Publicité

Presse et pouvoir (3) : La présomption d’innocence

4 septembre 2013, 11:32

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

L’auteur nous offre son regard sur le journalisme en général et sur la présomption d’innocence en particulier.

 

Le respect de la présomption d’innocence est un principe reconnu par les États qui adhèrent à la Convention des droits de l’homme. Ce principe stipule, rappelons-le, que toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. La plupart des États africains où sont installés des régimes répressifs et corrompus bafouent ce principe bien que certains d’entre eux aient ratifié la convention par souci de conformité aux résolutions de l’Organisation des Nations unies. Le Zimbabwe demeure depuis des décennies l’affreux symbole de la tyrannie. La Chine n’a jamais vraiment respecté la convention. Le procès actuel de Bo Xilai n’est qu’une médiatisation à grand spectacle destiné à donner une certaine respectabilité à un régime qui maintient des dizaines de camps de concentration où croupissent des milliers de prévenus. Au Moyen-Orient les dynasties autoritaires ne s’embarrassent guère de procédures judiciaires sophistiquées. Elles sont notoirement expéditives. À Maurice heureusement les convictions démocratiques et républicaines sont fortes. Elles permettent de respecter la séparation des pouvoirs. La présomption d’innocence est la pierre angulaire du système judiciaire.

 

Contre-pouvoir ou pouvoir ?

 

Le développement de moyens de communiquer rapidement, efficacement est venu renforcer l’influence qu’exerce la presse dans la société. Elle ne se contente plus de porter la nouvelle. Elle commente, analyse et aboutit à des conclusions sur les causes et les conséquences des événements. Cela frise la subjectivité. La presse a aujourd’hui des allures d’un véritable pouvoir après avoir été longtemps considérée, avec condescendance, comme un contre-pouvoir. La parole d’un journal, selon le ton et les circonstances, a une incidence sur la présomption d’innocence. Elle oriente la réflexion du lecteur. Le reportage des tragédies récentes – inondations, accidents, assassinats, etc – a démontré que le journalisme d’observation que conditionnerait un devoir de réserve et de neutralité se mue en un journalisme d’investigation dont le regard sur les faits divers est parfois ambigu et tendancieux.

 

Des mots et des images

 

Les bonnes nouvelles ne sont pas absentes des journaux. Ce sont malheureusement les mauvaises qui retiennent le plus l’attention. Le gros titre, la métaphore, l’image qui choque impriment sans la nuancer la brutalité d’un événement dans la mémoire.

 

La presse se voit souvent reprocher son regard négatif. Son message est très souvent porteur d’inquiétude. Il suscite une perpétuelle vigilance d’une société stressée comme l’est actuellement la nôtre, abreuvée quotidiennement de vols, de viols, de meurtres, de négligences administratives ou d’astucieuses délinquances à la Ponzi. Le lecteur découvre avec inquiétude la précarité de son environnement.

 

L’emploi d’un adverbe ou d’un adjectif dans un tel contexte n’est jamais innocent. Conscient de leur impact un grand patron de presse donna le conseil suivant à une jeune recrue : «Dans mon journalles mots qui importent sont qui,quoi, où, comment. Attention à pourquoi. Pour les adjectifs etles adverbes, passez d’abord mevoir». Se cantonner aux qui, quoi, où et comment en ce siècle de l’Internet et de Facebook n’aboutirait qu’à du déjà entendu ou déjà lu ailleurs. Il importe toutefois de se méfier de la subjectivité sous-jacente dans l’utilisation de l’épithète. Cette prudence relève d’une bonne pratique rédactionnelle qui préserve d’une dérive vers une subtile présomption de culpabilité. Du reste qualifier «d’inculpé» quelqu’un qui n’est que mis en examen c’est déjà présumer qu’il a commis une faute – «culpa» en latin. De même exhiber la photo d’une personne menottée par la police avant même qu’elle n’ait été légalement déclarée coupable compromet déjà la présomption d’innocence. Si en droit un «inculpé» est présumé innocent, en écrit dans la presse ou en image, il est déjà présumé coupable. Le journaliste est là avant tout pour raconter, pas pour juger. «Une chronique judiciaire n’est pas une chronique justicière.» (Le Monde 25-26 février 2006)

 

Matraquage médiatique

 

Il s’avère que même dans les pays à tradition démocratique et libérale les médias s’emballent sur une affaire juteuse. Le cas Dreyfus est toujours présent dans la mémoire collective. Une presse de droite y joua un rôle pervers. Paradoxalement, c’est grâce à la presse indépendante et au fameux «J’accuse» d’Émile Zola qu’une machination infernale anti juive fut révélée et l’innocence de Dreyfus établie. C’est dire toute la fragilité de la présomption d’innocence quand elle est exposée aux envolées imprudentes des journalistes. C’est aussi reconnaître la nécessité d’un éclairage cru sur les événements que les puissants ont tendance à occulter quand cela les gêne ou à en profiter sans vergogne pour atteindre des objectifs scabreux. Le déroulement du procès de Gaëtan Duval en 1989 pour assassinat est un regrettable exemple de machiavélisme politique et d’hystérie journalistique – du moins d’une certaine presse partisane et revancharde. La collusion maléfique du pouvoir politique de l’époque et l’empressement des journalistes cyniques prêts à tout pour vendre du papier auront, pendant les quelque huit mois que dura cette rocambolesque affaire en cour, ébranlé la présomption d’innocence. La vengeance désirée était cependant si grossièrement ficelée que le public finit par s’en apercevoir et s’en lasser. L’affaire fut «quashed» et la justice rétablie.

 

L’exercice du pouvoir est exposé à tous les abus qu’on peut imaginer, surtout quand ce pouvoir demeure trop longtemps entre des mains grossières. Le danger d’une telle récidive est toujours présent dans un pays qui vient de légaliser le «second jeopardy» – le retour sur des cas déjà jugés et qu’on aurait cru définitivement classés.

 

Robertson l’horloger

 

Après plus de deux cents années de présence de la presse dans le panorama médiatique du pays j’aurais cru le recours à un consultant étranger absolument superflu et indigne. Ce recours justifie la description que de plus en plus on donne à un expert venu d’ailleurs : quelqu’un payé à grands frais pour venir vous dire l’heure qu’il est à votre montre. Geoffrey Robertson, si érudit soit-il, n’échappe pas au prétexte d’un appel pathétique lancé par un gouvernement frileux qui veut gagner du temps, ne sachant pas comment avoir avec la presse des relations de confiance mutuelle. Notre horloger providentiel ferait oeuvre utile et justifierait ses honoraires s’il s’attelait plutôt à montrer aux politiques comment se comporter dignement, intelligemment si possible, vis-à-vis de la presse. Il y a dans les rédactions de ce pays suffisamment d’hommes et de femmes responsables pouvant assurer une diffusion honnête de l’information et une analyse rationnelle des réalités du pays. Les rédacteurs en chef et leurs collaborateurs se réunissent d’ailleurs quotidiennement pour faire le tri de ce qui doit paraître et comment en assurer la présentation. Réguler doit donc demeurer un exercice interne. Vouloir contrôler l’image que projette la presse de la vie quotidienne et chercher à lui imposer des conditions draconiennes serait une mesure absurde, difficilement applicable et certainement insupportable. Encourager l’arbitrage interne par une sorte de conseil éditorial et l’adhésion à un code de conduite seraient plus dignes d’une république dont l’équilibre social et culturel repose sur des traditions séculaires.

 


 

Sur le même sujet :

 

Presse et pouvoir (2) Informer : une responsabilité

 

http://www.lexpress.mu/idee/presse-et-pouvoir-2-informer-une-responsabilite

 

Presse et pouvoir

 

http://www.lexpress.mu/idee/presse-et-pouvoir-0