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Une catastrophe pourrait mettre Maurice à genoux

15 octobre 2010, 00:00

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Improbable qu’une catastrophe majeure arrive à Maurice, diriez-vous?  Hélas non… Comme pour la majorité des pays insulaires à forte densité de population et très urbanisé,  Maurice est aujourd’hui très vulnérable aux aléas naturels et technologiques. Alors que les Nations unies consacrent ce 13 octobre 2010 à la Prévention des Catastrophes, une meilleure prise en compte des risques s’avère nécessaire.

Aucun pays ne peut sortir indemne d’une grande catastrophe. Les exemples récents de la république d’Haïti et du Pakistan nous le prouvent : les populations concernées, ou ce qu’il en reste, en sortent meurtries,  traumatisées à vie. Les familles sont disloquées. La recomposition du tissu social s’avère un lent, laborieux et surtout douloureux processus qui prend de nombre années, voire des décennies.

Ne serait-ce que pour cette raison, Maurice ne peut envisager d’être frappé par une catastrophe majeure. Cependant, au moment où le pays est encore une fois placé, par la Fondation Mo Ibrahim, à la tête des pays africains pour sa gouvernance et son développement, c’est surtout le facteur économique qui devrait inquiéter et focaliser l’attention des administrations, des politiciens et des businessmen. Si la fragile machine du développement se bloque par suite d’une catastrophe majeure, il faudra attendre longtemps, très longtemps, pour la remettre au même niveau de marche qu’avant la catastrophe. Le pays reculerait alors de plusieurs années dans son développement.

Les dangers principaux

Il n’y a aucune évidence que les aléas géophysiques qui nous menacent aujourd’hui aient augmenté en nombre ces 40 dernières années. Et ce, qu’il s’agisse de tremblement de terre sous-marins (tsunami), glissement de terrain, coulée de boue, érosion ou modification de notre paysage côtier. Bien évidemment, ce n’est pas une raison pour les négliger.

Par contre, comme nous le savons, les aléas hydro météorologiques -cyclones, inondations, sécheresse ¬- vont  être plus fréquents et de plus grande intensité, principalement en raison du changement climatique. Les experts du Groupe d''''experts intergouvernemental sur l''évolution du climat (GIEC) pointent du doigt « la radicalisation du climat africain », en rappelant que l’année 2009 a apporté une multitude de records historiques en matière de sécheresse, d’inondations, de pluviométrie. Il nous faut donc être vigilants.

Ce qui augmente également en nombre et intensité, ce sont les catastrophes appelées technologiques, dont l’exemple le plus courant est la marée noire. Paradoxalement, si le développement économique apporte ses bienfaits économiques et sociaux, il accroît aussi notre vulnérabilité et crée de nouveaux risques, souvent méconnus ou rarement pris en compte. Il en est ainsi des pesticides et produits chimiques, absorbés par le sol et utilisés dans le passé pour des terres agricoles devenues aujourd’hui des agglomérations urbaines. Ces produits pourraient remonter à la surface en cas de grande inondation durable, créant une catastrophe sanitaire de grande importance. De même, des produits et des stocks de matières premières de l’industrie textile qui se trouveraient inondés pourraient devenir une source importante de contamination chimique pour la population. Enfin un problème majeur de détritus, temporairement enfouis dans le sol et en quelque sorte ressuscités par une inondation, pourrait créer un état d’urgence sanitaire. De telles situations peuvent nous paraître improbables, mais le cas s’est déjà produit dans d’autres pays…

Les difficultés

Alors qu’il est nécessaire d’augmenter notre capacité de résilience, nous devenons de plus en plus vulnérables aux évènements qui vont causer des catastrophes,  pour un certain nombre de raisons.

Tout d’abord il y a  l’extrême complexité,  la sophistication et par conséquent la fragilisation de nos économies et de nos sociétés, tellement dépendantes de la technologie. Toutes les composantes doivent continuellement tourner au quart de tour – réseaux d’énergie, télécommunications, infrastructures logistiques, transport- car un seul maillon de cette chaîne, qui serait affecté par une catastrophe par exemple, porte atteinte au bon fonctionnement de l’ensemble.

D’autre part, la catastrophe va généralement résulter de plusieurs causes bien différentes rendant l’action de prévention et même l’action des secours difficiles à programmer. Ainsi, un tsunami est un évènement géophysique mais qui peut être largement exacerbé par l’élévation du niveau de l’océan causée par le changement climatique. Le même raisonnement s’applique en cas de danger technologique telle une marée noire.

Enfin, il y a une grande incertitude concernant  les manifestations prévues du changement climatique.  Nous ne savons pas exactement quel sera l’impact  de ce dernier sur notre pays et il est donc difficile de prévoir quelles mesures prendre pour nous protéger. Et pourtant nous devons agir rapidement pour nous adapter à un phénomène dévastateur.

L’heure de la prévention des risques

La Journée Internationale des Nations Unies pour la Prévention des Catastrophes nous amène donc à nous interroger sur ce que doit vraiment être l’objectif principal de notre stratégie de protection contre les catastrophes naturelles.
Au regard de ce qui a été dit plus haut, la  catastrophe majeure se définit donc aujourd’hui non pas par sa cause physique mais par l’importance de son impact, tant humain que matériel. Si l’on tient compte des exercices de retours d’expérience de catastrophes majeures récentes, ce qui est caractéristique de la vraie catastrophe majeure, ce n’est  pas en fait le montant des dommages matériels subis, mais bien le laps de temps pendant lequel la machine économique va tourner au ralenti ou pas du tout.

L’important c’est donc de donner priorité,  dans notre stratégie globale, à l’analyse du risque. L’ennemi contre lequel on doit se battre et que l’on doit bien évaluer, c’est bien le risque de catastrophe, et pas l’élément physique qui sert de fusible à cette catastrophe. Cela implique un véritable changement d’approche dans nos raisonnements. Pour prendre un exemple concret, ce n’est pas l’analyse de la montée du niveau de la mer en rade de Port Louis  qui doit retenir notre attention prioritaire, mais bien l’évaluation et la dimension des risques de catastrophes auxquelles le port de Port Louis est soumis. Les mesures de prévention sont alors prises pour réduire les impacts des risques ainsi identifiés. De nombreux ports autour du monde ont pris cette approche, des ports en dessous du niveau de la mer tels celui de Cotonou au Bénin ou Amsterdam. Il faut voir vers le futur et anticiper les dangers et leurs impacts : il ne faut pas s’armer pour empêcher la catastrophe d’hier, car c’est celle de demain qui nous menace.

Pour être efficace, une vraie stratégie du risque doit impérativement couvrir toutes les composantes de la chaîne du risque, car tous ses maillons sont liés : connaissance scientifique, prévention, préparation à la crise, gestion des secours, remise en état et réhabilitation.  Il est aussi essentiel d’impliquer tous les « stakeholders » dans la discussion de la stratégie. Les municipalités, les compagnies d’assurance et de transport, l’industrie hôtelière, les représentants du secteur de la santé - pour ne prendre que quelques exemples -  doivent pouvoir participer au débat et à la prise de décision. N’oublions pas également  la dimension régionale du problème qui impose, surtout en matière de changement climatique, une collaboration étroite avec nos voisins de l’Océan Indien.

Rappelons-nous, pour terminer, un des messages importants de la stratégie internationale des Nations Unies pour la réduction des risques de catastrophe. Au niveau national comme au niveau local, il est souhaitable de pouvoir définir le niveau de risque acceptable pour la communauté, car nous devons apprendre à vivre avec le risque, tout en étant conscients du fait que le risque zéro ça n’existe pas.  Nous savons que nous subirons d’autres catastrophes. A nous d’évaluer et de catégoriser les risques, afin de diminuer nos vulnérabilités et d’établir nos priorités. 

Philippe Boullé