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Les jouets du gouvernement

3 octobre 2010, 04:26

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Le mal est profond. Ne regarder qu’en direction d’Air Mauritius (AM), c’est donc prendre le risque de ne se concentrer que sur un symptôme. Alors que la maladie est généralisée à Maurice. Notre dossier (voir pages 10 à 15- L’express dimanche) explique qui pilote vraiment la compagnie d’aviation nationale. Tout en indiquant pourquoi cette ingérence est rendue possible. Le patron d’AM n’est toutefois pas le seul à devoir subir une pression et un interventionnisme permanents de l’Hôtel du gouvernement.

Il y a quelques années, le directeur d’un des plus importants corps paraétatiques nous racontait son blues. Cette envie de ne pas se lever le matin. Afin de ne pas affronter un conseil d’administration pressé d’avaliser – sur ordre de responsables politiques – le recrutement d’une liste de personnes improbables. Quasiment tous les dirigeants de corps  paraétatiques ou d’entreprises contrôlées par l’Etat ont quelques anecdotes de ce type à raconter.

Pourquoi les chosent demeurent-elles ainsi ? Pourquoi Maurice ne devient-elle pas ce modèle d’effi cacité, de célérité et de productivité que Navin Ramgoolam a pu  (re)découvrir en ce début de semaine à Singapour ? Certes, le Premier ministre pourra nous rétorquer que les maux dont souffrent nos institutions ne sont que des « faussetés » distillées par « une certaine presse ». Il aurait bien tort.

A Singapour, la liberté de la presse est dans une « situation diffi cile », selon  l’organisation Reporters Sans Frontières. On pourrait donc croire que le Strait Times ou les autres journaux – tous assujettis au pouvoir du micro-Etat asiatique – taisent la vérité. Mais ce n’est pas le cas. Si la presse singapourienne ne parle pas de corruption, de népotisme et  d’interventionnisme politique tous azimuts, c’est d’abord parce que ces phénomènes ne sont que très peu présents dans l’île. C’est d’ailleurs ce que constatent régulièrement des organisations internationales à travers des études menées in situ.

A Maurice, les gouvernements successifs se sont empêtrés dans un dilemme insoluble. Doit-on donner aux équipes dirigeantes des corps paraétatiques une totale autonomie décisionnelle et managériale ? En acceptant au passage de ne plus les nommer sur des critères de proximité politique. Et renoncer également à la possibilité d’intervenir directement à la moindre occasion. Ou alors privatiser ces administrations en en confiant l’opération et la stratégie au secteur privé ? Afin de placer l’efficience et la rentabilité au centre de leur fonctionnement.

Invariablement, les gouvernements ont décidé de garder la main. Pas question de privatiser et permettre que des joyaux de la couronne – Mauritius Telecom (MT) a été ainsi qualifiée dans le passé – tombent aux mains de groupes étrangers. Ou pire, sous le contrôle du secteur privé mauricien ! Une autonomisation factice a donc été enclenchée. AM a bien été cotée en Bourse. Quarante pour cent du capital de MT a bien été cédé
à France Telecom. Mais une structure d’actionnariat bien pensée a permis à l’Etat de maintenir un contrôle total sur tous leurs choix stratégiques. Résultat : malgré leur statut particulier, AM ou MT subissent les mêmes niveaux d’interventionnisme politique que le Central Electricity Board ou la State Trading Corporation.

Si AM opérerait selon des logiques purement économiques, elle ne desservirait qu’une destination en l’Australie. L’idée d’atterrir à Shanghai n’aurait également jamais été émise. Si le CEB devenait CEB Ltd, il faudrait également que chaque consommateur accepte une substantielle  augmentation de sa facture électrique. Oui, pour éviter cela, l’Etat doit en effet «guider » certaines décisions de ce type d’institutions.

Il y a toutefois une réelle différence entre guider et décider, quasiment au jour le jour, à la place de ceux censés diriger ces institutions. Ce qu’il nous faut trouver maintenant, c’est une solution du milieu. Car tout ce qui a été tenté jusqu’ici a été un échec. L’Etat devra pouvoir orienter certains choix des corps parapublics tout en leur permettant de fonctionner en totale autonomie. Cette solution impliquerait toutefois que les politiques cessent de considérer ces administrations comme des jouets entre leurs mains. Et cela n’est pas gagné.

Rabin BHUJUN