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Money Talks

24 mai 2020, 08:12

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60 milliards. Rs 60 000 000 000. C’est beaucoup d’argent. C’est 12 % du PIB de Maurice. C’est presque la moitié du Budget national. C’est bien la première fois dans l’histoire du pays qu’une telle somme est déboursée - un ‘One-Off’ nous promet-on — des coffres de la Banque centrale aux caisses du gouvernement. Le Covid (Miscellaneous Provisions) Bill et le coronavirus ont rendu possible ce transfert de fonds sans précédent. La mise en oeuvre des amendements apportés, dans l’urgence, n’a pas tardé. En moins de 10 jours.

Ce transfert des Rs 60 milliards qui suscite, avec raison, de vifs débats, en raison de son caractère encore nébuleux (on n’a pour l’heure qu’un communiqué assez laconique de la BoM), s’inscrit en ligne droite avec la mission de la Banque, nous assure Harvesh Seegolam. Voici ce que dit, dans l’express d’hier, le jeune et nouveau gouverneur de la Banque de Maurice : «Le rôle de la Banque de Maurice est de maintenir la stabilité des prix, de promouvoir le développement ordonné et équilibré au sein de la République de Maurice et d’assurer la stabilité et la solidité du système financier.» Harvesh Seegolam va plus loin : «Avec la mise sur pied de la Mauritius Investment Corporation, la Banque de Maurice est simplement passée au stade supérieur dans sa mission de protéger l’économie mauricienne. En venant en aide aux opérateurs économiques qui ont une importance systémique, la MIC entend éviter à ces entreprises de se trouver dans une situation financière irréversible et de provoquer une onde de choc qui affectera le système bancaire et, par ricochet, toute l’économie du pays. À travers le soutien qu’elle accordera aux opérateurs économiques systémiques, la MIC entend permettre à l’économie mauricienne de continuer à fonctionner et surtout, à préserver l’emploi…»

Comme il fallait s’y attendre, l’opposition parlementaire et extraparlementaire, mise devant le fait accompli, brandit déjà les dangers ou dérives associés à cette manoeuvre de haut vol, soit une mauvaise gestion de tous ces milliards. Xavier-Luc Duval rappelle que c’est un total de Rs 78 milliards que la BoM met à la disposition de l’État.«En début d’année, il y a eu un transfert de Rs 18 milliards du Special Reserve Fund.» Arvin Boolell, lui, maintient, que la MIC sera une deuxième SIC (State Investment Corporation). «La MIC pourra, à son tour, investir cet argent dans des corps parapublics ou autres institutions qui sont mal gérés ou qui ne respectent aucun code de la bonne gouvernance. Même le Parlement n’aura aucun droit de regard sur cet argent», note le leader de l’opposition. Pour Reza Uteem aussi, «cette décision démontre clairement que la Banque de Maurice est totalement téléguidée par le ministère des Finances. Rs 60 milliards, c’est trois fois le budget du Metro Express.» Il ajoute que l’argent sera versé dans une compagnie privée et, ce faisant, il y aura comme deux Consolidated Funds…

Ah bon ?

Pas facile de digérer tout cela pour le Mauricien lambda (pourtant il s’agit d’abord et avant tout de son argent qu’on parle !), surtout quand Xavier-Luc Duval maintient que «le gouvernement prendra encore de l’argent de la Banque de Maurice puisqu’il n’arrive pas à faire autrement. Il conduit le pays à la faillite»… Selon ses prédictions et son expérience d’ancien ministre des Finances, le gouvernement prendrait au total…Rs 120 milliards à la Banque de Maurice, soit l’équivalent d’un Budget national !

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Mais d’où vient tout cet argent, qui vient arroser le gouvernement de Pravind Jugnauth et apporter un respirateur artificiel à un Renganaden Padayachy, manifestement à bout de souffle ?

En fait, la méthode non conventionnelle qu’utilise la Banque de Maurice durant cette crise n’est pas un acte isolé. Le journal Le Monde éclaire quelque peu le débat : «Après deux crises économiques majeures, celle de 2008 et celle liée à la pandémie de Covid-19, les banquiers centraux sont devenus la clé de voûte de l’économie mondiale.» La Banque du Japon, la Banque centrale européenne et la Réserve fédérale américaine, entre autres, multiplient les programmes de soutien à l’économie, en prenant des décisions jadis impensables ou interdites. Que ce soit en termes d’Helicopter Money ou de Quantitative Easing ou encore de Money Printing, des termes savants qui passent, comme des hélicoptères, en effet, sur la tête du Mauricien, plusieurs pays le font actuellement.

Si on devait recourir à ce transfert de fonds puisqu’il n’y a pas d’autre choix, c’est sans doute le moment ou jamais de le faire. Il y avait un avant-Covid et nous préparons le post-Covid. La situation post-Lockdown a plongé non seulement le pays, mais le monde dans un désarroi pas possible. Chacun doit rivaliser d’astuces pour sauver l’économie, le pays et l’habitant.

Et si, en juin 2019, notre éditorial qui s’intulait Ne pillez pas la Banque de Maurice, soulignait qu’«après Air Mauritius et ses pertes par milliards et la SBM et ses ‘non-performing loans’, c’est désormais la Banque centrale qui va faire les frais de l’interventionnisme de ce gouvernement – qui ne respecte pas l’indépendance des institutions. Voilà de quoi alimenter les craintes des institutions internationales et des agences de notation !», la donne a depuis changé. Reconnaissons-le.

Le spectre des 100 000 chômeurs est bien réel. Nous constatons la panique au sein de nos entreprises et sur le visage de nos entrepreneurs. Regardez autour de vous. Écoutez vos collègues.

Un an plus tard, à l’ère du coronavirus, c’est n’est non seulement une partie du Special Reserve Fund mais un pourcentage des réserves nationales – (soit les Rs 280 milliards) – qui sera prélevé. On ne connaît pas encore tous les détails. Une discussion avec le gouverneur de la Banque centrale permettrait d’en savoir plus. Une discussion que nous avons déjà commencée, du reste.

Qui va gérer tout cet argent ? Où investir ? Qui sauver ? Va-t-on innover en aidant le décollage de l’économie verte ? Avons-nous des experts sophistiqués en gestion de Private Equity Funds de cette magnitude ? Comment garantir la stabilité des prix s’il n’y a pas d’Inflation Target défini ? Ailleurs, aux États-Unis et en Europe, la manoeuvre est permise, durant une période et avec un seuil d’inflation – normalement dans les 2 % – bien définis. Ici, c’est encore le flou. 

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Essayons de comprendre la ponction.

Spéculons – puisqu’on n’a pas encore tous les détails. Dans le Special Reserve Fund, il y aura, selon le dernier rapport de la BoM, au 30 juin, quelque Rs 40 milliards (Item Total Comprehensive Income - Total Equity). Si disons on puise Rs 20 milliards de cette somme – c’est ce qu’on appelle Helicopter Money – la BoM devra alors chercher encore Rs 40 milliards. Logiquement des Rs 280 milliards – qui couvre une douzaine de mois d’importation pour le pays. Ce qui ramènera le nombre de mois à 8-10 mois ? 

Comme cette année, la balance de paiement sera négative — avec l’arrêt brutal du tourisme, de la vente des villas et du secteur manufacturier — il y aura une soif pas possible pour des devises. De toute façon, les reserves auraient servi à palier le manque, n’est-ce pas ? Reserv pann fer pou fer zis zoli !

Tout compte fait, l’idée non-conventionnelle d’utiliser cette somme d’argent n’est pas mauvaise en soi, mais tout dépendra de son exécution et de ceux qui en auront la lourde charge. Si on gère la MIC comme on a géré Air Mauritius, et qu’on y place des incompétents, c’est tout le pays qui va piquer du nez. C’est un couteau à double tranchant. Prions que ça passe, sinon la casse sera mortelle pour nous tous, davantage que le coronavirus. Autre dilemme conceptuel : comme le debt ceiling a été enlevé, jusqu’où peut-on emprunter ? La spirale de la dette a donc des consequences. Et le FMI était contre cette tactique ? Ajouté à la Grey List de la FATF et à la Black List de l’UE, cela ne fera pas trop joli joli sur la scène mondiale, à côté des Pariah States et pourrait faire fuir des investisseurs… L’isolation, pour une petite économie insulaire comme la nôtre, serait une infection mortelle. 

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J’ai posé la question sur le ‘one-off’ de Rs 60 milliards au prédecesseur de Harvesh Seegolam. Voici ce que m’a répondu Ramesh Basant Roi :“One-off? It’s an inaugural amount. When money is freely available, the appetite for spending is fathomless. Once a person gets used to spending like a drunken sailor, there is no end to it. Like drug addicts, the Government will progressively feel for the old ‘kick’ in larger and larger and more frequent doses.”

L’économiste Basant Roi n’est pas sur la même longueur d’onde que l’économiste Sithanen qui avait lancé, dans «l’express», le terme Helicopter Money en premier dans le débat public mauricien. Basant Roi de renchérir : “Last year, the BoM Act was amended to make available to the Government any amount of money from the Special Reserve Fund (SRF) of the BoM for the specific purpose of external debt repayment. A token amount of Rs18 billion from the SRF was drawn down subsequently (partly) for purposes other than initially intended. This year it’s a one-off Rs60 billion forked out directly from the vault of the BoM, not from the Bank’s balance sheet. There is no sunset clause in the amendments of the BoM Act. Government finance at ground zero, we should expect more forking and forking over the next few years. Digging and forking will go on. The BoM is now the fathomless back-pocket Insurance Company of the Ministry of Finance…” 

Souhaitons que Ramesh Basant Roi, pour une fois, se trompe ! Et que tout se passe bien, pour nous, ici, à Maurice. Maintenant que le vin est tiré, il va falloir le boire… et rester sobre.