Publicité

Cannabis repetita !

13 janvier 2019, 09:10

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

 

Lors du lancement du National Drug and HIV Council cette semaine, le Premier ministre a déclaré son opposition catégorique à la dépénalisation du cannabis. Il n’a pas expliqué son raisonnement.

C’est peut-être une occasion ratée !

D’abord, les faits indiquent clairement que la tendance mondiale est à la libéralisation. Beaucoup de pays ont déjà légalisé, contrairement à Maurice, l’usage du cannabis ou de ses dérivés, à des fins médicales. Trente-huit pour être exact. Ces pays comprennent des pays sains d’esprit comme l’Australie, l’Allemagne, le Canada, la Norvège, le Chili, Israël, la Hollande, entre autres, ainsi que 33 états des États-Unis. L’Uruguay et le Canada sont les seuls deux pays qui ont totalement légalisé la production, la consommation et la vente de cannabis à des fins de consommation personnelle. Aux ÉtatsUnis, 10 états et le district de Columbia en ont fait de même, même si cela reste proscrit au niveau fédéral. Par ailleurs, plus de 30 pays ont déjà décriminalisé l’usage personnel du chanvre*. En Géorgie et en Afrique du Sud, des jugements ont récemment légalisé la consommation, mais pas la vente de cannabis. Certains pays, dont la Hollande et l’Espagne, ont adopté une politique de tolérance forte vis-à-vis de la vente du produit et selon une compilation de Wikipédia, 17 pays ont cette même approche de tolérance vis-àvis de ce qui reste pourtant officiellement illégal. En Inde, le haschich reste illégal mais est légal ou toléré dans plusieurs états comme le Bihar, ou le Bengale occidental. Le cannabis est, par contre, décriminalisé au Gujarat. Puis il y a les exceptions religieuses. Au Népal, le cannabis est légal pendant le Maha Shivaratree. En Jamaïque, les rastafaris peuvent en consommer légalement. Voir: https://en.wikipedia.org/wiki/Legality_of_ cannabis - cite_note-clubs_jane-4. Cette tendance est récente .Tous dans l’erreur?

On a lié la criminalisation du cannabis (1915 en Californie, 1919 au Texas, 1923 à Washington etc. …, suivi d’autres pays, mondialement) au début du siècle dernier, avec trois explications principales. D’abord, Randolph Hearst, gros propriétaire de journaux, qui aurait ainsi tenté de favoriser le newsprint fait à partir du bois plutôt que celui fait du chanvre. Puis Andrew Mellon, richissime secrétaire au Trésor américain, qui aurait ainsi essayé de favoriser ses gros investissements dans le nylon, produit concurrent du chanvre et de la soie. Cependant, il faut principalement la relier à une vague de puritanisme qui mena aussi à la prohibition du commerce et de la consommation de l’alcool en 1920. Les puritains trouvèrent d’ailleurs des alliés solides chez les libéraux qui pensaient, quant à eux, que l’alcool et les autres drogues intoxicantes dont on devenait «dépendant» étaient la cause première de la pauvreté, du crime et de la violence. En fait, la prohibition générera bien plus de gangs (dont celui d’Al Capone), de corruption et de violence que jamais et ne put jamais contrôler la consommation d’alcool. Par le 21e amendement à la Constitution, la prohibition, objet du 18e amendement, fut donc annulée en 1933. C’est la seule fois de l’histoire des États-Unis où un amendement à la Constitution a dû être renversé! C’est dire l’envergure de l’erreur de départ ! Cependant, la criminalisation du cannabis est, quant à elle, demeurée. Et comme dans le cas de l’alcool prohibé, le cannabis interdit encourage l’existence et le maintien de gangs, de crimes, de corruption et du blanchiment d’argent et cela fait maintenant 100 ans que cela dure ! L’avenir semble pointer vers la dépénalisation pour les consommateurs d’une part et le remplacement de la punition (police/cour/prison) par de la thérapie. Voir le cas portugais, par exemple : http://www.spiegel.de/ international/europe/evaluating-drugdecriminalization-in-portugal-12-yearslater-a-891060.html.

À la base et selon la définition qu’une drogue est un produit chimique qui affecte la manière dont le corps fonctionne, nous sommes déjà une civilisation de drogués. Du Prozac à l’alcool, du fentanyl à l’OxyContin, de la morphine à la nicotine, de la codéine au gandia, de la méthadone à l’héroïne, nous avons affaire à des drogues qui attirent l’humain parce qu’ils génèrent du confort ou du plaisir. Le problème surgit quand les doses recommandées ne sont pas respectées ou quand la drogue, au départ, est malfaisante pour la santé, peu importe la dose (héroïne, synthétique, ecstasy). Quand ladite drogue est prescrite par un trafiquant plutôt qu’un médecin ou une loi, ne court-on pas des risques sociaux clairement supérieurs ? Cela me paraît évident !

A priori, on ne peut pas dire qu’une drogue est inacceptable seulement si elle crée de l’addiction. Ni ne peut-on bannir une drogue au seul motif qu’elle mène plus vite à la mort, puisque l’alcool, la cigarette et la plupart des opioïdes utilisés comme coupe-douleur, surtout en overdose, peuvent aussi conduire à l’addiction ou à une mortalité précoce. En quoi est-ce que mourir d’un cancer du poumon est diffèrent de mourir d’un œdème du cerveau ou d’une cirrhose du foie ? L’important donc est d’établir, sous quelles conditions et pour quelles quantités des drogues peuvent être décriminalisées, puisque menant alors à un risque moindre pour la société dans son ensemble. Le cannabis comporte des risques, certes, mais l’alcool ou l’oxycontin aussi ! Je suis loin d’être un expert, mais le bon sens me suggère (ainsi que la tendance mondiale…) que la dépénalisation du cannabis est fiable au même titre que celle de l’alcool ou de la cigarette, que cela pourrait aider à réduire les dérives des jeunes vers le synthétique ou les drogues dures et que cela éliminerait tout un pan de contrôle criminel relativement inutile, ce qui libérerait policiers, cours de justice et prisons pour du travail autrement plus sérieux et nécessaire, par exemple avec les drogues plus «dures»**.

Sans compter qu’avec nos difficultés bien réelles à l’exportation ces jours-ci, notamment dans la filière sucre, il y a une véritable place à prendre pour produire, traiter et exporter des produits à base de THC (marché récréatif) et de CBD (marché médical) pour une demande mondiale qui s’ouvre de plus en plus. À cet effet, nous avons intérêt à être parmi les pionniers, n’est-ce pas ? Le Lesotho vient, d’ailleurs, de devenir le premier pays africain à tenter l’aventure avec des investisseurs sud-africains et canadiens pour un marché mondial estimé à 146 milliards de dollars en 2025 : https://www.grandviewresearch.com/ press-release/global-legal-marijuanamarket et il faudra pour cela des producteurspionniers et agiles ! Comme le Canada ! À n’en point douter, le cannabis vaudra plus que le sucre à l’arpent, permettra plusieurs récoltes par an et laisserait tout autant, si ce n’est plus de «bagasse» pour la production d’électricité IPP !

Il s’agit de ne pas rater le train ! D’autant qu’il faudra aussi repayer les 9 milliards de roupies du métro… et tant d’autres milliards !

 Et pour que cela soit clair et limpide : je n’ai jamais fumé du gandia et je n’ai aucune intention de commencer maintenant, ayant toujours rationalisé que ma vie était déjà bien assez cadrée et plaisante comme ça, merci !

*****

Je ne comprends pas l’ICAC. Sa démarche tardive pour changer son fusil d’épaule dans l’affaire MedPoint est… stupéfiante ! C’est, à ma connaissance, une première que l’agence qui commence les poursuites finit, en appel, par défendre celui qu’il poursuivait ? Les raisons et les conséquences de cette reconversion improbable ne peuvent être que… fumeuses, il me semble.

*Cannabis, chanvre, haschisch, gandia, marijuana, kif, bhang sont des mots équivalents. ** Pour 2,222 condamnations en cour de justice, en 2016, pour des affaires de drogue à l’île Maurice, 57 % étaient liés au cannabis! Kaya est mort il y a 20 ans, non pas d’une overdose de gandia, mais d’une overdose de violence…