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Après Ameenah, Barlen…

9 juin 2019, 07:03

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Après Ameenah, Barlen…

Outre le fait d’engloutir des millions de roupies, à quoi sert un vice-président de la République ? Si c’est pour remplacer un(e) président(e) de la République, quelques jours par trimestre; pourquoi ne pas laisser au chef juge le soin d’assumer l’intérim ? En mars 2018, après le départ forcé d’Ameenah Gurib-Fakim du Réduit, la question relative à la pertinence d’avoir un Barlen Vyapoory à plein temps est tombée en oubli. Le scandale Platinum Card, révélé par l’express, aidant, Vyapoory s’est vu projeter sur le devant de la scène. Du coup il a eu à soigner son look et ses costumes pour bien remplir ce rôle de premier plan, même s’il savait bien qu’il n’allait jamais être titularisé comme président de la République – n’ayant pas un soutien aussi fort qu’Ameenah Gurib Fakim avait à travers Ivan Collendavelloo – qui a essayé de nous convaincre que le reflet des yeux d’Alvaro Sobrinho ne renvoyait que de bonnes choses (philanthropie, investissements par milliards, etc.)

Quand nous avons eu vent, cette fois-ci, du soutien qu’offre Barlen Vyapoory à un riche homme d’affaires sud-africain, la première réaction que nous avons eue, c’est que même si la présente affaire n’est pas semblable au scandale Platinum Card – pour lequel nous avons choisi de violer le secret bancaire au nom de l’intérêt public –, il est vraiment dommage que les leçons entourant le départ d’Ameenah Gurib-Fakim après ses frottements avec le Planet Earth Institute de l’Angolais Sobrinho n’aient pas été apprises et retenues par le locataire du château de Réduit.

Comme dans l’affaire Platinum Card, la State House est utilisée pour faire fructifier l’argent d’un businessman qui prétend vouloir investir massivement chez nous. Dans le cas de Vyapoory (à lire en page 12), on peut voir une vidéo promotionnelle tournée dans le bureau présidentiel, dans laquelle notre président de la République par intérim dit ceci : «J’ai devant moi des membres de l’Economic Development Board, de la State Bank of Mauritius et d’autres personnes du sérail des affaires. Ils viennent à votre rencontre pour vous convaincre d’investir à Maurice. Vous rencontrerez des représentants mauriciens de KHL, la compagnie de K.M. (...) Ils ont ma bénédiction. I am ‘sponsoring’ this team.» Sauf que l’EDB dément toute connexion et que la compagnie n’est pas enregistrée encore !

La naïveté de Vyapoory est manifeste. «Qu’ai-je fait de mal?», demande-t-il à notre collègue Axcel Chenney. C’est précisément cette naïveté qui est un problème – comme cela semble avoir été le cas dans le cadre des relations ambiguës entre Sobrinho et Gurib-Fakim.

Voilà ce qui se passe quand nous plaçons des personnes qui n’ont aucune expérience de la vie publique et politique dans des postes de responsabilité et qui deviennent des proies faciles pour des investisseurs sans vergogne pour qui la quête du profit demeure l’objectif final, indépendamment des moyens déployés, et des personnes et institutions utilisées comme marchepied.

Le leadership politique est certainement à blâmer, que ce soit dans le cas de Gurib-Fakim ou de Vyapoory. On choisit des personnes en fonction de leur appartenance religieuse ou clanique – et non en fonction de leur méritocratie. Mais à quoi s’attendre quand le régime Lepep avait démarré sa législature sur une fausse note commise par Pravind Jugnauth lui-même. Il existe un affidavit (juré en cour le 26 février 2015) qui détaille comment Pravind Jugnauth, en compagnie de Ravi Yerrigadoo et de Roshi Bhadain, avait cuisiné des investisseurs étrangers de Dufry dans la maison de l’ex-Attorney General à Belle-Rose. Si Pravind Jugnauth le fait, alors pourquoi les autres ne le feront pas ? D’ailleurs, Youshreen Choomka a été encore plus loin en réclamant des commissions pour organiser des rencontres entre investisseurs étrangers et membres du gouvernement…

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Dans ce genre d’affaires où nos dirigeants politiques fricotent avec des investisseurs internationaux en faisant fi des règles de bonne gouvernance, c’est la réputation de Maurice qui prend un sale coup. Un ami qui travaille à la Banque mondiale me confiait ironiquement, il y a quelque temps : «You guys have now definitely earned your place in Africa!» Mo Ibrahim saura apprécier ce commentaire.

Il est utile, aujourd’hui, de rappeler l’exemple de Pépé Mujica, l’ex-président de l’Uruguay. Au lendemain de son élection, en 2010, Mujica a fait comprendre qu’il était hors de question pour lui d’habiter au palais présidentiel. Il est resté dans sa baraque et a utilisé la demeure présidentielle comme refuge pour les sans-abri ! Il a aussi refusé les voitures de luxe, mais a conduit lui-même sa Coccinelle bleue, achetée en 1987. Enfin, il a fait redistribuer les 90 % de son salaire mensuel de président à des associations caritatives, conservant les 10 % restants, soit l’équivalent de 900 pesos, montant du salaire moyen en Uruguay.

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Immunité présidentielle ne doit pas être confondue avec impunité.

L’affaire Platinum Card a prouvé que des institutions comme l’ICAC, la FSC, voire la police, doivent attendre le signal de l’exécutif avant de se réveiller. Pour nous, qu’à cela ne tienne, le principe est simple : “When the people do not trust its institutions, the free and responsible press must take up the challenge of discovering and unveiling the truth…” À chacun son rôle.

 

 

PS : Dans l’affaire Yerrigadoogate, on est allés, le 18 septembre 2017, au QG de l’ICAC, déposer des documents manuscrits (dans leur version originale) qui incriminent l’ancien Attorney General, mais bientôt deux ans plus tard, aucune indication que le dossier avait le moindrement progressé. Ravi Yerrigadoo n’a toujours pas été interrogé. Et les enquêteurs ne sont jamais revenus vers nous pour des compléments d’information, à la lumière de leurs enquêtes, comme promis… Allez Maurice, va-t-on bientôt crier lors des Jeux des îles. Réalise-t-on vraiment ce que cela signifie, au train où vont les choses...