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Pierre Dinan: «Les politiciens ne s’intéressent pas suffisamment à la démographie»

23 octobre 2019, 20:00

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Pierre Dinan: «Les politiciens ne s’intéressent pas suffisamment à la démographie»

En pleine période de surenchère électorale, l’on accorde peu d’importance aux indicateurs économiques. Intéressons-nous aux difficultés financières du pays et aux possibles solutions. Pour juger des manifestes électoraux…

En pleine période électorale, est-ce normal que les leaders d’alliance fassent l’impasse sur les enjeux économiques ?
Non, ce n’est pas normal car gouverner un pays c’est, entre autres, s’assurer que le pays puisse continuer à fonctionner convenablement pour le bien de tous. Il faut s’assurer que la machine économique marche bien. Je me souviens qu’autrefois les partis politiques présentaient un manifeste électoral incluant les mesures pour l’économie mais maintenant on ne voit guère de manifeste.

Il est nécessaire d’avoir un programme qui assure que l’économie du pays est planifiée sur le long terme et non pas que sur cinq ans. Il faut que la vision soit durable. Se limiter à un programme économique sur cinq ans n’est pas suffisant, il faut s’assurer que la santé économique soit durable et soutenable.

Il y a une chose à laquelle les politiciens ne s’intéressent pas suffisamment aujourd’hui, c’est la démographie mauricienne. Nous nous retrouvons face à une population déclinante et vieillissante, avec de moins en moins de force vive.

Passons cela en revue. Quels sont les défis économiques qui nous guettent et pourquoi ?
Il y a d’abord les défis nationaux. Ensuite, il y a aussi les facteurs internationaux.

Pour commencer nous nous retrouvons avec nos industries existantes, les piliers de notre économie; c’est-à-dire le sucre, la zone franche, le tourisme, le secteur financier transfrontalier et les TCI qui font face à des difficultés considérables, surtout la canne à sucre et la zone franche spécifiquement, le secteur manufacturier, qui se retrouve avec des difficultés pour rester compétitif.

Les produits de la zone franche sont en particulier destinés aux marchés internationaux, toutefois, notre pays se retrouve avec une main-d’œuvre qui n’est plus aussi bon marché qu’à l’époque. Avant, notre atout c’était justement cette main-d’œuvre bon marché. Entre-temps, notre développement a fait grimper le coût de la vie et cela a été récemment renforcé par le salaire minimum.

Êtes-vous contre le salaire minimum ?
Je ne suis pas contre le salaire minimum mais cela a fait que le salaire mauricien s’est développé. Donc nous n’avons plus de main-d’œuvre locale abondante.

Le concept de zone franche comme nous le connaissons fonctionne pour les pays au bas de l’échelle à l’instar de Madagascar, ce qui fait qu’ils sont nos concurrents principaux. Notre modèle est donc dépassé et doit s’adapter.

Pour le tourisme, nous avons les Seychelles qui sont un concurrent sérieux et les Maldives qui ont su attirer les Chinois. Ce secteur doit donc aussi revoir son modèle. Il ne suffit pas d’attirer des Européens ici pour la plage, le soleil et la mer, il nous faut proposer quelque chose qu’ils ne trouveront pas aux Seychelles ou aux Maldives, il faut se distinguer. Comment le faire ? Il faut offrir également la culture, qu’ils voient notre métissage, les cultures et religions, il faut que les touristes sortent des hôtels mais, pour cela, les villes doivent être équipées pour recevoir les touristes.

Maintenant le secteur financier, nous sommes sous le coup de la modification du traité de non-double imposition avec l’Inde. Ce secteur doit aussi apprendre à se réinventer. Pourquoi ne pas se tourner vers l’Afrique ? C’est un continent immense et avec grand besoin de finance. Maurice qui sait comment offrir des services de gestion à de gros investisseurs doit se tourner vers l’Afrique. Il faut un nouveau service de qualité pour les Européens et les Américains qui veulent profiter des opportunités que l’Afique offre. Le gouvernement doit s’assurer que les relations diplomatiques entre les pays d’Afrique et Maurice s’améliorent. Nous devons montrer que nous sommes Africains nous aussi.

Au niveau des TCI, il n’y a pas suffisamment de jeunes dans le domaine numérique, il faut les encourager à se familiariser avec ce secteur.

Et au niveau international ?
Pour l’international, le Fonds monétaire international (FMI) a fait une projection de la croissance économique mondiale qui se voit réduite. C’est une indication que l’économie mondiale ne va pas très bien. Il y a la guerre commerciale opposant Trump à la Chine, avec pour résultat que la Chine se débat et arrive difficilement à progresser comme ses dirigeants le veulent et cela affecte les pays qui fournissent la Chine. En Europe il y a le Brexit avec des retombées négatives pour la Grande-Bretagne, les pays d’Europe et les pays qui travaillent avec eux.

Augmentation de la pension de vieillesse, révision du salaire minimum... la question reste : comment le gouvernement subventionnera tout cela ?
La pension est universelle à 60 ans or, l’âge de la retraite est fixé à 65 ans. Il faudra payer ça en prenant du Budget qui est déjà déficitaire. La solution serait de booster la croissance, ce qui n’est pas gagné. On dépense plus pour la pension que pour l’éducation ou la santé, c’est incroyable ! On favorise les vieilles personnes mais les forces vives qui restent sont sur la touche. Il faudrait procurer plus d’aptitudes aux jeunes en misant surtout sur le numérique.

Et si l’idée est de booster l’économie par le biais de la consommation est la bonne méthode ?
Maurice est une petite économie, nous avons très peu de ressources. Nos principales ressources sont le soleil, la mer, les plages et la nature. Nous n’avons rien dans notre sol. Nous importons presque tous nos besoins en nourriture et en matières premières. Pour importer il faut des devises et donc il faut exporter. Plus de moyens veut dire plus de consommation mais cela veut aussi dire plus d’importation. Je veux bien que la consommation et l’importation augmentent mais faut-il encore qu’il y ait plus d’exportation !

Parlons un peu de taxe. Cela n’est-il pas le moyen post-électoral le plus efficace pour renflouer les caisses ?
Non, ce n’est pas le moyen le plus efficace. L’économie c’est aussi penser au social, enrichir le pays pour mieux partager. Il faut taxer de manière raisonnable. 15 % c’est suffisant. Ce qu’il faut c’est la croissance.

Nous sommes en période de surenchère électorale. Le niveau de la dette publique peut-il encore soutenir tous les cadeaux ?
La dette représente environ 65 % de notre PIB. Certains diront que ce n’est pas grave, vu que certains pays ont des niveaux de dettes encore plus élevés. Moi, je dirai qu’il faut faire attention. Ne nous comparons pas à des pays développés. Il faut encore monter un palier dans notre développement. La dette est bonne quand le développement est durable et rapporte davantage sur le long terme, mais elle n’est pas bonne quand il s’agit de projets qui, au final, ne rapporteront pas plus.

L’accord de libre-échange signé la semaine dernière avec la Chine assure l’exportation de sucre local pour une valeur de 40 millions de dollars. Cela peut-il aider ?
Oui, c’est très bien. Toutefois, attention, un accord va dans les deux sens ! Nous ouvrons aussi notre marché à la Chine. Je ne connais pas les détails mais la question est : avons-nous pris assez de précautions ? Quel article chinois entrera plus facilement dans notre marché ? Nos produits locaux souffriront-ils ? Cela dit, tout argent en plus à notre industrie sucrière est bienvenu.

Cet accord favorise aussi l’exportation de produits mauriciens sur le marché chinois. Toutefois, avons-nous une chance de percer sur ce marché ?
C’est possible, tout dépendra de notre coût de production surtout. Il faut améliorer notre productivité par la connaissance numérique ; c’est notre méthode de travailler qui doit changer. La main-d’œuvre abondante n’existe plus, c’est pour cela qu’il y a tant de travailleurs étrangers. Je ne suis pas contre mais là aussi il faut faire attention pour éviter un problème social.

La balance commerciale est de moins en moins équilibrée. Comment rebooster l’exportation ?
En remotivant nos industries. Nous avons une ressource pas suffisamment exploitée; notre ressource maritime. Nous avons l’exclusivité d’exploitation sur 2,3 millions de kilomètres carrés d’espace maritime incluant 0,4 million de kilomètres carrés que nous partageons avec les Seychelles. Ces derniers exploitent mieux que nous cette ressource. Où en sommes- nous ?

La pêche est une industrie peu conséquente. À part la pêche, n’y at- il pas autre chose à faire avec cet espace ? Tout gouvernement devrait s’y intéresser, faire des études dans ces régions maritimes et il faut l’appui de nos pays amis aussi. Cela peut booster notre croissance économique.