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L’élite se délite

26 décembre 2010, 04:58

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Le poisson pourrit toujours par la tête. C’est ce que dit le vieil adage. Qui n’a d’ailleurs pas été démenti en 2010.

Dans un pays qui ne jure que par un certain culte de l’élitisme, l’année qui se termine a été marquée par un sérieux défi cit d’idées et de débats  constructifs de la part de son élite intellectuelle. Elections législatives, paupérisation d’une catégorie de la population, crise économique, fl ambée des cas de violence extrême envers des mineurs.

Si les sujets de discussion n’ont pas manqué, les débats n’ont, encore une fois, été que trop peu nombreux. C’est à croire que l’élite intellectuelle de l’île se cache. Qu’elle somnole. Existe- t- elle d’ailleurs encore ? Elle vivote. Elle vieillit. Elle ne se renouvelle pas. Il n’y a qu’à lire le « BP 247 » de l’express , les commentaires dans la section blog de www. lexpress. mu, les pages « Forum » du Mauricien ou encore les papiers d’opinion que publie chaque semaine Mauritius Times pour s’en rendre compte. Quand les journalistes « semi- intellectuels » s’effacent, ils laissent la place à une petite poignée de personnes – toujours les mêmes – qui semble avoir reçu la mission implicite d’avoir un avis sur tout. Dégainant des « il n’y a qu’à » et « il faut que » avec une régularité métronomique. Certains le font sur tout : l’économie, l’éducation, les langues, la politique, le mauricianisme… depuis les années 70 ! Mais où sont donc les autres ? Au milieu de ce paysage intellectuel désertique, jaillissent de temps en temps quelques oasis. Think Mauritius a ainsi été lancé début novembre pour promouvoir l’émergence d’idées et de solutions pour une « nouvelle » île Maurice. Mais avez- vous entendu parler de ce think tank ? Probablement pas. Ou alors vaguement. La faute en revient en partie à la presse qui préfère s’intéresser à des sujets polémiques et de préférence sensationnalistes – cela fait vendre - plutôt qu’à des questions de fond.

Toutefois, les regroupements comme Think Mauritius ne sont pas exempts de reproches. Bien souvent, emportés par l’enthousiasme du début, leurs membres ne s’embarrassent pas d’avoir une vision à long terme.

En défi nissant, par exemple, un calendrier d’activités et de débats  débouchant sur des propositions concrètes à intervalles réguliers. Quand, en plus, ces mêmes esprits enthousiastes se heurtent au conservatisme social et politique ambiant… la crise d’aquoibonisme aiguë ne tarde pas à les gagner.

Deux facteurs expliquent pourquoi le désert intellectuel gagne du terrain. Il y a d’abord cette culture bien locale qui consiste à ne pas se mouiller et ne pas avoir le courage de ses opinions. Dans beaucoup de cas, cette attitude est dictée soit par la peur, soit par l’appât d’un gain éventuel. Ainsi, certains professeurs d’université reçoivent des circulaires offi cielles leur intimant l’ordre de ne pas s’exprimer dans la presse. D’autres, de leur propre initiative, se décident à ne jamais dire un mot de travers contre les puissants du jour. Une éventuelle promotion pourrait en dépendre… Dans le secteur privé, on n’est pas mieux loti. Des patrons d’entreprises, surtout ceux qui ont une relation de dépendance envers l’Etat, s’arrangent pour ne jamais se montrer critiques envers ceux qui pourraient demain mettre en péril l’attribution d’un contrat ou d’un permis d’opération à leur entreprise. Un patron qui la ferme, et qui ne dit pas son désaccord par rapport à certaines pratiques gouvernementales, peut aider à la profi tabilité de son entreprise… Si le désert intellectuel progresse, c’est aussi à cause de l’attitude d’une nouvelle génération de Mauriciens.

Réfl échir, critiquer, proposer, puis agir ( ou pas), c’est le job des autres. De préférence, celui des politiques. C’est ce qu’ils pensent. Et c’est pourquoi – tout éduqués et instruits qu’ils sont - ils se donnent pour mission de gagner bien leur vie et de profi ter du confort que leur profession leur assure. Du coup, face aux problèmes de société ou confrontés à l’inertie politique, ces jeunes brandissent la solution idéale : l’expatriation. Démissionnaires et sans doute encouragés par leurs parents désillusionnés, ces jeunes ingénieurs, médecins, juristes ou scientifi ques répondent « Canada, Nouvelle- Zélande, ou Australie » en guise de solution aux problèmes auxquelles ils font face à Maurice.

Les intellectuels qui prennent la parole vieillissent.

Ceux qui pourraient la prendre se taisent ou choisissent d’autres cieux. Autant pour cette île qui s’ambitionne « intelligente » …

Rabin BHUJUN