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Nos mains sales

8 août 2020, 09:10

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Le 25 juillet, peu avant 19 h 30, à Pointe-d’Esny, un monstre en acier vient lourdement s’imbriquer dans la frêle barrière de corail qui protège l’un des plus beaux lagons du pays. Aucun radar, aucun service, aucune police, ne l’avait vu venir. Et puis que l’on s’étonne que la drogue dure circule à chaque coin de rue ? 

Les citoyens riverains, sous le choc, sont les premiers à informer le reste du pays. Le mouvement bottom-up est spontané. Pas pour longtemps. Dès lors, commence un long défilé de selfies devant le MV Wakashio, devenu l’attraction du Sud-Est. Pour les politiciens, c’est définitivement the perfect picture place to be. Il faut bien montrer sa sensibilité écologique, n’est-ce pas ? 

Le gouvernement, qui surfe sur des scandales, dépêche ses ministres, les moins empêtrés, se faire photographier devant le vraquier – et adopte un discours des plus rassurants. La situation est sous contrôle, nous assène-t-on. Plus tard, les autorités iront même jusqu’à menacer ceux qui font circuler des photos, qui pourtant montrent clairement que le vraquier prenait l’eau. Pour éteindre le feu citoyen qui s’allume, le pouvoir déverse des discours techniques, ou avec un semblant d’autorité, portés par, tiens, tiens, l’inspecteur Shiva Coothen, la terrible voix propagandiste des Casernes centrales, et un nouveau venu : le Dr Gujadhur du Wakashio, Alain Donat, directeur du Shipping. Don’t worry, people! Everything is under control! 

Et alors qu’il était tranquille, dans l’ombre, à tenter, en vain, de faire élire Somduth Dulthumun à la tête de la Mauritius Sanatan Dharma Temples Federation, Sudheer Maudhoo, le ministre de la Pêche, que beaucoup de Mauriciens ont découvert cette semaine, s’affiche à Pointe-d’Esny, pour un constat des lieux, comme Kavy Ramano, le ministre de l’Environnement, qui veut nous faire croire qu’il est le premier surpris de la fuite d’huile. Anwar Husnoo, le ministre des Collectivités locales, va aussi sur les lieux, où la presse est conviée. La communication passe bien, les ministres veulent scorer, mais le monstre, lui, s’enfonce et touche le fond marin. Il s’abîme de plus en plus, mais ce n’est pas grave, continue-t-on à nous dire. Du 25 juillet au 6 août ! 

Le gouvernement avait ses autres priorités. Le Premier ministre était sans doute, lui pris, avec tous ses conseillers, par comment tir manzé bann-la, dont, nous, journalistes de l’express, qui faisons, et continuerons, contre vents et marées, à faire notre travail démocratique de service public, au service de l’information et de nos nombreux lecteurs…

*** 

Aujourd’hui, avec les hydrocarbures de Wakashio qui se déversent dans nos eaux cristallines, et alors que l’on traverse une grave crise économique, aggravée par la pandémie mondiale de Covid-19, l’incompétence de nos dirigeants vient nous agresser, souiller notre environnement extérieur et intérieur, et, partant, nous faire craindre le pire. 

Le désastre écologique, provoqué par l’immobilisme, l’incompétence, l’irresponsabilité de ce gouvernement, relève de la négligence criminelle. Ce n’est pas une offense de la magnitude de SUS Island. Nous nageons vraiment en eaux troubles ces jours-ci – avec des répercussions durables sur l’environnement, l’écologie, l’économie, la société. Alors pourquoi ni Ramano, ni Maudhoo, ni Husnoo, ni Pravind Jugnauth ne vienne s’excuser à la nation ? Ils sont censés diriger, gouverner, mais ils ne dirigent qu’une série de scandales depuis 2014. Et en plus ils veulent nous censurer, restreindre notre liberté d’expression et d’opinion. 

Face à un gouvernement sur qui l’on ne peut pas compter, les initiatives citoyennes ont fleuri sur le rivage, ceinturant le Wakashio. Cela apporte du baume au coeur. Cela donne de l’espoir. 

L’entraide des citoyens mauriciens, alors que le Wakashio se vide, se tisse avec des cheveux et des fils de toutes les couleurs, bien au-delà des stratégies socioculturelles et anti-mauriciennes qui ont pris l’actuelle classe politique en otage depuis bien, trop, longtemps. 

Le gouvernement et l’opposition vont se déchirer devant le Wakashio, mais ils auraient été bien plus utiles, à l’image des citoyens qui s’activent dans la rue pour protéger le pays, si seulement ils n’étaient pas minés par les divisions communalistes et castéistes qui les portent et les maintiennent au pouvoir. 

Au nom de l’unité nationale face au désastre écologique, nos politiciens auraient dû s’entraider aussi et s’accorder sur un diagnostic, par exemple sur le chiffrage des pertes, l’ampleur des travaux, les autres menaces collatérales. En quoi ces hydrocarbures risquent de faire sombrer davantage le tourisme, dont on maintient la tête sous l’eau avec la fermeture continue des frontières ? 

Humons les hydrocarbures et réalisons que le désastre mauricien est surtout «home made». Le monstre en acier est venu nous l’exposer, dans la face. La triste situation dans laquelle nous nous enfonçons est le produit de décennies de pratiques politiques, d’alliances et de mésalliances, de mauvaise gestion, de corruption menées par une élite dynastique et prédatrice et leur équipe de «SUS-eurs». La crise, qui couvait depuis longtemps, a, peut-être, éclaté avec le MV Wakashio… Car les discours, les attaques, les stratégies pouvoiristes sont devenus tout à coup inutiles à ce stade. Nous avons compris que nous sommes tous responsables.

Politiciens, électeurs, ONG, citoyens, au lieu de ressasser les mêmes analyses défaitistes, nous ferons mieux d’aller tous nettoyer ce que nous avons, directement ou indirectement, répandu dans nos lagons. Nos mains sont devenues toutes sales… pauvre pays !