le 1er juin 2015 et intitulé «PENSION REFORMS IN MAURITIUSBalancing social protection and fiscal sustainability», nous rappelait qu’en l’absence d’un «means test», 48 % des bénéfices de la BRP sont payés aux 40 % les plus riches du pays et qu’un meilleur «targeting» des pauvres à la retraite serait éminemment souhaitable. Par ailleurs, s’il était supportable que le BRP soit payé à l’âge de 60 ans, en 1965, quand l’espérance de vie était de… 63 ans, il était aussi fortement souligné que plus l’espérance de vie augmente (étant de 76 ans en 2018), plus les coûts du BRP vont augmenter de manière éventuellement insupportable. Ce qui suggère que l’âge de la retraite soit indexé sur l’espérance de vie, en toute logique.

Aucun syndicat local ne veut voir l’âge de la retraite passer de 60 à 65 ans, comme recommandé encore récemment par la Banque mondiale ! C’est, semble-t-il, un droit acquis. À la bonne heure ! Mais les syndicalistes pourraient-ils trouver le temps pour nous démontrer si leur exigence est fiable ? Et comment le pays va faire si les progrès de la science aidant, l’espérance de vie augmente d’encore 10 ans jusqu’en 2050, mettons ? Quand va-t-on prendre ce taureau par les cornes ?

En filigrane et plus généralement, si la natalité du monde développé continue à baisser, si les espérances de vie augmentent partout au monde, si les pays pauvres ne peuvent même pas profiter de leur «dividende démographique» ; la planète va affronter de plus en plus de crises migratoires et le monde riche va sûrement tenter de protéger sa bulle en robotisant un maximum et en construisant, comme Trump, des murs plutôt que des ponts. Le plus grand défi de notre siècle, c.-à-d. les bouleversements causés par le réchauffement de la planète, va, selon toute probabilité, aussi aggraver encore ces équations passablement effrayantes. D’autant plus si la population mondiale dans son ensemble continue à progresser et que les riches, les moins riches et les pauvres veulent tous consommer plus et mieux aux dépens des ressources de la planète !