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Trafic de drogue: «Des singes utilisés comme passeurs»

15 décembre 2019, 21:30

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Trafic de drogue: «Des singes utilisés comme passeurs»

L’histoire est déroutante, surprenante. Selon des «témoins privilégiés» qui souhaitent garder l’anonymat pour des raisons évidentes, des «zako» sont utilisés comme «zoké». Nous sommes allés voir pour y croire.

Tous les moyens sont bons pour que la police ne vienne pas chercher la petite bête. Ainsi, les trafiquants de drogue se forcent à trouver des nouvelles idées, de nouvelles astuces… Et elles ne manquent pas, visiblement. Car, figurez-vous que ce seraient désormais des… singes qui feraient office de passeurs…

Nos sources – celles qui nous ont révélé l’incroyable histoire – souhaitent bien entendu garder l’anonymat, pour ne pas subir de représailles. Dans ce faubourg de la capitale, depuis plusieurs mois déjà, des «patrons» utiliseraient des «zako kouma zoké»... Mieux : «Bann zako-la konn rékonet biyé Rs 200, Rs 500 mem Rs 1 000. C’est également eux qui distribuent régulièrement des ‘doses’ à ceux qui y viennent pour s’en en procurer. Ils sont habitués et formés pour cela», souligne-t-on…

Cela fait deux semaines que nous envisageons de nous rendre sur les lieux pour un reportage. Comment faire pour ne pas se faire reconnaître ? Et s’ils découvrent que nous sommes journalistes ? Nous avons donc sollicité l’aide d’un habitant du quartier, chaud, bouillant… Ce dernier, toxicomane étant un client régulier, passe inaperçu sur place. Il fait de son mieux pour ne pas éveiller les soupçons des «bos-la»… «Tout le monde le sait. Ici, la drogue coule à flot. Gramatin ziska tanto ou kapav gagn li. Ti zénes enn zourné alé vini», souligne notre interlocuteur. Munis de nos caméras, nous n’avons pas droit à l’erreur au risque de se faire démasquer ou d’attirer l’attention des principaux concernés, raison pour laquelle nos images ne sont pas de bonne qualité.

Héroïne, cannabis, drogue synthétique, en veux-tu en voilà. «Ou bizin dimandé ki oulé», explique l’habitué. Cependant, tout le monde n’est pas admis, encore moins accepté. «Ou bizin swa res par isi, swa enn kamwad sir amenn ou. Normal ki zot mari méfian.» Pour sa dose quotidienne, il faut débourser dans les Rs 400 pour un demi-quart de «brown sugar». Leur connexion ? Un lien avec les gros calibres ? «Ah non, zot pa bann ti vander sa… Souvan trouv gro boné isi…»

Dehors, les cases en tôle, les maisons en béton collées les unes aux autres, hormis la drogue, la précarité règne en maître ici. On a l’impression que la chaleur y est deux fois plus infernale, les sols en terre ne pardonnent pas aux chaussures.

La «demeure» du «cerveau» ne se démarque pas forcément des autres. «Mais ceux qui y viennent sont au courant. Après toutes ces années, tout le monde dans le quartier sait très bien ki isi mem baz-la.» Notre guide est dans son élément. Il nous demande de ne pas nous aventurer de trop près. «Si zot trouv nouvo vizaz, zot pou douté ki éna zafer pa bon. Après quand ils le verront sur les journaux, je serai moi aussi en danger car ils risquent de faire le rapprochement.» Pourquoi a-t-il accepté de nous aider ? «Parski pa enn bon zafer pou landrwa… Mo pa anvi fami dimounn, zénes tom ladan…»

Quid de la police ? Pas de véhicule de patrouille, de «misié» dans les parages, non. Ceux qui viennent prendre livraison de la marchandise n’ont pas l’air de s’inquiéter. La plupart des clients sont des jeunes, ils font et refont le même trajet, jusqu’à trois à quatre fois dans la même journée. «Ils partent à chaque fois chercher des sous pour pouvoir s’en procurer davantage.»

Un des amis de notre interlocuteur est présent sur les lieux. Il est âgé d’une trentaine d’années, attend aussi d’être servi. «Bizin sa pou viv ! Isi nou koné toulétan éna», indique-t-il, sans vouloir trop vouloir se livrer. D’autres soutiennent qu’ici, on peut consommer sa dose sur place, «san ki lapolis vinn met néné dan ou zafer. Bann dimounn dan landrwa ousi koné ki déroulé isi, zonn fini abitié».

Mais revenons-en à nos moutons. Ou plutôt à nos singes. Jusqu’ici, personne n’avait entendu parler d’une telle tactique. Le «patron», ici, utilise des «zako», qui ont été entraînés à devenir des «zoké». Les petites bêtes sont au nombre de trois. «Ils sont là depuis qu’ils sont bébés. Ils sont capturés sur la montagne, puis ramenés ici pour faire le sale boulot.» S’il a fait appel aux singes, c’est parce que ces derniers risquent moins d’éveiller les soupçons. «Zot gagn trapé ousi zot pa pou kapav vann lames…»

Au loin, nous apercevons la tête de l’un deux, à côté de celle d’un homme. Tous deux sont perchés sur un barrage en tôle. L’animal semble attentif. «Plizier fwa bann zako-la ki ramas kas. Zot konn rékonet biyé. Ek zot mem donn zafer-la tou. Ils font exactement comme le feraient les passeurs humains.»

Cependant, pour avoir un contrôle permanent sur les singes, ces derniers sont attachés aux pieds. «Mais ils sont inoffensifs. Des fois, leur maître les laisse se promener. Ils en profitent pour jouer, grimper partout…» Est-ce qu’ils consomment eux-mêmes de la drogue ? Y ont-ils déjà goûté ? «Mo pa krwar, sinon kan zot ti pou gagn sa zot ti pou fini konsom li.»

Le reste du temps, quand ils ne travaillent pas, les singes restent à l’intérieur de la maison. «Quelqu’un nous a également raconté qu’ils ont été formés au combat de sorte à ce qu’ils attaquent si jamais la police ou des intrus débarquent sur place. Kan zot pou vinn pli gran, zot pou vinn pli féros…» Ces «zako zoké» sont âgés de plusieurs mois déjà. «Au début, nous n’en croyions pas nos yeux quand nous les regardions agir comme des passeurs. Aujourd’hui, c’est presque normal. Nous nous y sommes habitués. Nous n’avons même pas peur d’eux», poursuit notre complice.

Peu d’informations transpirent cependant sur le trafiquant lui-même. Lui et les autres dealers du quartier sont plutôt connus sous des sobriquets les uns plus évocateurs que les autres. «Il y en a deux qui sont issus de la même famille… Ils habitent le quartier depuis un certain temps déjà. Ils n’ont jamais été inquiétés par la police alors qu’ils vendent leur drogue au vu et au su de tous. Sof ki isi, lapolis pa rod rantré. Tro so isi.» Mais il est important, répète notre homme, que des actions soient prises pour que nos enfants ne subissent pas le sort de ceux qui ont été happés dans cet univers infernal…

Notre visite guidée est sur le point de se terminer lorsqu’on nous invite à «vinn gété kouma konsom brown». «Mé pa met mo figir nanié la ein !» lâche notre contact. Direction un «repaire», situé à quelques mètres plus loin. C’est le calme plat en ce début d’après-midi. Le lieu est désert. «Avec la chaleur et le soleil, les enfants ne viennent pas s’y aventurer. Tanto kan zot sorti lékol, nou bouzé. Nou al rod lot plas lerla.»

Il faut dire que notre guide est déjà bien préparé. Il est armé jusqu’au cou. En compagnie d’un de ses amis, il commence à préparer sa dose, achetée un peu plus tôt. Briquet, cuillère en métal, seringue, bouchon… et s’est parti. Le demi-quart d’héroïne est placé dans le bouchon, qu’il fait ensuite chauffer à l’aide du briquet pendant quelques secondes, voire une minute. Le tout est ensuite aspiré par la seringue, qu’ils s’injectent par la suite à tour de rôle.

La chose qui frappe à première vue, c’est le manque d’hygiène. La seringue, à plusieurs reprises, est posée à même le sol. Et puis, il y a les risques liés au partage de seringue… «Avant oui, nous avions peur, nous faisons plus attention. Mais maintenant, on a l’habitude. Nous le faisons pendant des années et des années. Si éna pou gagn malad, bé nou bizin inn fini gagn li ! Pa aster ki nou pou pran prékosion…»

Par ailleurs, il n’y a pas que l’héroïne. «Tou séki gagné, nou pran. Mé ek sa, ek enn ti dose gagn bel nisa.» Il arrive qu’ils se piquent plusieurs fois par jour aussi. Sachant très bien des risques qu’ils encourent. «Plusieurs de nos amis sont morts des suites d’une overdose. Isi mem ou koné komié finn alé akoz sa?» Mais ils ne peuvent pas s’en passer. «Si arété ousi nou mor la, lékor-la fini abitié ek sa.»

En sus de cela, notre informateur, qui connaît bien cette région, dit détenir d’autres informations sur le trafic de drogue dans cette partie de l’île. «Mo finn trouv boukou zafer. Mo finn konn boukou dimounn.»

Comment la drogue arrive-t-elle jusqu’ici ? «Sa vinn dan bel bel BMW. Bann bel zom ki amenn sa. Zot pa per nanié sa. Ou koné komié kas zot pé fer ar sa ?» Une idée de la provenance de ces substances illicites ? «Non, aucune idée. Zamé pa finn dimandé ousi, pa bon poz boukou kestion. Madagascar mo kwar!»

Quoi qu’il en soit, les «zako zoké», leur maître, les gorilles et les autres continuent à s’adonner à leurs activités en toute sérénité, en toute illégalité. Prochaine étape pour innover et fuir les forces de l’ordre ? Pas d’indice pour le moment…