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Agriculture: l’Industrie sucrière soulagée mais toujours amère

10 juillet 2019, 13:05

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Agriculture: l’Industrie sucrière soulagée mais toujours amère

Si le Budget 2019/2020 représente une bouffée d’air frais pour les planteurs, aucune mesure ne semble apaiser les craintes quant à l’avenir de l’industrie sucrière. Il reste incertain pour le long terme.

Les mesures budgétaires venant à la rescousse d’une industrie sucrière souffrante, seront-elles efficaces ? Si la question fait débat, ils sont nombreux à ne pas y croire; la crise a en effet la peau dure. Revenons sur les grandes lignes axées sur la canne à sucre de ce discours budgétaire.

Le Grand argentier s’est attaqué à divers aspects du mal qui ronge ce secteur incluant une aide aux planteurs à hauteur de Rs 25 000 par tonne de sucre pour 2019, la prospection de nouveaux marchés et l’acquisition de nouveaux équipements visant à réduire les coûts de production, entre autres.

Toutefois, si ces mesures peuvent soulager le fardeau des planteurs sur le court terme, eux ne voient pas de mesures, réformes ou même réflexion sur le long terme. Le constat est clair, il n’y a aucune visibilité sur ce qu’il adviendra de l’avenir de la canne à sucre locale.

«Il n’y a pas vraiment de mesures sur le long terme, ni même sur le moyen terme. Le gouvernement vient en aide aux planteurs pour cette année, mais que se passera-t-il après ? Rien n’empêchera les planteurs d’abandonner leurs terres en 2020 s’ils ne savent pas ce qui les attend plus loin», dit Heymant Sonoo, président du Syndicat des sucres. Ce dernier voit mal les planteurs ayant déjà abandonné leurs terres revenir si la situation reste floue.

Tributaire du prix du sucre sur le marché mondial, la situation n’est guère réjouissante, surtout après la libéralisation des quotas en Europe qui affecte les prix. «Nous n’avons aucune influence sur le prix mais nous pouvons encourager des approches différentes. Il nous faut diversifier les marchés, les propriétés sucrières doivent mettre en place des fonds pour aider les planteurs et la main d’œuvre est importante. «Il faut voir plus loin, il n’y a pas que le sucre, il faut plus d’efforts au niveau de la production énergétique à partir de la bagasse. Pour la mélasse aussi il faut booster la production et les profits doivent être partagés équitablement», précise Salil Roy, président de la Planters Reform Association.

«Le constat est clair, il n’y a aucune visibilité sur ce qu’il adviendra de l’avenir de la canne à sucre locale.»

Protéger le marché domestique est aussi un aspect à ne pas négliger, même s’il ne représente que 10 % de la production. «Il y a trop de sucre venant d’ailleurs sur le marché local. Les autres pays qui ont déjà un gros marché domestique vendent leur surplus à petit prix et les importateurs à Maurice achètent et revendent à moins cher. Le sucre mauricien peut, lui, difficilement rivaliser. Nous perdons environ Rs 8 000 par tonne de sucre destinée au marché local à cause de cette concurrence», déclare Heymant Sonoo.

La production pour le marché local étant d’environ 35 000 tonnes, le manque à gagner n’est pas négligeable. «Le gouvernement doit contrôler l’importation de sucre ; en 2018, 16 000 tonnes de sucre sur le marché local provenaient des importations.»

Toutefois, il y a bien une catégorie où la réputation du sucre mauricien peut rivaliser aisément sur le marché mondial : c’est la production de sucres spéciaux. Celle-ci est estimée à 180 000 tonnes et nous pouvons vendre nos sucres spéciaux à bon prix sur divers marchés dont le marché africain, à l’instar du Kenya. Toutefois, il faut encore voir l’évolution du marché dans ces pays.

Le Budget 2019/2020 fait aussi mention de nouveaux marchés pour vendre le sucre mauricien incluant les pays membres de la SADC et du COMESA. Toutefois, cette mesure n’aurait rien de nouveau, le marketing se faisant déjà dans ces pays.

Quid des accords avec l’Inde ou encore la Chine, qui nous achèteront du sucre en 2021 ? «C’est une très bonne chose mais en attendant 2021, que fait-on ?» s’interroge le président du Syndicat des sucres.

Pour Devesh Dukhira, CEO de cet organisme, la réforme structurelle se fait sur deux niveaux : accroître la compétitivité en baissant les coûts de production et en augmentant l’efficience. Sur ce point, le Budget 2019/2021 apporte des mesures. Deuxièmement, il est nécessaire de booster les recettes des sous-produits de la canne afin d’amortir les fluctuations du prix du sucre sur le marché mondial.

«Il y a en effet des mesures visant à augmenter l’efficience dans les champs de même que la productivité. Les Rs 25 000 par tonne de sucre pour les planteurs arrivent comme une bouffée d’air frais pour ces derniers mais quand même, quand on parle de l’industrie sucrière, on ne parle pas de mesures sur un an, il faut voir sur une longue période et là il n’y a pas vraiment de visibilité», ajoute-t-il.

Le surcroît des recettes des sous-produits reste encore et toujours un combat pour les planteurs. C’est dans cette optique que le Mouvement Ti Planter Cannes persiste que l’allocation de Rs 2 500 par tonne de canne au lieu de Rs 25 000 par tonne de sucre aurait été préférable. «Rs 25 000 par tonne de sucre ne couvre pas le coût de production des planteurs, sachant qu’il faut un maximum de Rs 2 200 pour produire une tonne de canne. S’il y a des profits, ces 15 000 arpents de terres abandonnées pour- raient être cultivés à nouveau. Le problème c’est que le gouvernement reste dans la logique sucre mais l’industrie a évolué, maintenant elle comprend aussi la bagasse et la mélasse», explique Kreepalloo Sunghoon, président du MTPC.

Le MTPC organise actuellement 41 comités à travers le pays pour faire un relevé du coût de production dans les plantations. Il précise toutefois qu’il ne s’agit pas de prendre de l’argent des fonds publics pour compenser les planteurs mais plutôt de revoir le secteur avec tous les acteurs de la production, mettre de l’ordre dans les chiffres et partager les profits de manière équitable.

«La bagasse a une valeur et les planteurs sont sous-payés. Il faut encourager les producteurs à aller dans la production énergétique. On parlait de recherche sur une variété de canne pouvant produire plus de bagasse, mais à un moment ces recherches doivent sortir des laboratoires et devenir concrètes», ironise Heymant Sonoo.

Toutefois, il nuance que les planteurs doivent aussi faire plus d’efforts de leur côté. En attendant, le manque de planification et de visibilité sur les années à venir décourage les planteurs à investir à nouveau dans les plantations.

Lors de sa réponse à la Private Notice Question du 18 juin, le ministre de l’Agro-industrie Mahen Seeruttun a mentionné un rapport de la Banque mondiale sur l’industrie sucrière, rapport qui devrait arriver l’année prochaine, «Les planteurs attendront-ils un rapport qui viendra après la coupe, vous croyez ?» ajoute le président du Syndicat des sucres.

 

Focus – Propriété intellectuelle

<h3 style="text-align: justify;">Protéger les marques notoires et les indications géographiques</h3>

<p style="text-align: justify;">Les marques notoires sont des marques connues et emblématiques telles que <em>APOLLO, APPLE </em>ou <em>CHANEL</em>. Ces marques sont si connues du public que dans la plupart des pays, elles bénéficient d&rsquo;une protection large, même non enregistrées. Il est ainsi interdit d&rsquo;enregistrer un signe identique ou similaire à une marque notoire, même non enregistrée (reproduction, imitation ou traduction) lorsque le signe est susceptible de créer une confusion. On ne peut ainsi enregistrer <em>KOKAKOLA</em> pour des boissons gazeuses ou <em>STARBUCKS </em>pour un café. Une marque identique ou similaire à une marque notoire peut être annulée par le titulaire de droit durant les 5 ans suivant la date d&rsquo;enregistrement ; toutefois aucune limite de temps n&rsquo;est fixée lorsque la marque a été enregistrée ou utilisée de mauvaise foi.</p>

<p style="text-align: justify;">Une autre règle applicable dans de nombreux pays dont Maurice, est l&rsquo;interdiction d&rsquo;enregistrer un signe similaire ou identique à une marque notoire enregistrée même pour des produits et services différents, lorsque l&rsquo;utilisation de l&rsquo;autre marque indiquerait une connexion entre ces produits et ceux du titulaire de la marque notoire et risquerait de nuire aux intérêts de ce dernier. On ne peut donc enregistrer la marque <em>CHANEL</em> pour des chocolats ou des bières, produits pourtant non-commercialisés par la célèbre maison de luxe.</p>

<p style="text-align: justify;">A Maurice, les marques notoires sont protégées sous<em> The Patents, Industrial Designs and Trademarks Act (PIDTA). </em>C&rsquo;est au Directeur de l&rsquo;Office de la Propriété Industrielle, même en l&rsquo;absence d&rsquo;objection du titulaire de droit, qu&rsquo;incombe l&rsquo;obligation de refuser l&rsquo;enregistrement des signes prêtant à confusion avec une marque notoire. En pratique cette prérogative n&rsquo;est pas toujours exercée. Le titulaire d&rsquo;une marque notoire doit toujours être vigilant face à des enregistrements de mauvaise foi. Le propriétaire d&rsquo;une marque notoire, même non enregistrée à Maurice, peut intenter une action en justice contre des tiers utilisant sa marque sans autorisation ou accomplissant des actes rendant cette atteinte probable. Il appartient au titulaire de la marque de prouver en justice son statut de marque notoire. Une marque notoire même non enregistrée à Maurice bénéficie aussi de la protection de l&rsquo;<em>Unfair Practices Act</em> qui sanctionne civilement la concurrence déloyale.</p>

<h3 style="text-align: justify;">Indications géographiques</h3>

<p style="text-align: justify;">Une indication géographique (IG) met en valeur l&rsquo;origine géographique précise d&rsquo;un produit, origine qui confère au produit ses qualités, une notoriété ou des caractères essentiellement dus à ce lieu. La plupart du temps, une IG contient le nom du lieu d&rsquo;origine des produits. On retrouve ainsi les Cigares Cubains, le Thé Darjeeling, le Scotch Whisky, le Bleu d&rsquo;Auvergne et le Champagne. Bon nombre des indications géographiques sont des produits agricoles présentant un lien avec leur lieu d&rsquo;origine par des facteurs géographiques locaux déterminants, tels que le climat et le sol. Cependant, des produits non-agricoles, tels le Cristal de Bohême et la Porcelaine de Limoges, peuvent aussi être protégés comme IG.</p>

<p style="text-align: justify;">Il y a souvent une confusion entre indication géographique et appellation d&rsquo;origine contrôlée (AOC). L&rsquo;AOC, une certification purement française est une indication géographique, toutefois, son obtention ré- pond à des critères plus stricts que ceux d&rsquo;une IG. Alors que pour une IG, au moins une des étapes de production doit avoir lieu dans l&rsquo;aire géographique délimitée, pour une AOC, toutes les étapes de production doivent avoir lieu dans l&rsquo;aire géo- graphique déterminée (ainsi le vin de Champagne AOC doit être mis en bouteille dans la région).</p>

<p style="text-align: justify;">Les IG permettent aux consommateurs de déterminer facilement l&rsquo;origine et la qualité des produits. Ainsi, lorsque l&rsquo;on achète du Champagne, on s&rsquo;attend à un produit provenant de la région de Champagne, d&rsquo;une certaine qualité et fabriqué avec des méthodes précises. Pour les producteurs, une IG appréciée du consommateur permet souvent d&rsquo;obtenir des prix plus élevés et des chiffres à l&rsquo;export stables. Ainsi les vins mousseux, même fabriqués selon la méthode traditionnelle, sont souvent vendus moins cher que le Champagne.</p>

<p style="text-align: justify;">Les IG sont des droits collectifs, appartenant à un groupement de producteurs d&rsquo;une région. Ils peuvent être utilisés par l&rsquo;ensemble des producteurs de celle-ci remplissant le cahier des charges. Les IG apportent une plus-value aux produits locaux, contribuent à l&rsquo;économie régionale et assurent le transfert de savoir-faire aux nouvelles générations. Toutefois, l&rsquo;obtention d&rsquo;une IG n&rsquo;est pas une chose aisée et nécessite des investissements considérables en termes de temps, de structures organisationnelles et institutionnelles, et de promotion ; des frais de fonctionnement importants ainsi que des frais d&rsquo;avocats. Une IG non-protégée des abus perd de sa valeur et peut même devenir un handicap lorsque le consommateur l&rsquo;associe aux imitations et contrefaçons.</p>

<p style="text-align: justify;">Les pays émergents ont eux aussi de nombreux produits de qualité qui mériteraient d&rsquo;être protégés par une IG. Maurice pourrait considérer des IG pour le Rhum et la Vanille de Maurice, le Limon et le Miel de Rodrigues ainsi que l&rsquo;Huile de Coco d&rsquo;Agalega. Toutefois avant de s&rsquo;engager dans cette voie, il est nécessaire de s&rsquo;assurer de la collaboration sur le long terme des gouvernements et des associations de producteurs concernés.</p>

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<p style="text-align: justify;"><strong>Marius Schneider </strong>-<em> Nora Ho Tu Nam IPvocate Africa est un cabinet spécialisé dans la protection, la gestion et la défense des droits de propriété intellectuelle en Afrique.</em>​​​​​​​</p>