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Passeport pour l’au-delà

23 juin 2018, 07:19

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Passeport pour l’au-delà

Les plus belles promesses finissent par devenir poussières et souvenirs. Elles ne passent jamais le sablier du temps. Le temps, en effet, passe et fait tourner la roue de la charrette Lepep comme l’eau fait tourner (en boudin) celle de Collendavelloo. C’est-à-dire en zigzags quasi permanents, sans progrès flagrants.

La reconquête du pouvoir, une activité sans relâche (donc pas comme l’eau 24/7 jadis promise), s’attise. Autour du prince soleil, l’on s’agite, de plus en plus, et tous les coups semblent permis. On recherche, au quotidien, une idée, un projet, une ruse pour faire succomber l’électorat, reculer les opposants, caser un proche et préserver les privilèges.

À défaut de soigner l’économie du pays, l’équipe du Premier ministre essaie de soigner l’image d’imposteur de celui-ci. Histoire de lui donner un passeport pour l’au-delà de 2020. Toutes les chaînes radio et télé de la MBC ne suffisent plus. Alors on essaie de s’approprier d’autres médias et de nouvelles radios, avec le concours de Mauritius Telecom, qui contrôle la bande passante et des pseudo-sites d’informations. Bientôt le casino de Sherry Singh va aussi contrôler les passants dans la rue truffée de caméras, et la police de Nobin pourra davantage harceler les citoyens qui refusent de se mettre au pas.

La dernière trouvaille du PMO : s’appuyer sur la réputation (relativement) solide de Maurice pour faire repartir le FDI. Quitte à vendre notre âme au plus offrant, comme on l’a fait, en regardant droit dans les yeux – apparemment notre système «high tech» de «due diligence» – d’Álvaro Sobrinho, dont le chien, qui voyage en Jaguar, accède, sans produire ses données biométriques, aux salons VIP.

IRS, RES, PDS… On connaît la spéculation sur les biens immobiliers, désormais, selon les conseillers de Pravind Jugnauth, il faut aussi composer avec une financiarisation de la citoyenneté – quitte à mettre en péril le tissu social et l’identité même de notre pays. On ne parle pas ici du passeport des talents – comme cela se fait ailleurs, pour compenser la main-d’oeuvre pointue et en manque. Ce que propose Jugnauth pourrait exacerber l’inégalité des droits entre les ultra-riches et les ultra-pauvres. Ce que veut faire ce Premier ministre est de remettre en cause la validité du rapport entre la personne et l’État. Avec des riches qui n’auront aucun sentiment d’appartenance à notre quadricolore, comme certains l’affichent à «Black River»...

Maurice, pays soi-disant solidaire, membre à la fois du Commonwealth et de la Francophonie, de la COI, de la SADC, du COMESA et de l’UA, qui refusent les déracinés de la Syrie, les réfugiés de Sri Lanka, les apatrides climatiques des Maldives, mais qui de l’autre côté accueillent quelques «happy few» qui collectionnent les passeports pour abolir les frontières, payer moins d’impôts et profiter des plages mauriciennes qui se rétrécissent.

Oui, je sais, il restera toujours des idéalistes. Qui parleraient de Malte ou des États-Unis. Mais ce qu’il nous faut comprendre, c’est que nous nous enfonçons dans une mondialisation dangereuse dont le cosmopolitisme n’est accessible qu’à ceux qui peuvent le payer. Les contribuables deviennent dans l’équation plus importants que les citoyens. Aux Comores, il y a eu le scandale des passeports vendus – et lorsqu’on atteint ce stade où la citoyenneté s’achète comme des voitures, tout peut se monnayer : les élus, les policiers, les arpenteurs…

Mais ce que Pravind Jugnauth et ses conseillers ne comprennent pas : c’est que la citoyenneté est d’abord et avant tout un contrat social.

Pause. Pour qu’un contrat soit légitime, ne faudrait-il pas d’abord être élu… C’est peut-être là le problème fondamental. Pour la première fois à Maurice, nous avons affaire à un Premier ministre qui n’a pas été élu pour être Premier ministre, mais pour être simple membre du Cabinet de son père !