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Port-Louis : capitale délaissée

1 juin 2012, 00:00

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Port-Louis by day accueille pas moins de 200 000 personnes, qui se déplacent des quatre coins de l’île par tous les moyens de locomotion disponibles. Ce déplacement humain est cause d’un flot de trafic de pas moins de 100 000 véhicules, toutes catégories confondues, et a déjà atteint un seuil insupportable…

Pourquoi donc cette ville portuaire, véritable poumon économique et siège de l’administration du pays, n’est pas le lieu de résidence de tout ce monde? En 2010, Port-Louis ne comptait que 128 857 habitants, soit un dixième de la population du pays. Cette population stagne depuis plus de quatre décennies, car alors que les villes de Beau-Bassin–Rose-Hill, Vacoas-Phoenix, Quatre-Bornes et Curepipe voient leur population augmenter, celle de Port-Louis régresse. Ce qui contraste étrangement à d’autres Island states, lesquels hébergent entre 1/3 à la moitié des habitants du pays dans bien des cas. Pour connaître les causes profondes qui font que la population de Port-Louis stagne au profit des villes des Plaines Wilhems et ailleurs, il convient de faire une incursion dans l’histoire du pays.

Lorsqu’en 1730, le gouverneur Nicolas de Maupin décida de déplacer le chef-lieu de l’île de France du Port Sud Est (Mahébourg) à Port-Louis, notre future capitale ne comptait alors qu’une petite population de colons et d’esclaves, mais durant toute l’occupation française, Port-Louis sera la région la plus peuplée du pays, bien avant Mahébourg et le quartier des Pamplemousses.

Mahé de La Bourdonnais avait vu grand pour sa cité tropicale lorsqu’il assume ses fonctions, en 1735. Le Camp, c’est ainsi que l’on nomme ce chef lieu en devenir, ne compte que 1 676 habitants sur une population d’à peine de 3 000, alors qu’au terme de l’occupation française, selon le recensement, la population de l’île de France avait atteint 73 288 âmes, dont 24 839 à Port-Louis, presqu’un tiers.

A la fois siège du gouvernement, doté d’un port de commerce grouillant d’activité : chantier naval, port franc, Port-Louis fut le lieu où résidaient quasiment plus d’un tiers des habitants de la colonie, avec ses quartiers réservés à la population blanche, dans le centre-ville, ceux des libres dans ce qui deviendra le Ward IV, le quartier dit Camp des Malabars et le Camp des Lascars et ceux des noirs dans la région périphérique, et ses casernes de soldats. Au fil des années, de belles demeures s’élevèrent autour de l’Hôtel du gouvernement où résidait une bourgeoise de marine, suivant un plan d’urbanisation bien tracé durant l’occupation française.

En dehors de Port-Louis, hormis les quartiers du Grand-Port, Pamplemousses et Flacq, peu de monde, sinon quelques habitants autour des ports de pêche. La plupart sont situés à l’embouchure des rivières, principalement dans les régions de Port-Sud-Est, Trou d’Eau Douce. Grand Gaube, Poudre d’Or, Grand-Baie et Souillac. Bref, c’est dire que l’intérieur du pays était à peine déboisé, les cultures de subsistance se faisant non loin de la région côtière. Tout voyage à l’intérieur des terres était non sans danger, car infesté de marrons. Pour sortir de Port-Louis et atteindre d’autres quartiers, le moyen le plus sûr était la mer, par les navires côtiers dits chasse marrés.

Il faut attendre la chute de St Domingue (Haïti), en 1794, pour voir un intérêt soudain pour la culture de la canne. La culture de cette graminée ne devait pas cependant s’étendre sur plus de 10 000 hectares et connaître un déplacement timide de colons vers les domaines sucriers.

C’est durant l’occupation britannique que des changements profonds devaient s’opérer. D’abord, un intérêt grandissant pour la culture de la canne, avec l’entrée du sucre mauricien sur le marché de Londres (1825) à des prix attrayants. C’est le branle-bas tous azimuts vers les domaines sucriers à l’intérieur des terres. Ce changement va amener un ralentissement du négoce et de l’armement et les activités portuaires vont se ressentir en conséquence.

Mais, c’est l’abolition de l’esclavage et la venue des travailleurs engagés des Indes qui va changer l’ordre des choses. La main-d’oeuvre servile, dont les colons ne veulent plus, quitte les domaines sucriers et se rue vers la région côtière et vers la banlieue portlouisienne surtout. Bon nombre des old immigrants, c’est-à-dire les travailleurs engagés qui, au terme de leurs contrats d’engagements, décidèrent de faire souche dans leurs pays d’adoption, s’établiront à Port-Louis. Ils sont surtout de confession musulmane et s’adonnent aux petits commerces et aux services. Du coup, la population de la capitale s’accrut rapidement.

Colonial archives

Deux événements vont freiner ce flux de gens vers Port-Louis et vont, au contraire, enclencher un exode sans précédent vers les hauts plateaux de l’île. D’abord, le développement tous azimuts de la culture de la canne et la centralisation des usines sucrières, qui vont accélérer la mise en place d’un réseau ferroviaire. Dès 1864, deux lignes de chemins de fer, la Northern Line reliant Port- Louis à la Grande Rivière Sud Est et la Midland Line, qui va relier Port-Louis àMahébourg, vont dorénavant ouvrir la voie pour le développement de l’industrie sucrière. Bientôt, le pays comptera 303 usines sucrières. Mais ce nombre baissera sensiblement car le transport de grosses pièces mécaniques, pour mieux s’adapter à une technologie de pointe, sera rendue possible par le train. Les animaux de traits ne pouvant tenir de telles charges, surtout sur les terrains escarpés, le train va faciliter la centralisation des usines sucrières.

D’autre part, les hauts cadres de l’industrie sucrière pouvaient dorénavant se rendre au travail par train, pour ensuite regagner leurs demeures à Port-Louis. Alors que tout laissait croire que Port-Louis allait devenir la grande plaque tournante pour présider à l’épanouissement de l’économie du pays, la grande épidémie de malaria allait tout bouleverser. Dans la seule année 1867, Port-Louis devait compter plus de 22 381 morts, soit un tiers de sa population.

Du coup, la population de la capitale allait chuter de 74 128 en 1861, pour passer à 62 401 en 1891. L’épidémie de malaria devait enclencher un exode sans précédent vers les hauts plateaux des Plaines Wilhems. Toute la région côtière allait s’en ressentir de ce fléau, qui allait perdurer pour plus de trois quarts de siècle (1867-1950). La canicule portlouisienne et l’humidité qui y règnent étant des conditions favorables pour la prolifération des moustiques. D’autres agglomérations vont sortir de terre : Curepipe, Quatre-Bornes, Vacoas, Beau-Bassin -Rose Hill. Ces nouvelles régions des Plaines Williams seront dotées, les unes après les autres, du statut de ville, bien avant la fin du 19e siècle. Il faut attendre la fin des années 50, au siècle dernier, pour que les régions côtières soient impaludées, et connaître un retour spectaculaire des estivants et une habitation permanente. Port-Louis ne connaitra pas pour autant un retour de ses anciens citadins.

D’autres calamités hélas frapperont Port-Louis, telles le cyclone de 1892, qui détruira les belles demeures coloniales et fera fuir un peu plus la bourgeoisie, et une épidémie de peste (1899), particulièrement meurtrière à Port-Louis. Après les grandes calamités ayant marqué la deuxième moitié du 19e siècle, la population de Port-Louis prendra du temps pour se relever. De 74 128 âmes en 1861, elle ne comptera que 52 740 âmes en 1901. Il faut attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale et l’assainissement des conditions sanitaires pour assister à un regain démographique dans la capitale. Mais ce printemps portlouisien ne devait être qu’éphémère alors que le paludisme n’était plus une contrainte pour un retour de ceux épris du charme de Port-Louis les événements liés à l’indépendance allaient être cause d’un exode de toute autre nature.

En 1962, suivant une décision du gouvernement, les limites de la ville devaient s’élargir pour inclure les quartiers périphériques tels Roche-Bois, Ste-Croix, Vallée des Prêtres etc, la population du grand Port-Louis devait atteindre les 119 950 âmes. Les années 60 seront marquées par la peur de l’indépendance, surtout par la population chrétienne. Déjà, bon nombre de familles se préparaient pour une migration vers les Terres Australes et le Canada, mais cet exode de la capitale devait s’accentuer avec les bagarres ethniques, d’une rare violence, entre chrétiens et musulmans, deux communautés ayant pourtant vécu côte à côte durant des générations. Les vraies raisons de la bagarre raciale de janvier 1968 constituent un Inside Story qui mérite à être mieux connue !

Du coup, tout le Camp des Malabars (St François) et le Ward IV furent vidés de leurs populations chrétiennes. Ces derniers se refugièrent vers les basses Plaines Wilhems, Pointe-aux-Sables et Baie-du-Tombeau. Tout ceci pour démontrer que Port-Louis n’attire plus de résidents et que l’on s’y rend pour travailler, mais non pour y élire domicile. Les statistiques sont éloquentes. En quatre décennies, la population de Port-Louis n’a cessée de stagner sinon de régresser elle était de 139 300 en 1969, elle n’est que de 139 166 en 2000 et 128 857 en 2010 (si on exclut la partie de la municipalité de Port-Louis qui, de fait, se trouve dans le district de la Rivière Noire).

Alors que les gratte-ciel continuent à défier les nuages strato-cumulus dans le centre-ville du Port-Louis des affaires, aucun plan de logement n’est prévu pour héberger ces milliers de travailleurs, tant manuels qu’intellectuels, qui peinent chaque jour pour gagner la capitale. Après tout, il est de bon ton aujourd’hui de dire : «Je travaille à Port-Louis, mais heureusement je n’y réside pas !»

Notes et références :-

AugusteToussaint :
Port-Louis deux siècles d’histoire, 1936
Port-Louis, et une cité tropicale
Marcelle Lagesse & L’Hôtel du Gouvernement, 1973
Harold Adolphe
Benjamin Moutou : Ile Maurice : 25
Leçons d’Histoire, 1998
Bolton : Mauritius Almanach : 1901 -1939
Baron D’Unienville : Statistiques de l’île Maurice et de ses dépendances
Central Statistics Office : Housing and Population census 2000
Central Statistical Office : Road Transport and Road accidents Digest 2001