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L?art comme miroir de Vénus

12 avril 2004, 00:00

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Si, comme le disait si bien Baudelaire, le beau est toujours bizarre, alors les tableaux de Kelly Wayne, parce qu?esthétiquement ambivalents, sont de cette bizarrerie qu?on nommerait aisément l?ambiguïté majestueuse qui a su tromper le regard d?autrui, qu?il soit profane, amateur d?art, voire critique d?art. A force de trop vouloir interpréter l??uvre par rapport à l?auteur, certainement à cause de son choix de vie, certains ont fini par céder à la tentation, trop facile somme toute, de limiter l?interprétation de ses peintures à une reproduction de l?artiste elle-même telle qu?elle aurait voulu être. Ils n?ont fait que souligner une évidence. C?est, comme le traduisait si bien l?ironie de Valéry, mettre en ?uvre une grue pour soulever une cigarette !

Les erreurs d?interprétation liées aux ?uvres d?art viennent souvent de cette fâcheuse tendance à oublier que celles-ci s?adressent aussi, parfois même avant tout, à son auteur lui-même, tel un retour à l?envoyeur, tel un effet du boomerang. Les créations de Kelly Wayne appartiennent à cette catégorie d??uvres d?art où l?auteur est son principal destinataire. Son ?Autoportrait? est destiné à elle-même plus qu?aux autres. C?est une contemplation de soi dans la solitude.

Chacun de ses titres, de ?La liberté? à ?La femme vampire?, en passant par ?Le couple?, ?La femme mystérieuse?, et ?La naissance de Vénus?, entre autres, évoque plus qu?un dévoilement de soi une manière de s?apostropher. Il fallait donc voir ses tableaux comme ?un miroir de Vénus? dans lequel l?artiste se découvre et s?interpelle à travers l?acuité d?une sensibilité.

C?est une exposition qui réclame la conscience que rattacher les créations de l?esprit aux apparences des artistes serait une aventure ratée. Parce que, loin de vouloir se représenter uniquement elle-même et ce qu?elle veut être, l?artiste tente à travers ses tableaux une représentation de l?impossible qu?est cette part exilée en permanence de l?intérieur d?elle-même. Cet impossible n?est pas à confondre avec ce qu?elle ne peut pas être. Il est tout simplement l?indicible. La représentation se veut donc celle du silence glacé de l??uvre. Elle n?est pas bruyante parce que la piste même qui dévoile l?image de son âme est brouillée à la base. Si certains n?ont pas vu là l?essence de ses tableaux, c?est sans doute parce qu?ils se sont heurtés à ce silence. Alors, ils sont sortis du cadre pour aller errer à côté de ce qu?offrait le fond des tableaux et ils ont commenté autre chose que le travail même de l?artiste.

C?est parce qu?ils se sont laissé prendre au piège de son apparence confuse qu?ils ont vu dans toute l?exposition que des parties disparates, alors qu?au fond, dans son essence, celle-ci est une synthèse de désir et d?instinct. Sans doute fallait-il, sans acrobatie intellectuelle, voir dans l?inégalité de son style l?apparent désordre dans lequel l?esprit de l?artiste s?est engagé pour chercher le salut ! Mais, comme l?écrit Henry Peyre à propos du romantisme français, ?des préjugés ou des erreurs de point de vue ont nui à sa compréhension large?.