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Qui n’est pas un vrai chef...

9 décembre 2018, 07:31

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Le pire qui pourrait sans doute arriver à notre nation, c’est de perdre notre capacité d’indignation. Et d’accepter, telle une fatalité, notre destin politique immuable depuis un demi-siècle. En nous convainquant qu’on n’y peut rien pour changer la donne.

C’est faux.

On oublie trop souvent que les dirigeants, que nous élisons ou rejetons, travaillent pour nous – et non pas l’inverse. Le contrat qui nous lie est pourtant clair.

Sir Anerood Jugnauth, qui a traversé le désert plus d’une fois, sait fort bien que le gouvernement mené par son fils ne pourra pas, dans la présente conjoncture, atteindre la barre fatidique des 52 députés pour faire passer, cette semaine, son projet de réforme électorale.

Mais SAJ prépare l’après-2018. Plus que n’importe qui, il sait que son rejeton, qui était pressé de lui ravir le fauteuil de PM, n’a ni les épaules ni l’épaisseur pour négocier, en vrai stratège, une alliance, surtout avec l’autre vieux routier de la chose politique qu’est Paul Bérenger, déterminé, lui, à ne pas finir sa carrière dans l’opposition.

Alors le père Jugnauth monte ces jours-ci, à l’Assemblée nationale et dans les coulisses, au créneau quitte à faire ombrage à son fils, devenu une sorte de Macron mauricien, déconnecté de la réalité de la rue, et empêtré dans des scandales et des crises à n’en plus finir. Entre-temps, comme ministre des Finances, Pravind Jugnauth  néglige l’économie qui souffre de l'absence d’un capitaine, éclairé, à plein-temps.

Si en décembre 2014 sir Anerood a pu déjouer les projets de réforme constitutionnelle et électorale du tandem Ramgoolam-Bérenger, le père du Premier ministre est conscient que le contexte, quatre ans plus tard, n’est plus le même. Alors il fait tout pour harponner le MMM avant que le Privy Council ne se prononce sur l’affaire MedPoint. Entre-temps, il focalise ses tirs sur le tandem Ramgoolam-Duval, ennemis désignés.

Dans un essai critique intitulé Qu’est-ce qu’un chef ?, le général français Pierre de Villiers, qui avait démissionné comme chef d’État-major des armées, il y a 16 mois, à la suite de profonds désaccords avec Emmanuel Macron, livre ses réflexions sur la société en général et sur la notion d’autorité en particulier. Le livre du général de Villiers est présenté comme un manuel de leadership ou d’autorité pour sortir de notre «mal-être sociétal».

«Notre époque a besoin de clarté, d’épaisseur, de profondeur. Notre époque a besoin de chefs pour aujourd’hui et surtout pour demain», devant la «déshumanisation» de la société, la «crise de sens et de confiance» et la «peur» de l’instabilité géostratégique, relève de Villiers.

L’ancien dirigeant militaire définit un chef comme un «absorbeur d’inquiétude» et un «diffuseur de confiance». Précisément ce que Macron ou Jugnauth Jr n’arrive pas à faire. Peut-être est-ce parce qu’ils aiment trop le pouvoir ? «Nous avons besoin de dirigeants aimant davantage les responsabilités que le pouvoir.»

Les diverses «vertus du chef» sont, selon de Villiers et d’autres gurus internationaux de leadership, «stratégie», «vision», «exemplarité», «humanité», «sincérité», «instinct» et «auctoritas» (au sens de «tirer vers le haut, élever»). Avec son arrogance, Jugnauth Jr a, lui, tendance à cultiver des échanges au ras des pâquerettes. Encouragé par ses conseillers-fossoyeurs, il accorde des licences à des radios-propagandistes, qui ne font certainement pas développer l’esprit critique des Mauriciens.

 

Au final, «qu’est-ce qu’un chef ?» C’est peut-être tout simplement chacun de nous, si nous choisissons, de notre propre chef, d’assumer pleinement nos responsabilités de citoyen. Car souvent le mal l’emporte, pas tant à cause de la corruption des élites que par l’inaction de ceux qui restent spectateurs dans leur bureau climatisé, sans avoir le courage de se mouiller la chemise...

De Villiers rejoint à bien des égards le désormais célèbre cri de révolte de Stéphane Hessel dans son livre-éponyme Indignez-vous, dont le message principal s’articule autour des exigences du concept de «vivreensemble » – expression devenue à la mode depuis.

Et alors que l’on entend un peu tout et son contraire sur les Rs 400 de compensation salariale, il importe de déterminer qui a intérêt à peser sur le coût du travail à Maurice. Chez nous, comme en France, les problèmes liés aux salaires, retraites et coût de la vie, revêtent une dimension démographique qui dépasse le cadre du mandat politicien...C’est bien pour cela que Hessel a écrit à chacun d’entre nous : «Je vous souhaite d’avoir votre motif d’indignation. C’est précieux. Quand quelque chose vous indigne, comme j’ai été indigné par le nazisme, alors on devient militant, fort et engagé. On rejoint le courant de l’histoire et le grand courant de l’histoire doit se poursuivre grâce à un chacun.»