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Presse et pouvoir

2 août 2013, 10:22

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La tumultueuse cohabitation de la presse et du pouvoir politique demeure un débat passionné depuis des siècles. Il s’agit de la presse libre, dépourvue de compromission, nullement inféodée à un parti politique ou à un groupe économique quelconque.

 

 

Quant au pouvoir politique, étonne et inquiète cette propension qu’ont les élus du peuple à se considérer comme sanctifiés par les urnes, devenus hyper réactifs à la critique. Sont donc proposés à la réfl exion trois thèmes dont le premier aborde le droit d’être informé. Le second analysera la responsabilité d’informer. La présomption d’innocence complètera le tableau.

 

Être informé : Un droit fondamental

 

 

Depuis toujours la disponibilité de l’information, son interprétation, l’utilisation qu’on en faisait ont permis à l’humanité de maîtriser son environnement. Nos lointains ancêtres d’avant l’écriture assuraient ainsi leur survie. En effet, la faculté d’observer, de conclure et d’agir se manifeste chez les espèces les plus primitives, qu’elles aient vécu dans l’inquiétante hostilité des forêts où qu’elles aient erré dans l’aridité des étendues désertiques. L’information, en ces temps reculés, émanait du changement de climat, du comportement des troupeaux, du vol des oiseaux ou de la position des étoiles.

 

Celui qui avait l’information détenait le pouvoir.

 

L’humanité s’étant sédentarisée et ayant découvert l’écriture doit maintenant sa survie à une information journalière beaucoup plus complexe sur son environnement social, administratif, juridique et politique. D’où l’importance du journal.

 

Philosophes, penseurs, écrivains ont fait depuis des siècles une analyse pertinente de ce phénomène. Le rôle du choeur dans le théâtre grec d’il y a quelque 2 500 ans est de commenter l’information ou l’événement pour le spectateur. Ce rôle cathartique, cette «purge des passions», la presse aujourd’hui l’assume en grande partie.

 

Les plaidoyers

 

Les régimes autoritaires d’Europe autour des XVIeet XVIIe siècles ont soulevé l’indignation des hommes de bonne foi. S’opposant à l’absolutisme des Stuarts John Locke (1632-1704), dans ses Lettres sur la tolérance, soutient la liberté d’informer et d’être informé. Le Traité théologico -politique de Spinoza (1678) oppose les passions «tristes» des hommes politiques à la passion «saine» de la «béatitude» démocratique. John Milton est plus catégorique. Animé d’un humanisme sans compromission, il préconise «uneliberté de la presse sans autorisationni censure» (Aeropagitica, 1646). Le Traité sur latolérance de Voltaire (1763) récapitule tous les écrits précités. Chateaubriand a été sous Napoléon 1er l’un des plusgrands défenseurs de la liberté de la presse. De même Victor Hugo sous Napoléon III..

 

Sous toutes les dictatures donc émergent des hommes de coeur pour affirmer que l’information doit circuler librement afin que le peuple sache ce qui se passe- ou se trame - autour de lui.

 

Les textes fondamentaux

 

Aux appréhensions -- du latin «apprehendere» = saisir, savoir, comprendre – qui, au tout début de l’évolution, relevaient de l’INSTINCT, ont succédé, au siècle des lumières (XVIIe), les  analyses des encyclopédistes basées sur la RAISON. Elles ont inspiré divers textes officiels qui depuis régulent la société dans les pays démocratiques. Ces textes affirment que la légitimité d’informer, son fondement même, émane du droit de savoir et d’être ainsi au service de l’humanité. Cette quête de vérité est donc vitale. Elle nous permet de comprendre l’univers qui nous entoure et d’en réduire la part d’incertitude. Elle est un rempart contre l’intolérance et l’arbitraire

 

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen proclameun des droits les plus précieuxet les plus prestigieux quel’homme n’ait jamais imaginé.L’énoncé de l’article 11 affirmesans ambages la nécessité d’unelibre circulation des idées, desopinions ainsi que la libre circulationde l’information. Cettedéclaration de 1789 trouve sonprolongement dans les textesde l’Union européenne sur lesmêmes droits.

 

Les démocraties anglosaxonnes sont animées du même souci. Le FirstAmendment de la Constitution américaine garantit la liberté de la presse contre toute disposition légale susceptible de la limiter : «LeCongrès ne fera aucune loi restreignantla liberté de la paroleou de la presse.» Westminster a toujours refusé d’adopter une loi en matière de vie privée, même après l’affaire Diana. Le concept anglais de «newsworthiness» justifie la diffusion de toute information, même de nature privée, que toute personne «raisonnable» pourrait souhaiter connaître. En référence à un incident récent lors d’une élection municipale on pourrait se poser la question suivante : Un Mauricien raisonnable n’avait-il pas le droit de connaître les antécédents et autres facettes de la vie d’une activiste officielle qui avait apostrophé un journaliste dans l’exercice normal

de ses fonctions ?

 

Contexte mauricien

 

À Londres tout récemment la Cour suprême a débouté un très haut dignitaire du royaume qui voulait interdire à la presse le droit d’écrire sur certains aspects de sa vie privée. Sur le continent européen les législations en matière de protection de la vie privée sont plus sévères. Nous y reviendrons.

 

À Maurice la presse repose sur des fondements qui remontent au XVIIIe siècle. Elle est une des plus vieilles de l’hémisphère Sud. D’éminents journalistes ont, au cours des décennies, contribué à assurer son prestige. Leurs successeurs peuvent avec fierté se référer à une tradition honorable, à une longue expérience du métier et à un indéniable savoir-faire technique. Ils jouissent par ailleurs d’une grande liberté d’action et de pensée que la Constitution garantit à tout citoyen.

 

Il se manifeste toutefois, à leur égard une méfiance politique, voire une hostilité, qui s’est accentuée depuis la révélation d’abus administratifs, d’incompétences ministérielles et une succession de scandales à rebondissement. Certains rêvent en ce moment de pouvoir imposer à la presse un langage et des images «journalistiquement» correctes, et créer un code de conduite du parfait journaliste dont la règle d’or serait de se taire à chaque fois que le droit d’informer, et d’être informé, se trouverait en conflit avec les susceptibilités des hommes politiques.

 

 

Ce rêve de restrictions tient principalement aux facteurs suivants :

 

◗Le refus de considérer la prééminence du droit d’informer et d’être informé;

 

◗La suffisance de la classe politique;

 

◗La peur d’autres révélations sur l’incompétence des nominés politiques aux postes de responsabilité;

 

◗L’indifférence d’une population blasée.

 

«Nou pei» n’est pas seulement «bien malad» dans son environnement physique. Avec son lot de scandales et de tragédies il l’est à des niveaux bien plus préoccupants que la déprédation de ses atouts naturels. Être perturbé par le message d’un panneau publicitaire qui fait appel à la responsabilité civique et vouloir le faire enlever c’est nier la dégradation morale qui se généralise.

 

C’est aussi d’une certaine manière vouloir escamoter le droit d’être informé.