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Philippe Gentil: «On ne m’invite plus aux célébrations du 12 mars»

13 janvier 2018, 20:31

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Philippe Gentil: «On ne m’invite plus aux célébrations du 12 mars»

À voir Philippe Gentil s’affairer dans sa courette très bien entretenue, à l’avenue Murray, à Quatre-Bornes, on ne lui donnerait pas son âge. Ce monsieur à la démarche alerte, au verbe facile et se souvenant dans les détails des faits survenus il y a 50 ans, fêtera ses 90 ans le 9 février.

Après une longue carrière dans la force policière, plus particulièrement au sein du Police Band, Philippe Gentil prend sa retraite en 1988. Il ne reste pas inactif, pour autant. Des jeunes viennent chez lui pour apprendre à jouer du violon. L’ancien membre de la fanfare policière continue également à s’occuper du petit orchestre, composé de détenus, qu’il a créé à la prison quand Deepak Bhookun était responsable des services pénitentiaires.

Puis, avec l’âge, le compositeur de l’hymne national a réduit ses activités. Maintenant, il accorde beaucoup de temps à sa pratique religieuse. Il participe régulièrement aux offices de son église, à Rose-Hill. Quand Philippe Gentil est à la maison, il s’occupe de son jardin mais aussi de ses nombreux chats. Il en a quatorze.

Celui qui sera nonagénaire dans un mois, parle longuement du Christ. Il cite de mémoire des passages entiers de l’Évangile. Mais quand nous abordons le 50e anniversaire de l’Indépendance et la composition de l’hymne national, Philippe Gentil se braque. «Je n’ai pas envie de parler de ces choses-là. Les politiciens m’agacent.»

Il a fallu beaucoup de persuasion pour amener l’artiste à raconter les circonstances menant à la composition du Motherland. Et quand le compositeur s’y met, on ne peut qu’être admiratif devant sa passion. Philippe Gentil fredonne avec mélodie le Motherland dans son intégralité. Il n’en rate pas une seule parole.

Le musicien regrette que l’on ne chante pas l’hymne national correctement. «Aujourd’hui, j’entends gloooory to thee ! Comme une plainte. Mais il ne faut pas se plaindre. On fait les louanges de la mère patrie, il faut dire Glory to thee avec force et vigueur

Auparavant, Philippe Gentil nous aura donné les raisons de son dépit. «Je dois vous dire que je n’existe pas pour les officiels. Depuis 20I5, on ne m’invite plus aux célébrations de l’Indépendance.» Toutefois, l’homme prend de la hauteur par rapport à ce traitement cavalier. Il a déjà vécu cela dans le passé.

Le compositeur raconte son expérience du 12 mars 1968. Quand l’hymne national est joué pour la première fois officiellement au Champ-de-Mars, Philippe Gentil, le compositeur, est placé au dernier rang de la fanfare avec un tambour. Pourtant, il joue de plusieurs instruments «J’étais affecté au side drum et en policier discipliné, je devais obéir aux ordres de mon chef.» Avant sa retraite, l’artiste n’allait jamais dans les tribunes, le 12 mars. Il était de service au sein du Police Band sur le tarmac.

Philippe Gentil a plusieurs fois été décoré. Il est fait Member of the Order of the British Empire (MBE), en 1968, Officer of the Order of the Star and Key of the Indian Ocean (OSK) en 2008 et Commander of the Order of the Star and Key of the Indian Ocean ( CSK) en 2010, «en reconnaissance du travail accompli dans le domaine de la musique.» Mais, le citoyen Gentil accorde peu d’importance à ces distinctions. «J’ai donné toutes les décorations à mes proches», dit-il.

Mais dans quelles circonstances a-t-il composé la musique du Motherland ? «C’est une inspiration. Je marchais dans la rue quand cet air m’est venu. Dès que je suis arrivé à la maison, je me suis mis à écrire la partition. Mais c’était seulement la moitié de l’hymne», confie notre interlocuteur. Ce  n’est que le surlendemain que Philippe Gentil complétera l’oeuvre.

Par la suite, aux casernes de Vacoas, le policier demande à ses collègues d’exécuter le morceau. Lors d’une de ces séances, Philippe Oh-San, le Bandmaster entre dans la salle sans que les musiciens ne s’en rendent compte. Il écoute le morceau et informe le compositeur qu’il avait déjà reçu, de Jean-Georges Prosper, un texte qui siérait bien à sa musique. «Je n’avais jamais rencontré Prosper», dit Philippe Gentil. Mais, il donne son accord et les pièces sont envoyées au comité de sélection.

Philippe Gentil, qui n’a pas été au conservatoire, est très fier que sa composition soit devenue l’hymne national. «J’ai appris la musique auprès de mon père, qui était violoniste». En effet, Eugène Gentil était un musicien connu de la capitale. Il se produisait au théâtre de Port-Louis aux côtés d’artistes très appréciés à l’époque.

Depuis 1968, le nom de Philippe Gentil est à jamais associé à l’histoire du pays, mais l’homme prend de la distance par rapport à «ces choses-là». Et que pense-t-il du manque de considération à son égard ? L’homme emprunte au Christ sa réponse. «Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font.»