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Yerrigadoogate: Genèse d’une enquête

14 septembre 2017, 07:34

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À l’express, nous cultivons depuis notre naissance le triomphe, ici, modeste. Mais il importe de rappeler le fil des événements ayant débouché sur la démission de l’Attorney General hier. Voici les faits.

Nous sommes dimanche matin. Mon téléphone sonne. Au bout du fil, un homme à la voix paniquée : il s’agit de Husein Abdool Rahim. Un jeune de Plaine-Verte. Il demande à me rencontrer. «J’ai raconté ce qui m’arrive à plusieurs interlocuteurs, mais personne ne veut me croire. Vous êtes mon dernier recours. Ma vie est en danger. Aidez-moi.»

En compagnie de l’un de mes collègues journalistes, nous écoutons l’incroyable récit du solide gaillard. Le fait qu’il plaide coupable dans une affaire de «swindling» ne l’aide pas. Pendant les dix premières minutes, on peine à le croire. Il nous montre alors ses preuves, soigneusement conservées et archivées. Je suis de moins en moins sceptique, à mesure que je lis ses WhatsApp, SMS, feuillets imprimés, notes manuscrites, lettre officielle et que je visionne ses nombreuses photos.

On décide alors d’aller rencontrer l’avocat de son choix, un membre en vue de l’opposition, qui normalement tire plus vite que son ombre. Mais, ce dernier, tout en acceptant que l’affaire est sérieuse, refuse de soutenir Husein. À notre déception. Lui aussi, comme un autre avocat de l’opposition vu préalablement par Husein, ne veut pas se battre contre l’Attorney General. Il invoque des raisons – que nous trouvons quelque peu bancales. L’affaire est grave. Mais il manque des personnes courageuses pour mener l’enquête et faire éclater l’affaire (Breaking the Story!)

On appelle alors d’autres avocats. Dont Roshi Bhadain, qui accepte de quitter sa campagne au n° 18, pour venir nous écouter ce dimanche soir : Husein et nous, l’express. Au départ Bhadain est sceptique, mais au fil du récit et des notes que nous lui présentons, l’ancien ministre de la Bonne gouvernance et ancien responsable d’enquête à l’ICAC n’en revient pas. Il nous dit alors qu’on peut compter sur lui. Et on repasse tout le récit au peigne fin. Point par point.

Alors, ce même dimanche soir on décide de tout recouper et compiler. Message par message, document par document, souvenir par souvenir. Nous contre-vérifions chaque détail. Nous décidons alors de «Break the Story».

Avec l’aide du couple Hurhangee (l’avocat Ashley et son épouse Nanda, avouée), ce travail de fourmi, entrepris par des journalistes passionnés et raisonnés, constituera la base du fameux affidavit avec ses 33 annexes accablantes !

Le premier article avec la lettre officielle de l’Attorney General sort lundi. Notre confrère le Mauricien réalise, contrairement aux autres confrères (à l’exception notable de Sunday Times), l’ampleur du scandale. Consternation générale mais les détracteurs de l’express, par ailleurs communicants du gouvernement, prédisent qu’on va se casser la gueule. Car Husein ne serait pas crédible, allèguent-ils.

Le deuxième article fait la part belle à deux pages A4 manuscrites et écrites, selon notre lanceur d’alerte, par Ravi Yerrigadoo. On prend, au nom de l’intérêt public, et en l’absence d’une Freedom of Information Act, le risque de les publier car ces documents ont passé nos nombreux contre-interrogatoires.

L’express, en particulier Axcel Chenney et Yasin Denmamode, a soutenu Husein car nous vivons, au quotidien, les pressions auxquelles font face les lanceurs d’alerte : harcèlement, isolement, humiliation, affiches illégales sur lesquelles on vous traite de soûlard… Autant de techniques propagandistes avec un objectif : réduire au silence l’express et le reste de la presse libre et indépendante.

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À l’heure où nous prenions, hier après-midi, connaissance de la mise en demeure de Yerrigadoo contre nous – et contre notre confrère le mauricien (ce qui n’est pas sans rappeler le Gagging Order de triste mémoire dans l’affaire Soornack), nous entendons Pravind Jugnauth qui annonce le stepping down de Ravi Yerrigadoo ! Quel paradoxe.

L’explication de Yerrigadoo dans sa mise en demeure est simpliste face à un affidavit de 124 paragraphes ! Les questions que nous avons posées sont restées largement sans réponse.

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Pourquoi avoir fait cela ? Nous voulons, sur ce dossier, confronter les FAITS que nous avons exposés aux versions contradictoires de Yerrigadoo dans une cour de justice. Nous voulons ensuite aussi soutenir l’émergence d’un statut protecteur des lanceurs d’alerte et d’une législation en matière de class-action (action collective) à l’encontre de dysfonctionnements  de services régaliens de l’État. C’est ainsi que nous concevons notre rôle de contrepouvoir. Avec l’aide de quelques confrères, malgré le silence radio d’autres de la presse ou de la politique... comme le dirait l’autre, chacun son combat. Le nôtre a toujours été et restera en faveur des lendemains meilleurs pour notre pays parce que nous partageons un destin commun.