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Madame Audibert et la classe (ou plutôt le manque de classe) politique

20 mai 2017, 08:14

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Elle s’appelle Marie Christine Audibert comme elle aurait pu s’appeler Shri Devi ou Zeenat Muthy.

Dans une lettre ouverte adressée à Pravind Jugnauth, publiée dans la page Tribune de notre édition de mercredi, «Madame» Audibert lui rappelle, avec beaucoup de courtoisie et un brin de nostalgie, qu’il y a quelques années, elle a eu «le bonheur d’être l’enseignante d’une de vos (ses) filles»

En comptant l’une des filles de notre Premier ministre, quelque 4 000 élèves (et leurs parents, dont Kobita Jugnauth) auront eu la chance de «croiser la route» de la bonne Madame Audibert. Celle ci les a aidés avec toute son expérience éprouvée. Un vrai conte bien mauricien. Où tout le monde est beau, tout le monde est gentil…

Avec une prose presque aussi brûlante que l’envie d’un ventre qui crie faim, Madame Audibert écrit, décrit et s’écrie : «J’ai toujours eu pour les élèves estime et respect. J’ai eu l’occasion de côtoyer leurs parents (dont votre épouse) et je les ai constamment aidés dans la construction de leurs adolescents pour que ceux-ci façonnent au mieux la société mauricienne (…) Alors je me permets de m’adresser à vous en tant que Père de la Nation pour que vous puissiez nous rassurer et nous prouver que vous avez un coeur et de l’humanité… que vous n’êtes pas au poste de PM seulement pour assurer une fonction.»

«Vous pouvez mettre fin aux souffrances des victimes de la BAI et du BAML et par-dessus tout aux souffrances de ces grévistes de la faim, qui iront jusqu’au bout de leurs forces… J’ai peine à croire que vous pourrez porter la responsabilité de la mort d’un d’entre eux si cela arrivait ! Vos enfants ne supporteraient pas l’étiquette que vous pourriez porter. Sortez grandi de cette épreuve et donnez l’image d’un vrai père. Restez sourd… et vous écrirez une page noire de l’Histoire de Maurice qui restera à jamais gravée dans les mémoires.» Dixit Marie Christine Audibert. Ces lignes de Madame Audibert sont poignantes. Elles n’auraient pas pu être autrement pour quiconque ayant croisé son chemin.

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Plus pernicieux que l’aspect économique et social, il y a l’aspect politique – ou plutôt cette moralité politique que tout un chacun se plaît à gargariser alors qu’ils boivent l’eau contaminée – entourant la chute provoquée de l’empire BAI. Celui-ci était l’un des plus puissants groupes donateurs du secteur privé mauricien, qui avait ainsi connu une ascension tant fulgurante qu’artificielle. Le groupe de Dawood arrosait pratiquement tous, oui je dis bien tous, les partis politiques, mais avait une preference pour l’ami de la famille Rawat : Navin Ramgoolam. 

Parmi les gros du privé qui financent toujours, à coups de millions, le fonctionnement des partis politiques, il y a au moins une quinzaine d’entreprises bien connues sur la place publique. Celles-ci assurent, depuis des décennies, le coûteux fonctionnement de la démocratie mauricienne puisque l’État ne finance pas et, pire, reste aveugle aux faramineuses dépenses politiciennes et électorales. Des chiffres qui s’échangent donc dans le noir – en l’absence d’une loi serrée et moderne – et qui peuvent provoquer la corruption politique. Un débat trop souvent occulté à Maurice. Ce qui donne l’impression que tout le monde est mouillé, même si financement politique ne devrait pas forcément rimer avec corruption politique, comme insiste Paul Bérenger, dont le parti, comme tant d’autres, a aussi bénéficié de la générosité du groupe BAI.

Ces derniers jours, le bal incessant des politiques et des Rawat pour se faire photographier avec les grévistes de la faim est époustouflant. Leurs mines étaient pathétiques devant les photographes. Même Salim Muthy paraissait plus en forme qu’eux. Comme si chacun était venu se server sur un plateau des miettes du naufrage financier.

Pourtant tous les politiciens, d’une manière ou d’une autre, à commencer par Roshi Bhadain et Xavier Duval, ont une responsabilité majeure qu’ils se doivent d’assumer aujourd’hui, au lieu de pointer un doigt accusateur. Soit on fait de la politique et on propose des solutions, soit on fait du cinema comme on a un peu trop vu au jardin ces derniers temps. Si seulement au lieu de s’accuser, nos politiciens mettaient un peu la main à la poche pour soutenir ces familles en détresse et au bout du désespoir…

En 2015, le Premier ministre d’alors, sir Anerood Jugnauth, s’était dit satisfait d’avoir sauvé le pays d’un désastre financier et a toujours maintenu la thèse d’un «Ponzi de très vaste proportion». SAJ, sûr de lui, et renseigné par Bhadain, a même annoncé que les autorités «poursuivront les escrocs et leurs coffres partout, où qu’ils se trouvent» dans le monde. Or, on a vu que les charges contre les Rawat tombent, une par une, si tant qu’elles ne restent pas provisoires.

Quand on a dit que le méga scandale BAI est la mise en place d’un mécanisme «monstrueux» pour «arnaquer les Mauriciens», il est de notre devoir comme patriotes d’aller jusqu’au bout et de réconforter ceux qui ont perdu tout goût à la vie et toute confiance en nos élites politiques qui corrompent nos institutions publiques depuis ces 15-20 dernières années. 

Dans l’affaire BAI : qui a volé qui et quand et surtout comment ? Il y a tant de versions et de chiffres. On ne comprend plus rien, entre Lutchmeenaraidoo, Bhadain, SAJ, BDO, Pravind Jugnauth, Navin Ramgoolam, et son ancien minister des Finances, Xavier-Luc Duval. Tous trempés ? Tous coupables, on ne le sait pas, mais ils sont responsables d’avoir laissé pourrir une situation aujourd’hui quasi intenable. Qui tient le pays en haleine, l’appétit petit, comme en solidarité. Nous sommes inquiets. 

Car tant de questions sont esquivées : quelle est la responsabilité des institutions comme la FSC, le FRC, ou encore la FIU?

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Si, aujourd’hui, pour payer les quelque 15-19 milliards, tout le monde doit y contribuer afin de compenser la faillite totale de nos politiciens et de nos institutions, il devient, sur le coup, impératif qu’on parle, sans plus tarder, du financement des partis politiques – car aujourd’hui, sans financement, les petits partis meurent en silence ou dans le fracas des idées. Et l’hégémonie politique qui a permis à la BAI de grossir démesurément va continuer, grève de la faim ou pas. 

Le 4 avril 2015, l’on se demandait : pourquoi et pourquoi maintenant ? Ces deux questions taraudent toujours le public en général, et le milieu financier local en particulier, et ce, depuis la révocation, à 00 h 45, le 3 avril 2015, de la Banking Licence de la Bramer Bank, suivie de la mise sous administration judiciaire de la BAI. 

Depuis, sur la place publique, c’est l’incompréhension qui a engendré la panique et l’accaparement sans méthode, à la vitesse des loups affamés sur un sentier de reconquête. 

Plus de deux ans plus tard, ne devrait-on pas conclure que le gouvernement Lepep (avec ses Bhadain et ses Duval qui veulent se dédouaner) a agi avec trop de promptitude dans un esprit surtout revanchard ? Et maintenant, où trouver tous ces milliards ? C’est ce qui devrait priver Pravind Jugnauth de sommeil, lui qui prépare son second Budget consécutif, et lui qui doit contenir le déficit budgétaire et mettre le Metro Express sur les rails de la colère populaire. 

Arvin Boolell aura, peut-être, compris davantage que nous. Now is the time ! (ce qui pourrait donner une affiche sympa en passant…)