Publicité

Tergiversations

30 janvier 2012, 10:14

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

Après des années d’ambivalence, jamais la perspective d’une réforme électorale n’aura semblé aussi proche mais en même temps aussi fragile. S’il s’avère que le réaménagement proposé ces jours-ci se brise sur le sort des Best Losers, la probabilité est que, pour exactement les mêmes raisons qui auraient entraîné un éventuel échec de la réforme en 2012, le pays se condamnerait au statu quo, possiblement pour une génération encore. Personne n’oserait alors réveiller, une fois encore, les vieilles inhibitions qui auraient fait déraper la présente initiative.

En déplaçant le débat du champ de la représentation adéquate des partis (une cause littéralement acquise aujourd’hui) à celui autrement plus délicat de la représentation adéquate des équilibres ethniques, et ce malgré les précisions convaincantes de Rama Sithanen apportées sur l’incapacité du BLS à assurer seul cet équilibre, le MMM a peut-être déposé dans la cruche la goutte de vinaigre qui, à la fi n, va faire tourner tout le lait.

Deux écoles de pensée vont, dès lors, s’affronter, s’appuyant sur deux logiques très différentes. Rama Sithanen et d’autres estiment que la « représentation » de tous les intérêts sera le mieux assurée par les partis eux-mêmes, autant par un choix initial approprié de candidats dans toutes les circonscriptions que par l’élaboration d’un dosage intelligent des « party lists » sous la représentation proportionnelle. Ils misent, pour cela, comme hier Carcassonne, sur l’instinct de survie politique et le « self-interest » des partis condamnés à ratisser large pour gagner. Comme garantie supplémentaire d’élection de candidats issus des minorités, Sithanen propose même d’abandonner pour longtemps encore toute proposition de redécoupage et de redistribution des circonscriptions (aujourd’hui très inégales en nombre d’électeurs), une « positive gerrymandering » destinée à préserver les chances d’élection adéquate de tous les intérêts autrement que par le Best Loser System, et ce même si cette assurance consiste effectivement à sacrifi er d’autres principes d’équité naturelle, comme un prix à payer pour rassurer. En face, ceux qui sont attachés au Best Loser System rechercheront des garanties constitutionnelles écrites et un mécanisme institutionnel vérifiable pour assurer ce même équilibre.

Faire confiance aux hommes et à la discipline des partis ou aux textes ? Il y a, dans les compromis recherchés jusqu’ici, d’étonnantes contradictions. Comment se dire publiquement à la fois en faveur de la non-déclaration de l’appartenance communautaire des candidats, puis prévoir de demander aux membres de la Commission électorale de désigner (arbitrairement) quatre ou six Best Losers de communautés précises pour corriger des sous-représentations ethniques ? Et en se basant sur quoi, sinon forcément sur des critères ethniques contre lesquels on se serait précisément prononcé au départ ? Comment faire fonctionner à l’arrivée un Best Loser System relooké si au départ on n’en établit pas les règles ? En quoi le jugement de la Commission électorale en matière de représentation communale serait-il, au final, plus judicieux que celui des partis au moment du choix des candidats ?

Les difficultés sur la réforme électorale s’amplifient encore plus quand s’y mélangent comme toujours les calculs partisans derrière les réflexes actuels : Navin Ramgoolam et Paul Bérenger continuent, en effet, désormais sur le Best Loser System, de se piéger mutuellement et de miner le terrain politique pour la suite des événements. Le Premier ministre entreprend avec une évidente satisfaction de déborder son rival sur sa gauche, en apparaissant comme un homme d’avant-garde et de conviction qui aura tenté de débarrasser le pays de sa forme la plus insoutenable de communalisme institutionnalisé. Il le fait depuis vendredi en prenant quelques risques politiques considérables mais c’est un risque calculé qu’il sait devoir être payant auprès des jeunes.

S’il n’obtient pas sa réforme, il blâmera « l’hypocrisie » du MMM.

En face, c’est d’abord une stratégie de reconquête du milieu musulman ( séduit par le PTr depuis 2005) qui guide la stupéfiante démarche du MMM de défendre aujourd’hui un Best Loser System qu’il a mille fois condamné. Le parti n’est certes pas à un reniement près, mais celui-ci le suivra sans doute longtemps encore ! Le cynisme grandissant démontré n’est que plus apparent quand on observe qu’ayant formulé son opposition publique à l’abolition du BLS – et ayant donc déjà récolté les premiers dividendes politiques de la manoeuvre – le MMM laisse savoir aussitôt après qu’il serait prêt à consentir à de « nécessaires compromis » à ce chapitre pour ne pas « mettre en péril » ou « bloquer » l’autre aspect de la réforme qui lui convient: la représentation proportionnelle.

On fait difficilement mieux comme double posture.

Entre toutes ces considérations, que restera-t-il de la proposition de réforme résumée hier par Rama Sithanen ? Elle laissait déjà de côté des pans entiers d’indispensable encadrement (financement des campagnes et pratiques électorales). Elle laisse désormais sur le bord de la route le redécoupage des circonscriptions qui aurait dû intervenir depuis 2010. Elle maintient intact le cadre général du First Past the Post. Le seul acquis potentiel à ce jour est la Party List de la représentation proportionnelle, mais même celle ci semble désormais conditionnée par son degré de compatibilité avec un Best Loser System qui divise.

La réforme est à prendre ou à laisser. On ne peut vouloir une chose et son contraire. La solution au dilemme actuel résidera largement dans l’attitude du MMM. Aucun parti n’a autant plaidé pour une réforme électorale depuis 30 ans. Il faut désormais que le MMM se détermine : est-il une partie du problème ou une partie de la solution ?