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Gaëtan Siew: «La planification urbaine a été hasardeuse»

16 août 2017, 03:30

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Gaëtan Siew: «La planification urbaine a été hasardeuse»

Vous étiez parmi les protestataires lors de la démolition de La School, le mois dernier, pourquoi un pays doit-il préserver son patrimoine ?

Le patrimoine c’est l’histoire. Les sites historiques, tant sur le plan architectural qu’urbain, racontent notre histoire. Ces narrateurs nous parlent, nous subjuguent et nous plongent dans une atmosphère différente de celle qui nous entoure sur le moment. Le patrimoine nous soustrait au rythme trépidant de la vie en ville et propose un mode de vie plus empreint de sérénité. L’explication en est simple, le cadre urbain est aujourd’hui plus favorable à la modernité et au style contemporain. Ces magnifiques édifices faisant partie du patrimoine sont laissés à eux-mêmes. Nous ne pouvons vivre déconnectés de notre histoire. Au contraire, nous avons le devoir d’intégrer notre héritage à une vision globale. C’est possible. Ce sera difficile, mais le résultat final en vaut la peine.

Peut-on rendre une population sensible à la préservation du patrimoine, si on ne lui apprend pas son histoire ?

La réponse est dans la question. Effectivement, nous devons sensibiliser la population. Dans ce contexte les deux mots-clés sont : histoire et mémoire. Histoire pour les siècles passés, mémoire pour les générations précédentes. Leur vision de la ville est différente de celle qu’en ont les jeunes. Nous devons préserver ces deux conceptions. Notre identité et notre sens d’appartenance tiennent dans ces deux mots.

On reproche aux ONG et à des personnalités de toujours protester après la destruction d’un symbole du patrimoine, mais de ne rien entreprendre pour le sauver avant…

Je peux comprendre cette attitude. En général, on prend pour acquis quelque chose qui est là et on en ressent l’absence seulement quand il n’y est plus. Nous voyons le triste sort réservé aux bâtiments anciens. Classés monuments historiques ou non, ces édifices sont laissés à l’abandon et vont s’écrouler. Une liste du patrimoine ne doit pas comprendre seulement des bâtiments déserts et près de l’effondrement, elle doit célébrer notre histoire.

Comment concilier la réponse aux besoins modernes et la préservation du patrimoine ?

Nous devons être fiers de notre histoire. Nous avons le devoir de raviver ces bâtiments, en les ravalant et en leur donnant une mission. Il faut trouver pour ces sites une fonction commerciale qui peut attirer des investissements et générer des bénéfices qui aideront à leur renaissance. Toutefois, cette fonction commerciale doit pré- server l’accès du public au bâtiment. On doit être proactif et ne pas attendre les fonds de l’État. Il faut encourager des initiatives du privé qui allient le social à l’économie.

Depuis deux décennies, le terme «Town Planning» a disparu de l’appellation du ministère du Logement. Qui s’occupe de l’urbanisme maintenant ?

C’est le Budget qui détermine l’urbanisme à l’échelle nationale. Il indique s’il y a des dotations prévues pour des projets importants qui auront un impact sur le tissu architectural. Toutefois, j’admets qu’il nous faut une planification globale qui permet d’ajuster le Budget à nos besoins urbains.

Quand on regarde la cybercité à Ébène, on peut dire que les promoteurs privés ont fait construire sans aucun cahier des charges. Vos commentaires.

La cybercité d’Ébène est l’exemple de ce qui arrive quand nous ne sommes pas rigoureux dans la planification urbaine. C’est une faute qui a un impact considérable sur toute une région. L’espace urbain est un système complexe, on doit en tenir compte. Il faut privilégier des normes qui favorisent l’humain par rapport aux véhicules, des critères qui encouragent un mode de vie sain. En ce qui concerne Ébène, il faut établir des règles qui aideront à contrecarrer les effets de la cacophonie qui y règne.

Plusieurs «smart cities» ont été annoncées. Qui a défini les règles d’urbanisme à respecter par ces projets ?

Quand j’étais président de la State Land Development Company (SLDC), nous avons aidé le Board of Investment à définir la vision relative aux smart cities et les règles qui s’appliqueraient à leur développement. Nous nous sommes assurés que tous les acteurs du secteur soient parties prenantes de la décision d’octroyer ou non un Smart City Certificate. Parmi ces interlocuteurs, on retrouve divers ministères et les urbanistes du ministère du Logement et des terres.

Comment l’architecte Gaëtan Siew voit la manière dont l’aménagement du territoire est effectué ?

D’abord, il faut comprendre que l’espace urbain est dynamique. Imposer des normes rigides n’apportera pas de solutions à long terme. Il faut s’adapter et faire preuve de souplesse. Ensuite, dans une ville, tout doit être au service des hommes: le style, l’architecture, le cadre de vie. Fondamentalement, nous faisons de la conception urbaine pour satisfaire les hommes, donc il nous faut créer un tissu urbain qui favorise un cadre de vie sain.

Et la planification urbaine à Maurice…

Elle a été hasardeuse pendant plusieurs décennies. Il faut d’abord faire un constat de la situation, comprendre ce qui marche et ce qui ne marche pas. Nous ne pouvons et nous ne devons pas seulement faire la comparaison avec d’autres villes, notre tissu social est propre à nous. Ce qui convient ailleurs à d’autres peut ne pas marcher ici pour de multiples raisons. Donc les solutions à nos problèmes doivent être trouvées ici. Elles doivent être adaptées à notre contexte et provenir de notre réflexion en tenant compte de nos sensibilités.

De quelle manière le Metro Express changera-t-il l’organisation des villes ?

Le transport en commun a un impact considérable sur les villes : le flux des véhicules est réduit et de nouveaux nœuds du réseau de transport voient le jour. Ils relient des parkings à des terminaux et des terminaux à des destinations. Mais, l’impact le plus pertinent est la création des points de développement économique autour des terminaux. C’est ce qu’on appelle le Transit Oriented Development, avec l’aménagement des espaces à des fins commerciales, culturelles et sociales dans un rayon de 400 mètres autour des terminaux. Il y a, donc, nécessité d’une planification bien pensée.