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Vie intime, vie privée, vie publique

16 janvier 2013, 00:00

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Des situations qui, à la Belle Epoque, relèveraient de l’anecdotique ou du vaudevillesque prennent, au siècle de l’informatique, des proportions inquiétantes. Aujourd’hui, une médiatisation omniprésente diffuse à tout vent et à toute heure, les incartades des princes et celles des égéries qui les envoûtent. Les politiques s’en mêlent et parlementent.

Les polices s’agitent. Le judiciaire intervient. Abreuvé d’articles, le peuple, fasciné par les people, succombe, comme disait Proust, «au trouble inavouable dans l’exercice solitaire de la lecture». De la lecture de textes lourdement chargés de sous-entendus salaces. Plus sérieusement toutefois, l’agitation autour des faits et gestes des puissants, et de ceux qui les entourent, soulève le grave problème d’établir, pour les journalistes comme pour les hommes de loi, les limites de l’intrusion dans la vie intime ou privée. Intentionnellement ou involontairement, ces individus et leurs comparses assument en certaines circonstances une posture déconcertante.

La presse revendique alors le droit à l’information. Jean- Jacques Servant-Schreiber résume ainsi ce droit : «Je suis avant tout journaliste. Mon rôle n’est pas de servir des hommes politiques quels qu’ils soient, mais de publier la vérité pour mes lecteurs. » (Les Fossoyeur, Ed. Fixin, 1995). Sauf que toute vérité sur la vie privée des gens peut comporter, dans sa révélation, le danger de blesser gratuitement les sensibilités ou de n’être, à l’analyse, d’aucune véritable utilité publique. Le voyeurisme indélicat favorise la vente du papier. Il n’en demeure pas moins condamnable.

La jurisprudence européenne fait la distinction entre vie intime, vie privée et vie publique. Dans «Médias mode d’emploi» (Ed. Labor et Fides, 2008), Daniel Cornu d’Edipresse, ancien rédacteur en chef de la Tribune de Genève, en fait une analyse perspicace et pertinente. La vie intime comprend en particulier la santé de la personne, ses idiosyncrasies, ses rêves innocents ou pervers, ses tendances sexuelles et affectives. Cela relève du domaine secret. Ces particularités ne concernent aucunement les autres et il n’y a pas lieu de les porter à la connaissance du public. La santé d’un chef d’Etat ou celle d’un grand patron d’industrie fait exception pour d’évidentes raisons.

La vie privée touche aux faits et gestes que nous partageons avec nos proches, nos amis ou nos relations. «Le travail, l’habitat, les loisirs, les échanges au sein des cercles (sociaux, politiques ou autres), tout cela fait partie de la sphère privée et n’offre donc pas matière à traitement médiatique.» (Op cit, pg 173)

La vie publique recouvre, elle, tous les faits et gestes qui se produisent en public. Toutefois, souligne Daniel Cornu, des actes et des situations qui ne trahissent pas une volonté d’attirer l’attention sur soi, comme prendre ses repas à la terrasse d’un restaurant, se confinent au domaine de la vie privée. Il est aujourd’hui généralement admis, du moins dans les grandes démocraties, que si les définitions sont plutôt claires, les lignes de démarcation entre les différentes sphères ne le sont pas. Quand, par exemple, un personnage, encore peu connu hier, s’active en public, clame son importance à la ronde (Savez- vous qui je suis ?) et souligne son évidente influence sociale ou politique (Je vous finirai les uns après les autres !), a-t-il franchi ou pas la fine frontière qui sépare la seconde hypothèse (vie privée) de la troisième (vie publique) ? Ou, pour revenir à la jurisprudence mentionnée plus haut, les clameurs de l’individu en public trahissent-elles ou pas «la volonté d’attirer l’attention sur soi» ?

En de telles circonstances il serait plus sage de ne pas trop en faire. S’agiter dans la fosse où on s’est fourré c’est, d’une part, aiguiser la curiosité naturelle de tout être normalement constitué et, d’autre part, courir le risque de faire remonter du fond du marigot des effluences nauséabondes. Et Daniel Cornu de conclure qu’avec Internet, Facebook, Twitter et le facile maniement de multiples appareils électroniques, la vie privée, qu’on le veuille ou non, est «un tabou en voie de démolition». Tabou démoli encore plus vite par le souci légitime de transparence que revendique le peuple dans les affaires de l’Etat, de même que par le postulat de bonne gouvernance qu’affichent les autorités.

PHOTOREPORTAGE

Et quid des photos illustrant tout ce branle-bas ? Le sociologue Henri-Pierre Jeudy (Libération 30.7.2007) constate que «l’image prise dans l’espace public avec les téléphones portables devient un véritable casse-tête juridique». La jurisprudence des tribunaux européens admet le plus souvent qu’on n’est pas tenu de solliciter d’autorisation pour prendre ou pour publier une image. Il incombe toutefois au photographe :

1. d’assurer que la prise d’image se rapporte à une information d’actualité immédiate
2. de s’abstenir de prendre des images d’un évènement privé dans un lieu privé
3. de veiller à ne pas porter atteinte à la dignité de la personne par une photographie qui revêtirait un caractère déshonorant, ridicule ou désobligeant
4. de veiller aussi à l’absence de préjudice par l’exploitation ou la diffusion de l’image (Op.cit pg 183).
L’explosion informatique des temps modernes, l’actualité galopante et vagabonde, les exigences rédactionnelles, l’impatience des rotatives, tout cela rend difficile le scrupuleux respect de la déontologie, si élaborée soit-elle.
Conclusion : celui dont la vie privée ou publique est exempte de toute équivoque ne doit craindre ni la presse, ni ses prises de vue. Au carnaval des hypocrites émanant des médias complaisants, du monde souvent veule et corrompu des affaires, ou des officines mystérieuses des partis politiques, les froides révélations d’une presse responsable s’accordent évidemment mal avec la pudibonderie ambiante. Encore faut-il que ces révélations soient franches de toute ambiguïté sournoise.


? Quelques références :

1. La presse et la justice. «Actes du Colloque Presse-Liberté»(Alain Chastagnol) PUF 1999.
2. B.Beguin, «Journaliste qui t’a fait roi? Les médias entre droit et liberté». Ed. 24 Heures 1999.
3. Claude Jean-Bertrand «La déontologie des médias» PUF-(Que saisje?) 1997
4. Michel Guerin, «Profession photographe reporter» Coll : «Au vif du sujet», CG Pompidou 1988
5. Evelyne Sullerot, «Droit de regard». Denoel-Gauthier. Paris 1970.
6. Albert du Roy, «Le carnaval des hypocrites». Paris. Seuil 1997.