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D’inspiration chilienne

27 octobre 2020, 07:13

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Comment donner un nouveau départ à un pays en faisant table rase du passé ? Un slogan facile à répéter, mais dans la pratique comment cela se traduit-il ? C’est ce que les Chiliens ont démontré, dimanche, en votant à forte majorité en faveur d’une nouvelle Constitution, lors d’un référendum – qui, lui-même, découle du soulèvement populaire massif, l’an dernier, contre les inégalités sociales et l’exclusion. Une issue démocratique a donc été trouvée pour en finir avec un système politique désuet, inauguré en 1980 sous la dictature militaire du général Pinochet (1973-1990).

Les deux questions qui devaient être tranchées par les 14,7 millions d’électeurs du Chili : 1) «Souhaitez-vous une nouvelle Constitution ?»; 2) «Quel organe devra rédiger la nouvelle Constitution ?»

Le tournant politique au Chili s’avère un cas intéressant pour nous, Mauriciens, coincés que nous sommes entre un régime qui ne veut pas fléchir face aux revendications de la rue et une opposition parlementaire qui semble surtout vouloir défendre ses intérêts, en contractant une alliance a priori contre-nature, au lieu de pousser pour des changements fondamentaux, tels que la refonte de la Constitution pour bannir le Best Loser System par exemple, et donner, enfin, toutes ses chances au mauricianisme, c’est-à-dire la méritocratie de l’individu, indépendamment de ses appartenances (ethnique, religieuse, géographique, etc.)… La question demeure : peut-on s’attendre à ce que des politiciens et propriétaires de parti changent un système politique qui les nourrit, eux, les leaders et leurs proches ?

Au Chili, l’étincelle s’est muée en feu en 2019. Le public voyageur n’a pas pu digérer la hausse du prix du ticket de métro alors que les abus et gaspillages du pouvoir étaient légion. Cela a culminé en des manifestations de rue impressionnantes, qui ont paralysé le pays. Plus d’un million de manifestants avaient envahi la «Place de la dignité». Le mot qui revenait dès lors : dehors !

Depuis la rue réclame, sans concession, que tout le système change, car les classes politique et économique subissent les effets durables de la gangrène, avec des élites qui s’enrichissent sur le dos du Chilien lambda. Autour de ces élites : des chefs de tribus sont achetés et casés dans des compagnies publiques qui ne servent qu’à les corrompre. Leur rôle : tuer dans l’œuf toute velléité de renversement du régime ; la police étant complètement instrumentalisée…

Quelques esprits raisonnés et foncièrement démocrates, tout en poussant pour le changement, empêchent que les choses sur le plan social ne s’enveniment, que le feu de la contestation et de la révolte ne devienne incendie pouvant consumer tout le pays… C’est ainsi que l’idée d’un référendum a fait son chemin, làbas, laborieusement.

Prévu en avril, mais repoussé à cause du coronavirus (le virus n’y est pas allé de main morte au Chili : 500 000 contaminations déclarées, 14 000 décès recensés), le référendum avait pour objectif de désigner le système régissant la future assemblée constituante, en charge de la rédaction de la nouvelle Constitution. Et les résultats démontrent que le peuple, avec 78,01 % des voix, a soif d’une nouvelle Constitution, contre 21,99 % pour ceux rejetant cette option, pourcentage, en fait, de ceux qui bénéficient du système de ces 40 dernières années – qui ont joué leur survie, en injectant matériellement toutes leurs riches ressources afin que le statu quo gagne. Mais cela n’a pas marché.

Leçons chiliennes : la Constitution là-bas, comme chez nous d’ailleurs, a toujours divisé la population. Mais aujourd’hui, les barrières sont tombées : la majorité a repris ses droits, et les élites politiques, qui se sont enrichies, sont désormais recroquevillées, ayant compris que les jeux sont faits pour le pays, et les carottes cuites pour eux.

Désormais, les citoyens collaborent – un exercice pas évident, soit dit en passant – pour réécrire la loi suprême du pays, en soulignant des termes pour que ceux qui sont au pouvoir n’abusent plus de leur position, afin, précisément, que ceux qui disent vouloir servir le pays, ne se servent PAS en premier, en oubliant ceux pour qui ils travaillent.

Sous Pinochet, la loi fondamentale limitait, par ailleurs, l’action de l’État et favorisait l’activité privée dans tous les secteurs, notamment l’éducation, la santé et les retraites. Selon les revendications populaires, une nouvelle Constitution ouvrira la voie à de profondes réformes sociales dans un pays parmi les plus inégalitaires d’Amérique latine.

Pour que le Chili sorte de l’ombre de la dictature de Pinochet, il a fallu pas mal de persévérance, dont un travail politique appréciable de Michelle Bachelet. Si jusqu’ici personne n’a pu faire amender la Constitution qui protégeait les mêmes dynasties, patronymes et intérêts, et qui, partant, accentuait l’inégalité et l’exclusion, force est de constater qu’il est impossible, en fin de compte, de bloquer la voix de la majorité, y compris en 1789. À Maurice aussi, il est impératif de mauricianiser la Constitution. Mais pour cela il faut venir à bout de ceux qui la protègent comme si leur vie et leur fortune en dépendaient...