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Une dévalorisation des institutions

26 mars 2012, 10:30

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L ’escalade du conflit opposant actuellement l’exécutif à la présidence de la République, autant dans ses formes protocolaires que dans sa choquante expression verbale, est indigne d’un Etat moderne, à longue tradition de stabilité institutionnelle comme le nôtre.

Malgré l’indignation morale exprimée en vain, nous touchons là à de nouveaux paliers dans un irréversible pourrissement de l’Etat et dans un affaiblissement systématique des institutions démocratiques dont le pays pourrait bien ne plus se relever tout à fait.

Dans l’inflation verbale de l’injure à laquelle on assiste ces jours- ci, tout est progressivement passé par- dessus bord : le nécessaire respect dû par les ministres aux convenances et à l’institution qu’est la présidence ; inversement la retenue du président face à des élus de la nation exerçant leur autorité et la distance que SAJ se doit d’observer par rapport au jeu politique partisan ; les règles élémentaires de la bienséance ; l’image même du pays projetée à l’étranger.

Cette dévalorisation de nos conventions et traditions institutionnelles doit à tout prix cesser. Elle embarrasse et fait honte à la nation. Elle tire davantage vers le bas le peu de prestige national qui reste encore à notre classe politique. Elle ébranle publiquement la doctrine de l’équilibre des pouvoirs et des rôles - fondement même de notre architecture démocratique.

Ne nous y trompons pas : l’exaspération actuelle du gouvernement face à la présidence tient moins à une subite conversion du PTr aux thèses de la neutralité politique exigée de certaines institutions ( thèses que les travaillistes ignorent superbement quand la situation les arrange) qu’au sentiment d’avoir été « outsmarted » par sir Anerood Jugnauth dans le suspense politique actuel et de ne pouvoir rien y faire. SAJ est, en effet, leur propre « nominee » à la présidence ; la « nuisance value » que lui donne son poste est considérable ; il ne peut être destitué sur un simple mouvement d’humeur ; le démenti que Navin Ramgoolam croyait lui avoir arraché sur son come- back politique n’aura été que duperie.

Au final, le vieux renard qu’est SAJ aura employé contre le Premier ministre la technique politique préférée de ce dernier : « keep them guessing ! » D’où le torrent d’invectives rouges, montrant la porte à SAJ pour retrouver l’initiative, nommer un nouveau président et éliminer en même temps le risque potentiel que poserait une State House non travailliste en cas de mise en minorité parlementaire du gouvernement. Les procédés utilisés pour pousser SAJ vers la sortie ( affronts protocolaires de plus en plus fréquents et humiliants) sont intolérables, outranciers et indignes d’un parti qui a lui- même installé l’Etat mauricien à l’Indépendance.

En même temps, la manière dont sir Anerood Jugnauth s’accroche au Réduit malgré les affronts qui lui sont faits quotidiennement, manipule les évènements depuis plusieurs semaines, donne le change au pays sur ses intentions réelles et refuse de partir pour des raisons tactiques qui n’ont rien à voir avec l’intérêt public, tout en affichant clairement son opposition à un gouvernement auquel il doit sa présidence, est tout aussi choquante et condamnable.

La posture actuelle d’agressivité du président est très loin de la tranquille décontraction et de la neutralité qui ont été celles de ses prédécesseurs, sir Veerasamy Ringadoo, Cassam Uteem et Karl Offman, qui cadraient bien mieux, selon nous, à la dimension de « quiet achievers » qui sied le mieux à la présidence.

Sir Anerood Jugnauth a été un grand Premier ministre, entraînant le pays vers des sommets économiques insoupçonnés. Il reste très respecté mais il est aujourd’hui au Réduit dans un tout autre rôle, un tout autre personnage.
S’il souhaite revenir en politique, sans doute en a- t- il parfaitement le droit.

Mais il aurait dû avoir, et dès février, rompu la contradiction actuelle et avoir fait ce qu’il convenait de faire en la circonstance : démissionner sans attendre, reprendre ainsi sa liberté d’action et de parole pour un combat politique ouvertement assumé.

Pour l’heure, les deux parties, en s’insultant sans arrêt, rongent l’image de la présidence face au pays, entraînent celui- ci dans un tourbillon de controverses et déstabilisent le jeu institutionnel. Il est plus que temps que la société civile se manifeste sur cette question et réclame une révision de la pratique de nominations de politiciens à la présidence de la République afin d’en faire véritablement, demain, un symbole de l’unité de la nation.

Si SAJ devait sous peu faire enfin ce qu’il aurait dû avoir fait il y a longtemps déjà, le gouvernement disposera d’une rare occasion d’envoyer au pays un signe concret de sa volonté affichée de rassembler la nation, par la nomination d’un personnage apolitique de haut niveau au Réduit.

Mais c’est sans doute là espérer contre tout espoir : la nomination, cette semaine, de l’ex- directeur de la MBC TV Bijaye Madhoo à la direction de l’excellente institution éducative qu’est le MGI, survenant après des centaines d’autres nominations partisanes mal avisées dans tous les compartiments de l’administration publique ( y compris des postes hautement techniques), en dit plus que bien des thèses sur la psychologie travailliste d’accaparement des moindres leviers de responsabilité dans ce pays, même les plus anodins. Comme si le PTr était propriétaire de l’Etat et que l’Etat était propriétaire du pays.

Tout ceci a un nom : le délitement de l’Etat. C’est assurément ce qui nous pend au nez.