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Après Mauritius, c’est un plaisir place au… SUS Island

30 juillet 2020, 19:43

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Après Mauritius, c’est un plaisir place au… SUS Island

Qui a eu l’idée de (re)lancer, cette semaine, le concept de SUS Island ? Le nom sonne mal, s’exclament plus d’un professionnel du tourisme, dont certains nous ont approchés afin de braquer les projecteurs sur la piètre promotion touristique du pays face à ses concurrents régionaux (les Maldives et les Seychelles principalement).

L’initiative reviendrait à la Tourism Authority, qui n’est pas censée faire de la promotion, mais du pure licensing. Interrogé, Lindsay Morvan, le directeur de ce corps parapublic, évoque une confusion qui a ramené le SUS Island sur le devant de la scène : «Quand le concept SUS Island a été évoqué lors de l’atelier de travail de lundi, Wazaa FM s’est trompé en annonçant le lancement du SUS Island ce même jour. Je ne comprends pas pourquoi le concept fait le buzz actuellement et qu’on réalise que ce terme existe. Pourtant c’est simple : pour ne pas dire Sustainable Island Mauritius, on a mis SUS Island Mauritius.»

Mais ce lapsus d’un média proche du pouvoir a eu pour effet de réveiller les Mauriciens sur ce concept qui n’était pas connu. Et la réaction des internautes aura été brutale : «On peut légitimement s’attendre à ce qu’un professionnel de la communication et même du marketing ait été initié un tant soit peu à la sémiotique. Le jeu de mots est inévitable dans le champ lexical du Mauricien. Cela renvoie à un effet risible et pitoyable», souligne Joël Toussaint, professionnel de la communication. Il ajoute : «Si l’on s’adresse à une audience anglophone, l’effet est tout aussi désastreux. Le dictionnaire Oxford nous apprend que SUS revêt un caractère de suspicion. ‘Suspicion of having committed a crime’, ou ‘relating to or denoting a law under which a person could be arrested on suspicion of having committed an offence’.» Le fameux branding, selon lui, éveille aussi bien des suspicions, par exemple, sur ceux qui sont à l’origine de cette formule et qui auraient pu s’improviser dans un métier qui n’est pas le leur ! Un internaute qui veut garder l’anonymat, «de peur d’être arrêté», soutient que «le slogan SUS Island est une farce qui nous met mal à l’aise». Un autre qui habite en France partage : «Comme je suis ici et que cela représente le marché principal de Maurice, j’ai montré cela à quelques personnes et on m’a demandé SUS veut dire suspect ou suceur ?».

METTRE «SUSTAINABLE» PLUTÔT

Cependant, avec le plus grand sérieux, le président de l’Association of Tourism Professionals, Daniel Saramandif, met en avant : «SUS Island est un projet conjoint de la Tourism Authority et de l’Union européenne. Le but est de mettre l’accent sur le tourisme soutenable. Le but était d’aider le pays à afficher sa marque, comme destination ‘safe’, mais peut-être qu’ils auraient dû mettre ‘Sustainable’ au lieu de SUS...»

L’express s’est tourné vers le linguiste Dev Virahsawmy afin d’avoir son interprétation : «Le slogan SUS Island est mal inspiré. Pour les Mauriciens, cela sonne comme le mot ‘sucer’. C’est un cruel manque d’imagination. Mais le plus sérieux c’est que les autorités, dont la MTPA, n’ont toujours pas compris qu’il nous faut changer de direction. Il est temps d’abandonner le ‘beach tourism’. pour aller dans le sens du ‘culture tourism’. Il faut aller dans le sens de Salt of Palmar, mais nos autorités vont dans le sens contraire.» L’ancien ministre MMM du Tourisme et l’un des fondateurs de la MTPA, José Arunasalom, se demande, lui, «si un vrai brainstorming a été fait pour finaliser le slogan de SUS Island ?» Pour Arunasalom, «l’intention du tourisme durable est bien, mais ce slogan inapproprié vient gâcher le contenu du projet (...) Il faut revoir le titre. On aurait dû tirer les leçons de ‘Mauritius, c’est un plaisir’...»

Contacté par l’express, le Chairman de la Mauritius Tourism Promotion Authority (MTPA), le candidat battu du MSM au numéro un, Nilen Vencadasmy, n’a pas voulu commenter le choix de SUS Island. Le directeur de la MTPA, autre nominé politique ne maîtrisant pas les rouages du secteur touristique, n’a pas donné suite à nos appels. Au sein de l’organisme de promotion, l’on préfère de loin communiquer sur le «bold digital transformation», comme le souligne un communiqué signé Arvind Bundhun, directeur de la MTPA. Communiqué qui n’attire pas aurant de commentaires que SUS Island, cela va de soi...

Nous avons aussi essayé en vain d’avoir la version des faits du ministre du Tourisme, Steven Obeegadoo, sur ce slogan qui risque de faire encore parler de lui. Il aura donc tout le loisir de revenir vers nous, à sa guise.


RAPPEL HISTORIQUE. MAURITIUS C’EST UN PLAISIR

Beaucoup font un parallèle entre «SUS Island» et «Mauritius c’est un plaisir» . Pour rappel, le deuxième slogan est l’image de marque du pays qui a été lancée le 8 octobre 2009. Le «M» représente la montagne Pieter Both. Ce branding a été placé sous la tutelle du ministre du Tourisme d’alors, Xavier-Luc Duval, et les travaux ont duré 18 mois. La firme britannique Acanchi a conçu cette stratégie de marque, avec la participation d’un comité de coordination public-privé. Le but de cette nouvelle identité était de faire la promotion du pays tant auprès des touristes que des investisseurs étrangers. Toutefois elle a été décriée par de nombreux observateurs qui ont déploré le slogan et se sont étonnés du coût. L’image de marque a été réalisée par Acanchi au coût de Rs 39 millions. La cérémonie de lancement, à La Citadelle, a requis Rs 3,8 millions, un chiffre fourni le 3 août 2010 au Parlement par le ministre du Tourisme, Nando Bodha, en réponse à une question du député mauve Kavy Ramano. Cette somme a servi à payer, entre autres, la sonorisation, le podium, la décoration, la restauration dont un cocktail dînatoire à Rs 804 173 ou encore un spectacle. La polémique a enflé à tel point que Xavier-Luc Duval s’est publiquement défendu. Quelques jours après la séance parlementaire, le ministre de l’Intégration sociale a émis un communiqué où il dit regretter «une polémique alimentée principalement par l’opposition et répercutée, parfois de façon outrancière, par une partie de la presse». Dans la foulée, il a rappelé qu’Acanchi, qui a été choisie suivant un appel d’offres, est une firme de renommée internationale qui a déjà conçu le brand de plusieurs pays et régions.

Mais Nando Bodha, lui, a pris ses distances du slogan «Mauritius c’est un plaisir». Il a préféré «Divine île Maurice» à l’intention des Français ou encore «Weddings are made in heaven» ciblant le marché indien pour une clientèle mariages et lunes de miel. Par contre, Robert Desvaux était attaché à «Mauritius c’est un plaisir». Reconduit à la présidence de la Mauritius Tourism Promotion Authority (MTPA) le 12 août 2011, ce proche de Xavier-Luc Duval a annoncé le retour du slogan.

Mais «Mauritius c’est un plaisir» ne faisait décidément pas plaisir aux successeurs de Xavier-Luc Duval au ministère du Tourisme. Intervenant lors des assises du Tourisme le 2 juin 2017, Anil Gayan a affirmé que cette identité serait remplacée. Deux ans plus tard, l’Economic Development Board (EDB) a lancé un appel à manifestation d’intérêt pour des services d’un consultant en vue d’un «Country Branding» qui allie à la fois business et tourisme. L’exercice n’a pas encore été réalisé mais le projet de révision de la stratégie de marque a été conservé dans le Budget 2020-2021. Il y est stipulé : «To maintain the competitiveness of the industry, the MTPA and EDB will develop a new tourism branding strategy.» Il n’en demeure pas moins que le slogan «Mauritius c’est un plaisir» a marqué les esprits. Le 3 octobre 2019 lors du lancement du Metro Express, rétorquant à Xavier-Luc Duval, alors leader de l’opposition, sur les Rs 20 millions qu’aurait coûtées la logistique autour du lancement du métro, Nando Bodha a lancé à son adresse : «Komié ‘C’est un plaisir’ ti kouté?»