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De la terre, des politiciens et du pouvoir

16 juillet 2019, 06:50

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De la terre, des politiciens et du pouvoir

Depuis la nuit des temps, traversant les siècles, les continents et les océans, la question de la terre – soit son acquisition, son exploitation ou sa dépossession – soulève les passions et enflamme les esprits. Notre pays n’y échappe pas. En avril dernier, les partis politiques se sont tous déplacés pour se faire voir en compagnie de Clency Harmon, qui se disait/dit victime de dépossession de terres.

Dans un brillant exposé, subtilement titré Du Jardin de la Compagnie aux terres d’Ébène, la guerre des Terres (à lire sur lexpress.mu), l’historien Jean-Claude de L’Estrac remonte aux origines du Land Tribunal promis au négociateur Jack Bizlall. De L’Estrac démontre que la question de la terre mêle l’esclavage, le colonialisme, l’engagisme, les concessions, les discriminations, le droit ou le passedroit avant même qu’ils ne soient couchés sur le papier. On peut facilement rajouter le capitalisme et ses travers d’antan qui ont la vie longue, les inégalités foncières et sociales, les hommes de loi et les arpenteurs jurés complices d’une mafia des terres, les profiteurs et les victimes du Sale By Levy. À Maurice, on l’a souvent écrit ici même, si on a finalement eu le courage d’instituer une commission appelée «Truth and Justice» afin de tenter de réparer les crimes (si tant que c’est possible) et d’apaiser les séquelles de l’esclavage et de l’engagisme, d’obscurs lobbies ont fait pression, en 2011, peu après la publication des six rapports de la commission Justice et Vérité (CJV), pour que ceux-ci ne soient pas accessibles dans leur intégralité au grand public, y compris aux parlementaires. Un précédent éditorial s’interrogeait sur ces lobbies qui font tout pour que la réparation des descendants des victimes des crimes fonciers ne soit pas effective. C’est une question que soulève, souvent, Vijaya Teelock, un des trois membres de la CJV : «(...) It was clear we had upset many people and many wanted the commission shut down as soon as possible at the time. The proof is the almost immediate closure of access by public to the documents they require to build their case. Who gave the orders to shut down and block access and not even submit all six reports to the National Assembly? Why were the 100 copies printed never distributed to the public libraries and other institutions?»

Pour revenir au present, c’est-à-dire le duel au sommet au Landscope. Et si l’affrontement quasi-permanent entre Gérard Sanspeur et Naila Hanoomanjee dépassait les egos personnels, les salaires et les notes d’essence des deux dirigeants ? Le Parlement nous apprend que 2,848.6 arpents de terre sont sous le contrôle de Landscope du tandem Sanspeur-Hanoomanjee. Au moins 107 arpents ont été jusqu’ici alloués à 32 industriels et/ou exploitants agricoles. Mais on a l’impression qu’il se trame quelque chose de foncièrement plus complexe. Qui decide, au final, de l’allocation des arpents de terre les plus prisés du gouvernement, qui tombent sous la coupole de Landscope. Par exemple, ceux qui ne sont pas loin de Bagatelle Dam. Pourquoi seuls deux groupes ou trois groupes semblent s’attirer les faveurs du pouvoir actuel alors qu’il y a manifestement une plus forte demande pour ces terres ? Est-ce une forme de financement politique occulte et d’entrée de gros gros sous alors que le projet de loi tant attendu risque d’être, encore une fois, renvoyé pour après les prochaines elections générales.

Pourquoi aussi cet empressement du gouvernement à valider une série de projets d’hôtels, de villas de luxe et de Smart Cities du Sud-Ouest au Sud-Est du pays ? Il faut, sur ce plan, soutenir la démarche citoyenne du groupe Aret Kokin Nu Laplaz (AKNL) qui alerte les instances internationales sur la destruction de nos «environmentally sensitive areas» (ESA) – pour faire place à des établissements hôteliers et des Smart Cities. Depuis les années 90, l’État mauricien a amassé pas moins de US$ 300 millions pour la soi-disant préservation de l’environnement et le développement durable (ref : https://www.thegef. org/country/mauritius). «C’est le dernier projet sur cette liste – Mainstreaming Biodiversity into the Management of the Coastal Zone in the Republic of Mauritius – qui a vu AKNL entrer en contact avec le Global Environment Facility (GEF) et autres instances internationales, telles que le United Nations Development Programme (UNDP). En effet, à la fin de février dernier, nous avons envoyé un dossier complet pour dénoncer que l’État mauricien avait obtenu du GEF, par le biais du bureau local de UNDP, un financement de US$ 4,7 millions pour mettre en oeuvre de 2018 à 2021 un grand programme pour protéger supposément la biodiversité sur le littoral (...) Il semblerait que nos institutions ne veulent ni voir, ni entendre la vérité scientifique sur la destruction des derniers espaces naturels qu’il nous reste sur la côte», relève AKNL dans son communiqué.

En attendant qu’une législature daigne bien voter un changement de notre système électoral et du financement des dynasties et partis politiques, il importe de sortir du cadre insulaire et de relativiser. Sur la notion de démocratie elle-même et ses variantes tributaires des contextes culturels et socio-économiques, même si les experts en sciences politiques ne tombent jamais d’accord sur tous les critères définissant et mesurant la démocratie, il y en a au moins huit qui s’avèrent incontournables : 1) le droit de vote, 2) le droit d’être élu, 3) le droit des chefs de parti politique de faire campagne, 4) le droit à des élections libres et transparentes, 5) la liberté de se regrouper, 6) la liberté de s’exprimer, 7) l’accès aux sources plurielles d’information (soit des journaux, des radios et des télévisions privés pour contrebalancer la propagande gouvernementale de la MBC et des journalistes-propagandistes), 8) des institutions de l’État qui travaillent dans la transparence, en toute indépendance, insoumises au régime en place. Ces critères, étudiés pour comparer le degré de démocratie sur une échelle internationale, méritent que l’on s’y attarde si l’on veut réellement aller de l’avant, comme nation et pays, et non pas comme un peuple de suiveurs dépourvus d’esprit critique et friands d’auto flagellation. Car il est encore temps de freiner nos dirigeants afin de nous protéger contre leur conception du progrès électoral, voire constitutionnel... Estce normal que les débats se poursuivent jusqu’à deux heures du matin en l’absence du Leader of the House, ou que la motion de no confidence de ce gouvernement de Shakeel Mohamed soit prise, en 7e position, à… trois heures du matin cette fois-ci (contrairement à l’esprit des Standing Orders and Rules, section 17 (1) and 17 (2)) ?!