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Le pacte des loups

10 avril 2011, 04:06

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Il flotte comme un parfum de scandale. Celui « du siècle » , le rachat de la clinique Med Point par l’Etat, monopolise quotidiennement la une des journaux. Depuis samedi dernier, un autre – « méga » celui- là – a été mis au jour. Il serait lié aux conditions d’octroi d’un bail de 99 ans au développeur indien du projet Neotown. Le MMM, en grand inquisiteur de la morale politique, entend établir que le gouvernement a fauté dans les deux cas. Toutefois, ce que le parti de Bérenger ne démontrera pas, c’est l’existence d’une collusion vieille de quelques décennies. Un pacte des loups qui réunit toutes les grandes formations politiques du pays. Sa fi nalité : préserver la loi du silence autour de la fortune et du fi nancement des grands partis.

Le Parti travailliste, le MMM et le MSM ont épousé la doctrine Mutually Assured Destruction ( MAD). Pendant la guerre froide, le raisonnement MAD était le bon sens même : quand deux nations possèdent l’arme nucléaire, aucune ne prend le risque d’attaquer l’autre. Car la riposte qui s’ensuivrait mènerait à la destruction des deux belligérants. Il en va de même pour le fi nancement politique.

Pour avoir frayé les uns avec les autres, les partis, surtout leurs leaders, ont une connaissance intime des sources de fi nancement du système politique. Mais le pacte des loups impose le silence.

Si, sur les caisses à savon, personne ne se prive d’indiquer la proximité de tel cador avec telle entreprise ou homme d’affaires infl uent, personne ne se hasarde à dire ce qu’il sait. On suppute sans dénoncer des faits.

Confronter les dispositions de la Representation of the People Act ( RPA) aux réalités d’une campagne électorale aide, toutefois, à illustrer le fl ou total qui entoure l’argent des partis. La RPA fi xe une dépense maximale autorisée de Rs 450 000 par circonscription pour les trois candidats d’un bloc électoral. Ce dernier dépense donc a priori Rs 9 millions lors d’un scrutin national. Or, les cadres des grands partis avouent volontiers que le budget d’une circonscription démarre plutôt à Rs 4 millions de nos jours.

Cela porte les dépenses réelles de chaque bloc électoral à Rs 80 millions minimum. Si l’on y additionne les frais encourus pour les événements nationaux de chaque camp – présentation des candidats, conférences de presse, grands meetings et campagne de communication –, la note devient vite astronomique. Plus proche de Rs 200 millions que des Rs 18 millions autorisées ! D’où provient l’argent ? Pas de la cotisation annuelle des adhérents. À raison de Rs 100 par membre, le PTr ou le MMM devraient en recruter des dizaines de milliers pour réunir ne seraitce que le quart des sommes en jeu. Pourtant la machine tourne, pendant et en dehors des campagnes électorales.

Si un club de carrom à Quartier- Militaire doit rendre des comptes sur ses fi nances au Registrar of Associations , aucune obligation de la sorte ne pèse sur les partis politiques. Une opacité totale règne sur leur patrimoine foncier et leur argent. D’ailleurs, celui- ci est- il déposé au nom des leaders ou des mandataires ? Sur des comptes locaux ou étrangers ? A travers des hommes du parti ou des chauffeurs transformés en porteurs, le temps d’un voyage en Suisse ? Avant les campagnes électorales, les bailleurs de fonds se pressent aux portes des partis. Plus une formation donne l’impression d’être en position de gagner, plus le soutien des bailleurs devient zélé. Ceux- ci se comptent en dizaines, et remettent des sommes à six chiffres – souvent sept – en mains propres aux leaders. Les rentrées d’argent sont tellement massives que ces leaders peuvent se permettre des coups d’éclat. Comme ce « met li dan to f*** » lancé à l’un des plus importants représentants de Mauritius Inc venu remettre sa « contribution » . Ce type d’arrogance – ou de désinvolture – trouve son explication dans le fait que Mauritius Inc n’est pas seule à fi nancer notre monde politique. Foreign Investors Inc y participe également. Au nom de l’éternelle reconnaissance qu’elle éprouve envers les politiques locaux chaque fois qu’un projet important reçoit l’aval des autorités.

Si Mauritius Inc se montre généreuse en roupies, la générosité de Foreign Investors Inc se mesure, elle, en dollars. Et il suffi t de compter les milliards de dollars investis dans le pays ces 30 dernières années pour se faire une idée du pourcentage de « générosité » qui a pu être reversé, pour fi nancer des campagnes électorales, voire garnir des comptes et des patrimoines personnels.

Mais chut ! Même si la conclusion est évidente, inutile d’attendre de nos partis politiques qu’ils dénoncent les faits. Pour eux, ils n’existent pas. Ou s’ils existent, ils sont imputables à quelques « manzer » de commissions qui opèrent sans l’aval de leurs chefs.

Qui, eux, ne prennent connaissance des agissements qu’au moment de virer ces indélicats de leur gouvernement. Sans que leur crédibilité personnelle n’en souffre. C’est là, la fi nalité du pacte des grands loups politiques. Permettre au système de tourner, en se ménageant la possibilité de faire sauter certains fusibles.

Comme il semble avoir été convenu que seuls les subalternes feront l’objet des vraies attaques, certains grands loups ont pris goût à ce système d’impunité. Cela explique peut- être pourquoi d’autres secrets restent bien gardés. Pourquoi des Mazarine Pingeot locales ( en version masculine ou féminine) ont pu exister ou existent encore.

Sans que l’omerta soit brisée. C’est la preuve que le pacte des grands loups tient bon. Qu’il étend même le domaine de sa protection. En attendant qu’un éventuel pacte des citoyens le fasse voler en éclats.