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Jouer avec le feu

9 septembre 2010, 11:10

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Arrêtons-nous, d’abord, sur l’image. Prenons acte – avant même d’éclairer le lecteur, s’il le fallait, sur le choix de «l’express dimanche», condamné au bûcher pour un dossier sur les castes et la politique - de la violence émotionnelle du geste de Somduth Dulthumun. Brûler un journal, fût-il un torchon, c’est nier le droit à la parole, c’est décider que cette opinion-là, ces faits-là, n’ont pas à être dits, c’est, symboliquement, arracher à ses concitoyens la liberté de savoir, de décider, de juger. C’est un acte dont la dangerosité est d’autant plus exacerbée qu’il est le fait d’une figure d’autorité, qui autorise, ainsi, ceux qui le suivent à des comportements agressifs similaires.

Il n’y a pas à chercher loin l’explication de cette violence. Certes, le président de la fédération des temples hindous n’a jamais fait dans la dentelle ; ses discours sont virulents et ne servent pas toujours l’unité nationale, mais à son crédit, il a souvent décrié les méthodes costauds de la «Voice of Hindu». Cette fois, il n’en est pas loin. La montée d’un cran, l’escalade, elle est clairement le résultat de l’environnement de haine à l’égard des médias que cultive et nourrit le Premier ministre lui-même. Par excès de zèle ou pas, le président de la fédération des temples hindous adopte le langage et le comportement violents de Navin Ramgoolam.

Personne n’est dupe désormais. Navin Ramgoolam essaie de détruire à petits coups la presse indépendante. Après avoir tenté d’asphyxier financièrement «l’express», de bloquer l’information en faisant régner la terreur chez les fonctionnaires, après avoir réduit la circulation des journaux dans la fonction publique, il tente de miner la crédibilité dont jouit cette presse dans l’opinion. Il saisit toutes les occasions, même les plus inattendues. Au moment de la proclamation des résultats, c’est, ô surprise, la presse qui a les honneurs. Même quand son ministre gaffe et use - à l’évidence puisqu’il s’en dissocie - d’un langage de division, c’est… la presse qui en prend pour son grade.

Cette haine distillée lentement risque d’avoir pour résultat de faire de la presse, dans l’esprit de ceux obligés d’avaler ces discours, l’ennemi public, celui qui dérange l’ordre, qui empêche le pays d’avancer. Celui qui nuit à l’action d’un gouvernement qui ne cherche qu’à travailler à construire le pays pour le bien de ses gens, «tous» ses gens. C’est un ennemi qu’il faut faire taire, maîtriser. Plus grave, cette stratégie s’accompagne de menaces. Le Premier ministre aura souvent oublié la mesure à laquelle l’oblige son statut pour parler comme l’homme de la rue : «Taler zot pou kone…», «zot ava cesse…», «nou pou okip zot…», des propos qui couvent les pires images de répression. Non seulement les journalistes, opprimés par ces intimidations, risquent d’être empêchés d’exercer correctement leur métier, mais qui sait à quel autre excès de zèle pourraient se livrer demain ces partisans toujours prompts à plaire au maître ?

Mais nous n’en sommes pas là. Leur métier, oui, les journalistes le font avec une conviction intacte. Et c’est parce qu’ils se sont engagés à donner à leur lecteur des clés de compréhension de l’actualité, à donner à expliquer la société dans laquelle il vit, que ceux de «l’express dimanche» ont choisi de traiter la délicate question du vrai pouvoir des castes. Délicate parce que «l’express» a toujours, selon le souhait de ses fondateurs, évité de parler de ce qui nous divise. La Sentinelle de nos aînés a toujours cru que sa mission de faire avancer le pays supposait qu’elle véhicule l’image d’une nation unie. C’est toujours le cas. Mais lorsque la société elle-même, les politiques eux-mêmes portent sur l’estrade ces «réalités» qu’hier nous traitions avec discrétion et prudence, lorsqu’elles occupent une place de plus en plus prépondérante dans le discours politique, n’avons-nous pas la responsabilité de chercher à mesurer quelle est leur importance réelle ?

C’est ce journalisme-là que nous continuerons à faire. Notre seul «agenda» est d’informer, en mesurant chaque fois notre responsabilité, pas de faire ou de défaire les gouvernements. Ce n’est pas nous que le Premier ministre doit craindre. Est-ce un membre de la presse, après tout, qui s’est permis l’arrogance de dire : «C’est nous qui choisissons les vainqueurs des élections. C’est nous qui pouvons faire un parti politique gagner une élection partielle ou générale. C’est nous qui changeons toutes les données » ? Jamais. Nous n’avons pas ce pouvoir. Cette phrase, prononcée dans une conférence de presse l’année dernière, est de Somduth Dulthumun.