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Le «noubannisme» érigé en credo politique

7 décembre 2019, 07:28

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Seraient bien naïfs ceux qui se disent surpris ou choqués par la nomination de Pradeep Roopun aux fonctions de président de la République. Cette initiative du Premier ministre Pravind Jugnauth vient consacrer le credo du noubannisme, qui a été mis en évidence lors de la proclamation des résultats aux dernières élections générales.

Nou bann, nou dimounn, nou montagn, nou power base – ce sont là les termes qu’on emploie pour désigner la clientèle électorale spécifique d’un parti politique. Avant 2014, la famille Jugnauth se contentait de mont dadak sur un grand parti et apporter sa contribution à la réussite électorale de l’alliance dont elle faisait partie. Mais depuis 2014, les Jugnauth père et fils se sont attelés, avec une rare détermination, à la tâche d’agrandir et consolider une power base contrôlée à tour de rôle par le Parti travailliste et le MSM.

Depuis 2014, la situation a changé de façon radicale en faveur du MSM. L’exploit d’avoir réussi à battre à la fois le Parti travailliste et le MMM a donné à la famille Jugnauth une confiance en soi qu’elle a bien exploitée. L’opération menée contre Navin Ramgoolam autour de nombreuses affaires, dont celle des coffres-forts saisis chez lui, a donné des résultats favorables au MSM. Du moins, c’est ce qu’on peut conclure sur la base des résultats des dernières élections générales.

À moins que les différentes pétitions électorales viennent prouver qu’il y a eu fraude massive dans le style parfaitement maîtrisé par les Indiens, tant sur le plan de la manipulation physique des urnes et des bulletins que celui du tripotage électronique grandement favorisé par l’innovation 2019 qu’a été l’aménagement des computer rooms dans les centres de vote et l’octroi d’un contrat à la State Informatics Ltd (SIL), une entité entièrement contrôlée par le ministère de la Technologie, de la communication et de l’innovation. D’ailleurs, le nouveau ministre a cru bien faire lorsque, sur sa face Facebook, il a placé la SIL parmi les organismes sous sa supervision.

Les Jugnauth, dont l’efficacité politique surclasse de loin celle de leurs adversaires politiques, ont bien vite compris qu’ils ont une clientèle précise, tant sur le plan sociologique que géographique, à soigner afin d’en tirer des bénéfices politiques et électoraux à long terme. Dans ce contexte, la première grande initiative post-électorale a été la promotion sur le Front Bench de Leela Devi Dookun-Luchoomun. De numéro 9 dans la hiérarchie ministérielle après les élections de 2014, la ministre Dookun-Luchoomun a maintenant été propulsée numéro 3 du gouvernement. Ce fut un message bien fort qu’on donnait à la clientèle visée.

Puis est venue la nomination de Sooroojdev Phokeer comme speaker. Comme Maya Hanoomanjee, Phokeer entretient de solides liens familiaux avec le clan Jugnauth. Ce poste de speaker revêt une importance capitale dans le contrôle politique des activités du Parlement de même que dans celui du comportement des membres, dont ceux de l’opposition. Maya Hanoomanjee a été d’une rare efficacité dans ce domaine, en désarticulant les membres de l’opposition qui auraient autrement donné du fil à retordre aux ministres et au Premier ministre en particulier. Bien que la loyauté de Phokeer envers le clan familial ne saurait être mise en doute, tout laisse croire que du beau spectacle est à prévoir à la rentrée parlementaire.

Il faut aussi pouvoir situer l’importance de la nomination de Maya Hanoomanjee en Inde. En termes d’investissements à coups de milliards, l’Inde est devenu le partenaire étranger no 1 de Maurice. De grosses sommes d’argent sont en jeu. Formé à l’école du Seva Shivir de Harish Boodhoo, l’actuel haut-commissaire Jugdish Goburdhun est certainement plus à l’aise avec des swamis qu’avec des requins de la finance et de l’industrie en Inde.

Après Dookun-Luchoomun et Phokeer, enter Pradeep Roopun. Encore une fois, c’est un message de ralliement «qu’on» lance aux nou bann solidement implantés dans les circonscriptions allant du no 4 au no 14. «On» leur a aussi fait comprendre que les «méchants» qui ont voté contre «nous» n’obtiendront pas de faveurs. Au contraire, ils ont un prix à payer. «On» fait une petite exception pour Ivan Collendavelloo, Anwar Husnoo et Eddy Boissezon, car ils sont perçus comme des alliés tactiques, soutenant la famille Jugnauth à leurs risques et périls, s’exposant même à un lynchage…

Des dirigeants politiques et des observateurs aussi ont eu tort de s’attaquer à la personnalité de Roopun, perdant de vue les vraies manœuvres politiciennes du MSM. Roopun n’est pas le premier homme ou femme de parti à s’installer au Réduit. Avant lui, on a connu Cassam Uteem, Karl Offman, Kailash Purryag, Monique Ohsan-Bellepeau, entre autres. Le seul personnage de cette liste qui échappe à la classification partisane a été Ameenah Gurib-Fakim.

D’autres observateurs ont fait des remarques sur la personnalité même de Pradeep Roopun. Au fait, Roopun a fait des études de droit en Grande-Bretagne et il est un avoué qualifié. Qui plus est, il a été chargé de cours à l’université de Maurice. Autant qu’on le sache, on ne confie pas l’avenir académique de nos jeunes à des colleurs d’affiches.

Comme dans le cas d’autres personnalités nommées, Pradeep Roopun prouvera au moment opportun qu’il sert la cause des Jugnauth. En effet, dépendant du cheminement des pétitions électorales, des problèmes pourraient surgir si jamais la solidité du gouvernement est menacée. Dans ce contexte, Roopun saura dans quelle direction trancher. Ce que les Jugnauth évitent avec Roopun, c’est quelqu’un qui part sur un ego trip au Réduit et joue au rival du Premier ministre, se présentant lui aussi comme un centre de pouvoir, contestant des nominations ou des projets de loi qui nécessitent son approbation.