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Dr Fayzal Sulliman, ex-responsable du programme de méthadone du ministère : «il est temps de fermer la Natresa»

30 juin 2012, 11:50

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Cet ancien responsable du programme de méthadone de la Santé est d’avis que même si la situation de la drogue est alarmante à Maurice, nous avons fait des avancées avec les mesures courageuses prises par le gouvernement. Il met, cependant, en garde contre un certain relâchement au niveau des autorités.

? Maurice n’est mentionnée que deux fois dans le dernier rapport des Nations unies sur la situation de la drogue dans le monde. Est-ce une bonne chose ?

Le rapport en question ne donne pas les tendances. C’est le rapport World Illicit Drug Trends, qui devrait sortir bientôt, qui donne la tendance au niveau mondial et la performance des pays en termes de production, consommation et prévalence.

? Les deux mentions de Maurice dans le rapport font état d’une augmentation de l’utilisation de l’héroïne et de l’injection de drogues. Cela vous étonne ?

Je pense qu’ils sont en train de dire qu’il y a une augmentation par rapport à d’autres pays. Mais, ce que je peux vous dire, par rapport à ce que je vois sur le terrain, c’est qu’il y a une diminution des nouveaux patients.

? Mais pas une diminution de toxicomanes ?

En tout cas, cela nous donne une indication que le nombre de toxicomanes a diminué.

Il y a très peu de toxicomanes qui ne veulent pas être traités.

? Que veut-on dire quand on parle de traitement ?

Il y a trois aspects au traitement de la toxicomanie. Le premier est la réduction de l’approvisionnement, qui passe par la répression, en empêchant la drogue d’entrer dans le pays. Ensuite, il y a la diminution de la demande, en traitant les toxicomanes, pour qu’ils n’aient plus besoin de drogues.

L’autre aspect est le harm reduction. Cela a été introduit récemment à Maurice parce que nous nous sommes rendu compte qu’il y a un petit groupe de personnes qui ne veulent pas être traitées. Pour elles, nous faisons du harm reduction, en leur donnant des seringues propres.

? Il y a justement beaucoup d’incompréhension en ce qui concerne cette méthode. Pourquoi donner des seringues aux toxicomanes ?

Je sais qu’il y a des gens qui disent que nous les encourageons. Mais, à Maurice, la transmission du HIV se fait majoritairement à travers l’injection par voie intraveineuse de la drogue. Pour s’attaquer au problème de transmission du HIV, il a fallu nous attaquer au problème d’injection par voie intraveineuse.

Nous expliquons aux toxicomanes pourquoi c’est important de ne pas partager leur seringue. C’est une pratique courante parmi les toxicomanes d’acheter une dose de drogue, de la mélanger dans une seringue et la partager à quatre ou cinq parce que le prix de la drogue est tellement élevé. Si un de ces toxicomanes a le HIV, il l’a transmis à quatre autres. Quand ceux-là vont rentrer chez eux, ils vont le transmettre sexuellement. Donc, n’est-ce pas mieux de faire en sorte que ces gens-là utilisent des seringues propres ? Nous sommes en train de réduire le mal causé par la drogue.

? La même question se pose par rapport la méthadone car il y a aussi la perception que l’Etat donne de la drogue «en cadeau» aux toxicomanes ?

Effectivement. Mais nous remplaçons l’héroïne par une drogue qui est presque similaire à l’héroïne : la méthadone. Car la plupart des toxicomanes ne peuvent pas aller en désintoxication soit ils la trouvent trop dure, soit ils vont faire une rechute très vite. Avec la méthadone, leur vie sociale se stabilise.

? Mais est-ce qu’ils planent avec la méthadone ?

Non, pas du tout. La méthadone élimine les effets de manque que les toxicomanes trouvent insupportables et qui font qu’ils rechutent souvent. La méthadone leur permet d’avoir une vie normale. Mais le problème est que le programme ne marche pas.

? Pourquoi ?

Le toxicomane en traitement est censé prendre une dose de méthadone devant le personnel médical au centre de distribution.

Il est censé boire un peu d’eau avant de partir, pour que le personnel médical soit assuré qu’il a bien avalé le sirop. L’on n’est pas en train de respecter cette condition.

Le personnel médical est dépassé et n’est plus intéressé à faire son travail comme il se doit. Personne ne vient vérifier si tout est fait selon les normes. Les gens entrent, se servent eux-mêmes et, souvent, ils ont l’occasion de boire leur dose et d’en voler une autre. Maintenant, la méthadone qui est donnée gratuitement s’est retrouvée sur le marché illicite. C’est la preuve directe que le programme ne marche pas. D’autres viennent, boivent la méthadone, mais n’avalent pas et crachent le sirop quand ils sortent du centre. On appelle cela «metadonn labav». Ils vont vendre cette méthadone.

? Mais comment est-on arrivé là ? Surtout que le plus difficile a été fait : d’avoir le courage d’introduire ce programme !

Effectivement, le gouvernement a pris une décision très courageuse en introduisant cette mesure. Mais la question est : what next ? Si nous regardons le taux de transmission du VIH, c’est clair que la tendance s’est stabilisée et qu’elle est marginalement à la baisse. Il y a de grandes chances que ce soit grâce à nos efforts de donner de la méthadone et des seringues aux toxicomanes. Le seul problème, c’est qu’il n’y a pas de prise en charge. A ce stade, ce ne sont que les ONG qui s’occupent de ces toxicomanes.

Le ministère de la Santé semble, lui, avoir perdu intérêt dans le programme de méthadone. La preuve est le type de médecins que le ministère envoie au programme de méthadone. La NATRESA, qui a été créée en 1996 pour faire la coordination entre toutes les parties prenantes sur les actions pour le traitement des toxicomanes, est devenue superfl ue et ne sert plus à rien.

Il est temps de fermer la NATRESA. On est en train de gaspiller les fonds publics sur quelque chose qui n’a plus sa raison d’être.

? Il semble aussi y avoir une contradiction dans la politique gouvernementale. D’un côté, ils prennent une décision courageuse, en protégeant le consommateur et en introduisant le programme d’échange de seringues et le programme de méthadone. Mais d’un autre côté, le «Dangerous Drugs Act» condamne le consommateur. Comment expliquez-vous cela ?

Sous le nouveau HIV and AIDS Act, si une personne suit le programme d’échange de seringues, la police n’est pas censée l’arrêter.

Mais, il y a effectivement une contradiction, puisque le Dangerous Drugs Act dit qu’une personne en possession d’une seringue usée doit être poursuivie. Le problème est que tout dépendra de l’attitude du policier. Et, parce que les policiers, même ceux de l’ADSU, n’ont pas été formés pour traiter avec les toxicomanes, ils auront tendance à les traiter comme des criminels plutôt que des malades.

? Quelle est votre opinion sur la dépénalisation du gandia, que certains qualifient de drogue douce ?

Je ne suis pas d’accord. Ce n’est pas vrai de dire que la dépénalisation va réduire la consommation. Et, en tant que médecin, je pense plus aux conséquences sanitaires de la drogue. Une drogue est une drogue et le gandia a des conséquences sur la santé. Le gandia est dangereux parce qu’il affecte chaque système de notre corps : les systèmes nerveux, alimentaire, cardiovasculaire, respiratoire, etc. Le problème avec le gandia est que parce qu’il n’y a pas de dépendance physique, le consommateur pense qu’il n’est pas drogué.

? Mais, en termes de loi, faudrait-il faire la différence entre les drogues dures et les drogues douces ?

Ecoutez, si l’on arrête quelqu’un avec un pouliah de gandia, on ne peut pas le traiter comme on aurait traité quelqu’un avec de l’héroïne. Il faut prendre en considération le mal que la drogue fait à la société.

? Ally Lazer pose depuis des années une question à laquelle personne n’a de réponse. Nous sommes une petite île, nous avons un port, un aéroport, comment se fait-il qu’il n’y ait jamais de pénurie de drogues à Maurice et qu’on n’arrive pas à stopper leur arrivée ?

Vous savez, les trafiquants de drogue sont plus équipés que les autorités, que les ONG et ont tous les moyens pour arriver à leurs fi ns. Quand on met un type de filtrage en place, ils ont tous les moyens pour le contourner.

? Pensez-vous que ce réseau de la drogue a des pions partout ?

Oui, sans aucun doute, parce qu’il y a trop d’argent impliqué. C’est la corruption.

C’est pour cela d’ailleurs que le bureau des Nations unies sur la drogue et le crime s’occupe aussi de la corruption : parce que c’est lié.

 

DEEPA BHOOKHUN