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La tractopelle chargée de 95 kg cocaïne a voyagé avec Mauricio

12 juillet 2019, 12:00

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La tractopelle chargée de 95 kg cocaïne a voyagé avec Mauricio

Ahurissant. 95 kilos de cocaïne, estimés à Rs 1,4 milliard, auront échappé au contrôle des douaniers et des chiens renifleurs au port, y compris à la vigilance de la brigade anti-drogue depuis le 4 juillet. Cela, alors que ces deux unités ont sorti l’artillerie lourde depuis ces quatre dernières années pour mener à bien le combat personnel des Jugnauth contre le trafic de drogue. 

Ce qui interpelle davantage, c’est que cette saisie record de cocaïne à Maurice, mercredi 10 juillet, a fait le voyage aux côtés du fameux Mauricio, le premier tram constitué de sept wagons, et accueilli au port avec tambours et trompettes, le 4 juillet.

Cette importante cargaison de drogue – aussi appelée drogue des people – était donc elle aussi dans le ventre du transporteur de véhicules, battant pavillon bahamien Hoegh Antwerp. À bord d’une des tractopelles qu’il transportait. Mais la drogue se trouvait surtout sous le nez d’une horde de VVIP, dont le Premier ministre, Pravind Jugnauth, le ministre mentor et de la Défense, sir Anerood Jugnauth, des policiers, des journalistes, tous présents au port ce jour-là.

Par contre, la palme de cette saisie record revient aux employés de Scomat, firme représentant d’importantes marques internationales d’engins de chantier et autres. Un de ses employés se rend à la douane, au port, mercredi, pour récupérer une tractopelle en provenance du Brésil et commandée par un client.

Dissimulée près du moteur

C’est lors de la vérification d’usage au garage de l’entreprise à Pailles par des mécaniciens que le pot-aux-roses a été découvert. La drogue est empaquetée dans trois sacs de sport dissimulés dans le compartiment abritant le moteur de la chargeuse. Les mécaniciens informent alors leur direction qui, à son tour, alerte la police. La direction de l’entreprise et les employés concernés ont tous collaboré avec les forces de l’ordre.

Du côté de l’Anti-Drug Smuggling Unit (ADSU), quelques membres du personnel ont été appelés à donner leur enquête jusqu’à fort tard dans la soirée du 10 juillet. Hier, ils ont été appelés à des fins de procédures au quartier-général de la brigade anti-drogue.

Le porte-véhicules Hoegh Antwerp, qui a transporté la tractopelle aussi bien que Mauricio, est arrivé à Port- Louis le 4 juillet. Selon le site Vessel Finder qui traque les navires d’après leurs différents ports d’escale, avant d’accoster la capitale, l’Hoegh Antwerp a notamment jeté l’ancre au port marocain de Tanger Med au détroit de Gibraltar, au sud de l’Espagne, le 9 juin, Durban en Afrique du Sud le 25 juin, Tamatave (Toamasina), à Madagascar le 30 juin. Plus de trois cents véhicules ont été débarqués du navire avant qu’il ne mette le cap sur Mombasa au Kenya et Ennore en Inde.

Marché local ou en transit ?

Qui est donc l’importateur de ces 95 kilos de cocaïne ? Cette drogue était-elle destinée au marché local ou était-elle en transit à Maurice ? Comment cette importante cargaison a-t-elle pu échapper à la vigilance des autorités anti-drogue ? Y a-t-il eu un échange de tractopelle étant donné qu’il y avait d’autres engins du même modèle à bord de l’Hoegh Antwerp comme le soupçonnent les enquêteurs ? 

L’ADSU, qui est chargée de l’enquête, a du pain sur la planche pour assembler les pièces du puzzle. L’opération de controlled delivery, montée mercredi, s’est soldée par un échec car personne ne s’est manifesté.

Pendant ce temps, cette saisie ne laisse pas insensibles des travailleurs sociaux. José Ah-Choon, directeur du Centre d’accueil de Terre-Rouge, engagé dans le traitement, la réhabilitation et la réinsertion des usagers de drogues depuis 1986, se demande si cette cargaison n’a pas atterri à Maurice par erreur. «Il y a toujours eu de la cocaïne à Maurice mais en petites quantités car elle est destinée à une clientèle ciblée. Cette drogue se consomme en circuit fermé et pas par le grand public. La clientèle se compose des jeunes d’un milieu High Class, qui en prennent en boîte de nuit ou dans des rave parties ainsi que les gro palto, les touristes et autres étrangers.»

Une ligne de coke à Rs 1 000

Un facteur qui explique pourquoi la cocaïne a un marché niche à Maurice et n’est pas accessible à tous est le coût. Selon notre interlocuteur, une ligne de cocaïne se vend à Rs 1 000, alors qu’une dose d’héroïne se monnaye entre Rs 200 et Rs 250. 

N’empêche que José Ah-Choon estime que si cette drogue qui se sniffe est bel et bien destinée au marché local, une explication pourrait être une pénurie d’héroïne en raison des importantes saisies qui s’enchaînent. Y compris celles effectuées par des forces internationales comme la Task Force 150 dans l’océan Indien. «Tout marché est dicté par l’offre et la demande. L’héroïne qui arrive à pénétrer le marché arrive ici dans sa nature brute mais elle est dopée, est ‘sintetik’, avec toutes sortes de mélange à la revente», indique le directeur du Centre d’accueil de Terre-Rouge.

Par contre, Imran Dhannoo, responsable du Centre Idrice Goomany, chargé de la prévention et du soutien médical et psychologique aux personnes utilisatrices de drogues, est convaincu qu’il n’y a pas encore de prévalence de la cocaïne à Maurice. La preuve, dit-il, c’est qu’il y aurait eu des cocaïnomanes dans les centres de soins. «Sauf que ce n’est pas le cas. Les gens qui viennent nous voir sont ceux qui consomment le brown sugar ou la drogue synthétique.» 

Imran Dhannoo ajoute qu’il suit de près les saisies de l’ADSU depuis ces trois dernières années. «Je constate beaucoup de saisies de cocaïne, de méthamphétamine et d’ecstasy. Des drogues à consommation contrôlée et par des gens d’un profil spécifique dont des professionnels. Tout cela m’inquiète beaucoup car Maurice est un petit pays mais avec beaucoup de problématiques», soutient le travailleur social.

Imran Dhannoo va plus loin. Pour pouvoir importer une telle quantité de cocaïne, il faut, dit-il, disposer de beaucoup de devises. Rappelant ainsi que le trafic de drogue, c’est surtout une toile d’araignée, voire «enn ourit avek 50 000 lapat», comprenant le financier, celui ou celle qui fait la transaction et le sous-contracteur qui fera le sale boulot, entre autres. «À l’époque, le rapport Rault avait identifié des trafiquants de drogue. Aujourd’hui, le baron de la drogue mauricien est faceless (un complet anonyme). Lorsqu’on arrête quelqu’un avec un gros cargo aujourd’hui, l’on se demande surtout s’il est le véritable commanditaire et si ce n’est pas toute une mafia comprenant également des personnes avec qui on parle.»

 

La route de la cocaïne

<p style="text-align: justify;">Si le trajet de l&rsquo;héroïne est connu depuis des années, celui de la cocaïne est relativement nouveau.<em> &laquo;Cela a toujours été une drogue pour un public ciblé. Mais cette saisie change la donne. Si c&rsquo;était pour le marché local, c&rsquo;est grave. Cela voudrait dire que les cerveaux veulent créer un marché comme cela a été le cas au début des années 80 avec l&rsquo;héroïne&raquo;,</em> explique Ally Lazer, précisant qu&rsquo;il n&rsquo;a jamais rencontré de toxicomane accro à la cocaïne. Comme lui, plusieurs autres travailleurs sociaux ne se sont jamais penchés sur cette drogue car la présence de l&rsquo;héroïne était plus grave.&nbsp;</p>

<p style="text-align: justify;">Mais la force policière a déjà une idée. Selon une source, les petites quantités proviennent d&rsquo;Europe. La consommation de cette drogue a connu une ascension fulgurante en France selon une étude réalisée cette année par l&rsquo;observatoire français des drogues et toxicomanies. Se procurer une petite quantité sur le continent européen n&rsquo;est pas difficile. Mais avant d&rsquo;atterrir en Europe et sur le marché africain, la cocaïne en provenance de la Colombie passe par l&rsquo;Afrique du Nord. D&rsquo;ailleurs, le Maroc, pays où le bateau a transité avant de venir à Maurice, devient une plaque tournante pour cette drogue. Plus d&rsquo;une tonne de cocaïne avait été saisie lors d&rsquo;une opération policière l&rsquo;année dernière.</p>

 


Les failles du système

<p style="text-align: justify;">Des questions se posent sur les procédures de dédouanement au port par les officiers de la <em>Mauritius Revenue Authority</em> (MRA) et comment la drogue a pu échapper à leur vigilance. Nous avons sollicité le responsable de la cellule de communication de la MRA, mais celui-ci n&rsquo;a pas voulu se prononcer soutenant qu&rsquo;il y a une enquête en cours. Par contre, il nous revient que les vérifications douanières passent par trois différents canaux, celui du <em>&laquo;Red Channel&raquo;</em>, celui du<em> &laquo;Yellow Channel&raquo;</em> et celui du <em>&laquo;Green Channel&raquo;.&nbsp;</em></p>

<p style="text-align: justify;">La tractopelle doit passer par le<em> &laquo;Yellow Channel&raquo;</em> pour la vérification des documents. Si le douanier soupçonne qu&rsquo;il y a une quelconque irrégularité, le dossier remonte au<em> &laquo;Red Channel&raquo; </em>pour une vérification approfondie. Nous apprenons que le jour où le tram Mauricio est arrivé, il y a eu une vérification sur quelques véhicules par des limiers de l&rsquo;ADSU en compagnie des officiers de la MRA.&nbsp;</p>

<p style="text-align: justify;">Dans le cas de la tractopelle, elle a satisfait tous les critères car la firme qui a importé l&rsquo;engin n&rsquo;est pas un <em>&laquo;first time buyer&raquo; </em>mais un &laquo;<em>regular customer&raquo; </em>et ses papiers sont en règle. Nul ne se serait douté qu&rsquo;il y aurait de la drogue dans ses importations. En ce qui concerne les chiens renifleurs, il y en a deux au port. Ils sont de sortie seulement si des officiers de la MRA soupçonnent une anomalie. Ou si des véhicules de seconde main sont importés par un nouveau venu dans le circuit ou de pays à haut risque.</p>

 


Scomat se prononce

<p style="text-align: justify;">Scomat du groupe IBL a émis un communiqué de presse, hier, jeudi 11 juillet, expliquant que le mercredi 10 juillet après-midi, des employés ont découvert des sacs contenant ce qu&rsquo;ils ont soupçonné être des substances illicites, en ouvrant le capot d&rsquo;une chargeuse sur roues (<em>wheel loader</em>) qui venait d&rsquo;arriver dans l&rsquo;enceinte de l&rsquo;entreprise, après avoir été dédouanée le même jour. La direction de la société a immédiatement averti la police qui est rapidement arrivée sur les lieux.</p>