Publicité

Acquittement chez les uns, spin papal raté chez les autres

14 septembre 2019, 07:10

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

L’acquittement, hier, de l’ancien Premier ministre Navin Ramgoolam dans l’affaire Roches-Noires vient à un moment crucial dans le jeu politique mauricien. Le pays s’achemine vers des élections générales, avec la dissolution automatique du Parlement prévu pour le 21 décembre. Cette affaire était la plus damaging de toutes les accusations qui ont été portées contre Navin Ramgoolam depuis 2015. Car elle reflétait des aspects scabreux, avec tentatives alléguées de cover-up et la présence d’une femme. Le coté le plus abject de toute cette histoire avait été le retournement de veste de Rakesh Gooljaury, un ancien marchand de «merveilles» devenu homme d’affaires brassant des centaines de millions. L’acquisition de ce témoin a sans doute nécessité la mobilisation de fonds colossaux. 

Navin Ramgoolam a fait face a pas moins de douze charges et il a été acquitté sous toutes les accusations sauf l’affaire Roches-Noires et le procès sur les Rs 220 millions retrouvées dans ses coffres-forts. L’affaire des coffres-forts a été évidemment la moins damaging car c’est un fait établi que tous les leaders des grands partis politiques reçoivent des contributions avant les élections générales. Les généreux donateurs sont principalement des sociétés privées mauriciennes et de riches partisans mais aussi des amis étrangers, dont des hommes – et des femmes aussi – au pouvoir. Dans le cas du MSM, ce parti a reçu d’énormes dons de Dawood Rawat, même après les élections. Au lieu de placer cet argent dans un compte offshore ou monter bâtiment, clinique ou hôtel de luxe, Navin Ramgoolam, pour des raisons propres à lui, a voulu garder les contributions dans des coffres-forts. On lui prêtait néanmoins l’intention de doter son parti d’un quartier-général. 

L’acquittement de Navin Ramgoolam et ses répercussions sur le plan politique ne pouvaient se produire à un pire moment pour son principal adversaire, c’est-à-dire Pravind Jugnauth, et le MSM. En effet, les images vidéo et photographiques prises au château du Réduit lors de la visite du Saint-Père et mettant en vedette la famille «royale» ont été très mal accueillies par des Mauriciens, qui y ont vu une tentative de détournement de la presence papale à des fins politiques. Pourtant, la stratégie visant à rallier une partie de l’électorat à la cause du MSM semblait avoir bien marché – du moins sur papier – avec l’exploitation partisane et ethnique des Jeux des Îles.

Toujours dans le cadre de cette stratégie sectaire, on s’attendait à ce que la visite papale offre au MSM une bonne quantité d’accroches (sound bites) et d’opportunités de photo et de vidéo pouvant être exploitées dans le cadre d’une campagne électorale. D’ailleurs, la présence de Vikram Jootun parmi les personnalités de marque réunies au château du Réduit lors de la visite du pape n’était pas fortuite. Jootun est le directeur-général de la Mauritius Film Development Corporation et quand il n’assiste pas au Festival de Cannes ou autres fêtes cinématographiques dans le monde, il fonctionne comme le vidéographe inofficiel du Premier ministre lui-même.

Les moissonneurs au service du MSM étaient donc bien équipés et mobilisés pour récolter le maximum de dividendes politiques de la visite papale. Malheureusement, la symphonie ne s’est pas jouée d’après les notes préparées dans la cuisine. Au départ même, c’est-à-dire à l’arrivée du pape sur le sol mauricien, il était évident que le scenario conçu par Lakwizinn n’allait pas marcher. 

Se démarquant radicalement de la culture de faste et d’opulence du gouvernement, le pape a choisi de prendre place dans une Renault Mégane, modèle talisman pour certains. Qui plus est, il a pris place sur le siège avant, à côté du conducteur. Plus démocratique et modeste que ça, tu meurs. Par contre, si le pape, portant son chapeau de chef d’État, avait pris place sur le siège arrière de la BMW blindée de Pravind Jugnauth, Vikram Jootun en aurait fait tout un festival. 

Maintenant, au niveau du sound bite. L’idéal aurait été un hommage appuyé au «jeune» Premier ministre (il aura quand même 58 ans en décembre, mais nettement jeune par rapport à son papa) qui conduit le pays à des sommets jamais atteints dans l’histoire d’un pays d’Afrique, au gouvernement qui assure un développement économique soutenu, qui est appelé à placer Maurice dans les rangs des pays industrialisés, qui a introduit l’intelligence artificielle, le métro léger, la Safe City, etc. Mais non, le pape a fait état d’«un constat pénible» car s’«il y a eu croissance économique, les jeunes n’en profitent pas car ils souffrent le plus de l’effet du chômage». En effet, les dernières statistiques officielles prouvent que les jeunes sont sévèrement frappes par le chômage. 

Le pape a aussi parlé indirectement du fléau de la drogue, faisant explicitement allusion aux «marchands de la mort». L’ampleur du problème de la drogue et les ramifications politiques des trafiquants est mieux illustrée par cette affaire de cocaïne saisie dans une tractopelle le 10 juillet dernier. 95 kg de cocaïne, d’une valeur marchande de Rs 1,4 milliard, avaient été retrouvés dans une tractopelle débarquée à Port-Louis en même temps que Mauricio, le premier tram arrivé à Maurice. 

Pour un pays déjà initié à l’intelligence artificielle et qui dispose d’énormes moyens de surveillance humaine et électronique, surtout avec le déploiement des 4 000 caméras de Safe City, l’on se demande comment les autorités n’ont pas réussi à percer le mystère sur cet importateur peu commun plus de deux moins après l’arrivée de cette cargaison de cocaïne. Avant cette affaire de tractopelle, il y a eu l’arrestation de Geeanchand Dewdanee, un homme proche de Lakwizinn, dont il assurait l’approvisionnement en fruits de mer quand il ne partait pas en Inde comme une VVIP. L’importateur de cocaïne est-il un intouchable ? Tout compte fait, si la visite papale a rendu un Mauricien vraiment heureux, il s’agit bien de Navinchandra Ramgoolam.