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Hans Herchenroder: «Il faut de nouvelles industries pour accroître le volume des marchandises au port»

17 novembre 2016, 15:45

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Hans Herchenroder: «Il faut de nouvelles industries pour accroître le volume des marchandises au port»

La troisième édition de la semaine logistique de la Mauritius Export Association (MEXA), qui a démarré lundi, prendra fin demain. Hans Herchenroder fait le point sur le secteur, qui joue un rôle prépondérant dans la vie économique et commerciale du pays. Il livre aussi un état des lieux de la performance du port.

Le MEXA Supply Chain Council a démarré la troisième édition de sa campagne annuelle. Quels ont été les temps forts de 2016 ?
L’année a été marquée par l’annonce de la mise en place de plusieurs stratégies. Nous avons noté l’attention accordée par le Bureau du Premier ministre au projet relatif à la mise en place d’un corridor aérien. 2016 a été témoin de la réalisation presque complète du projet d’agrandissement du port. Janvier prochain verra les travaux de dragage du chenal en vue de porter sa profondeur à 16,5 mètres. Ce qui devrait permettre à Port-Louis d’accueillir de plus gros navires. Il y a eu la mise en place d’une zone cargo à l’aéroport. Ce qui contribuera à l’augmentation du volume de marchandises en transit à l’aéroport. D’autres initiatives prendront un peu plus de temps pour se matérialiser.

Maurice a dégringolé dans le classement relatif à la performance de la logistique ces dernières années. Que faire pour améliorer le niveau d’efficience des opérations au port ?
Le focus devrait être sur le potentiel du port à augmenter le nombre de conteneurs déplacés par heure et par grue. Si je ne me trompe pas, la performance de Maurice n’a jamais dépassé la barre des 25 conteneurs par heure et par grue. Or, il faudrait que ce soit bien au-delà. Au vu de notre ambition de faire du port un hub pour la région, il faudrait comparer la performance de Port-Louis à celle de ports dont le niveau de performance est le double du nôtre. Notamment ceux des pays asiatiques.

La Cargo Handling Corporation (CHC) est consciente de la nécessité d’améliorer sa performance…
La prise de conscience est là. La CHC en a donné la preuve cette année. Malgré le contexte difficile dans lequel les opérations s’effectuaient en raison des travaux d’agrandissement du port, la cadence a été maintenue. En 2015, à la même époque, le nombre total de conteneurs manutentionnés, comparativement à la capacité de manutention réelle, se situait entre 10 % et 15 % de moins. En juillet 2016, on est arrivé au-delà des 210 000-215 000 conteneurs manutentionnés. Beaucoup d’efforts ont été déployés pour améliorer la performance et l’efficience au port. Selon les dernières données, en juillet, la performance du port se situait au niveau de 20,5 conteneurs par heure par grue. Ce qui n’est pas mal compte tenu du contexte. À terme, il est impératif qu’on dépasse le niveau de notre performance actuelle. 

Quelles pourraient être les répercussions sur le coût des marchandises d’une performance en baisse des opérations manutentionnaires ?
Une baisse d’efficience a une ré-percussion directe sur les coûts d’opération des lignes maritimes des navires-conteneurs. Pour amortir les effets de cette augmentation, les propriétaires des lignes maritimes vont nécessairement faire des ajustements afin d’opérer dans les paramètres des coûts. Ceci influera sur le prix du produit au niveau du consommateur, qui le paiera plus cher.

Aussi, l’efficience d’un port précède sa réputation aux yeux du monde extérieur. Si la réputation d’une efficience en baisse continue de coller à l’image de Port-Louis, ce sont les ports concurrents qui risquent d’en tirer profit.

La baisse d’efficience du port peut-elle être attribuée au mode de fonctionnement des institutions, outre la CHC, qui sont impliquées dans le processus de dédouanement ?
Outre les services douaniers et la CHC, il faut le feu vert d’au moins cinq ministères ou autorités pour finaliser le dédouanement de produits importés. Or, la coordination n’est pas le point fort de ces autorités. D’où la nécessité de mettre en place un protocole pour que le dédouanement se fasse dans les meilleures conditions. À un moment, on a évoqué la mise en place d’un guichet unique. Ce projet n’a jamais vu le jour. Sans une approche globale et intégrée de l’ensemble des opérations au port, Port-Louis ira de chute en chute au niveau de l’indice de performance des ports. Dans un pays qui dépend en grande partie de l’importation et l’exportation, la chaîne logistique joue un rôle déterminant dans le coût des produits.

Quel serait le rôle d’un guichet unique regroupant les divers départements de l’État ?
L’installation des services de l’État dans le cadre d’un guichet unique est indispensable pour instaurer l’efficience de la chaîne logistique. Sans cela, les conséquences sont des produits plus chers à l’importation et, au niveau de l’exportation, l’effritement, graduel mais certain, du niveau de notre compétitivité à l’extérieur.

En d’autres mots, Maurice est en train de jouer avec le feu….
Ça y ressemble fort. Plusieurs facteurs requièrent que Maurice revoie sa copie. Il s’agit, entre autres, de l’ambition affichée par des pays riverains de rehausser constamment le niveau de leur compétitivité, du développement de l’Afrique qui prend de plus en plus d’ampleur, de la multiplication des ports francs en Afrique de l’Est, notamment au Kenya, en Tanzanie et à Djibouti. Maurice doit réagir.

Comment faire de Maurice un port «hub» de la région?
Il faut une stratégie ayant pour objectif d’accroître, de façon agressive, le volume de marchandises que ce soit au niveau de l’exportation ou de l’importation ou au niveau des opérations de transbordement. C’est une des conditions indispensables pour attirer les lignes maritimes propriétaires de gros porteurs.

De plus en plus, les lignes maritimes préfèrent un réseau de connectivité en étoile. Il s’agit d’un système de connectivité ayant un port central capable d’accueillir des gros transporteurs et qui, en même temps, sert de point de distribution à des destinations subsidiaires limitrophes. Il faut une masse critique en termes de volume de marchandises. C’est le facteur qui nous manque pour faire de Maurice un hub de la région.

Comment doter Maurice des moyens susceptibles d’accroître le volume de marchandises ?
Plusieurs pistes sont exploitables. On pourrait mettre en place les mesures capables d’inciter des opérateurs à transborder davantage de marchandises à Maurice. Une augmentation de volume passe obligatoirement par l’accueil de nouvelles industries à Maurice.

Le recours à un réseau de navires collecteurs est évoqué avec insistance. En quoi cette stratégie pourrait-elle être partie de la solution?
La gestion d’une ligne maritime requiert un savoir-faire qui n’est pas à la disposition de tout le monde. On n’assure pas la survie d’une ligne maritime à coups de subsides. Je ne pense pas que le recours à des feeder vessels serait une solution sur le long terme. L’alternative serait de créer les conditions afin que les lignes maritimes existantes mettent en place des services pour desservir la région de façon plus efficiente. Ce qui devrait intéresser les industriels de Maurice et d’autres pays de la région. Cela, dans le but de regrouper le volume nécessaire qui inciterait les lignes maritimes à mettre en place un réseau régional plus efficient qui devrait pouvoir inclure certains ports de la côte est de l’Afrique, dont celui de Mombassa et de Dar-es-Salaam.

Si jamais cette approche voit le jour, comment Maurice devrait-il se positionner dans ce nouveau schéma de développement ?
Cette initiative devrait donner naissance à une structure qui regroupera, de manière cohérente, toutes les stratégies, qu’elles soient financières, fiscales, opérationnelles ou logistiques, dont on a besoin. Cette structure pourrait éventuellement prendre la forme d’un ministère ou d’un organisme coordonnateur.

Pourquoi, dans sa forme actuelle, le port franc ne peut-il pas commencer à s’ouvrir à ces nouvelles industries ?
Cela aurait pu être le cas si la loi qui sert de cadre aux activités du port franc n’imposait pas une condition extrêmement contraignante. Soit le fait que tout opérateur du port franc engagé dans la filière manufacturière doit consacrer au minimum 50 % de sa production à l’Afrique. Loin de moi l’idée de sous-estimer le potentiel du marché africain, mais nos marchés traditionnels, les industriels qui ont l’habitude de travailler avec nous et qui sont susceptibles de souscrire à notre stratégie visant à augmenter le volume de marchandises, n’ont pas nécessairement comme marché principal le continent africain.

En laissant perdurer cette disposition légale, on rate une chance inouïe d’attirer vers ce secteur les investisseurs potentiels qui sont ceux-là même qui ont acheté des biens immobiliers selon les régimes juridiques qu’étaient jusqu’ici, l’Integrated Resorts Schemes et le Real Estate Scheme et qui continuent de le faire dans le cadre du Property Development Scheme.

Le dernier Budget évoque la possibilité de convertir le modèle actuel du port franc en une zone de port franc libre. Le modèle actuel a-t-il fait son temps ?
La loi actuelle ne pose aucun problème à l’exception de cette obligation de consacrer au moins 50 % de la production manufacturière au continent africain. Le modèle développé jusqu’ici avec, notamment, le transit de flux soutenu par une efficience logistique, place Maurice dans la logique même d’un port franc.

On ne dit pas non à une révision du modèle actuel pour attirer d’autres types d’activités associées au secteur cinématographique, à la filière des services financiers ou à des prestataires de services dans le domaine juridique. On souhaite qu’il y ait plus de concertation et de discussions avec les développeurs du port franc avant de se lancer dans un projet d’une telle envergure.