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Et pour quelques roupies de plus

15 juin 2013, 23:18

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Et pour quelques roupies de plus

C’est un drôle de western qui se joue à chaque revalorisation des salaires des députés et ministres de la République. Le duel de ce film-là est des plus étranges. D’un côté le gouvernement, droit dans ses bottes et prêt à dégainer son colt, argue qu’une augmentation des salaires des membres de l’exécutif et du législatif n’est que logique à la suite du dernier rapport du Pay Research Bureau. Tandis que l’opposition, un peu gênée aux entournures, explique, par la voix de son chef, Alan Ganoo, que la question mérite d’être « étudiée ».

 

Elle mérite en effet de l’être. Mais la question des salaires de nos responsables politiques demande également à être débarrassée des argumentaires populistes consistant, par exemple, à s’offusquer que le travailleur d’usine gagne Rs 11 000 par mois alors que le ministre en gagne treize fois plus. L’homme de la rue n’a pas toujours raison dans ses emportements, il convient parfois de le raisonner et en recentrant le débat. Nous avons cette semaine une belle occasion de le faire.

 

Il faut commencer par préciser que la présentation du National Assembly Allowances (amendment) Bill (NAAB) au Parlement ne constitue pas un hold-up exceptionnel. Il est de coutume de revaloriser le salaire des députés et ministres à chaque publication du rapport du PRB. C’était précédemment le cas en 2008 et en 2003. Cet exercice vise notamment à préserver un certain ordre de préséance. Ainsi, si le salaire des ministres n’était pas augmenté, ils toucheraient alors Rs 1000 de plus que la rémunération actuelle des Senior Chief Executives sur lesquels ils exercent pourtant une autorité politique.

 

Ce ne sont pas les montants en jeu qui doivent susciter le débat. Car y a-t-il vraiment quelque chose de scandaleux à ce que le Premier ministre touche Rs 282 000 en moyenne sur les douze mois de l’année et un ministre Rs 192 000 ? Raisonnons en faisant abstraction des personnes occupant les portefeuilles pour ne nous concentrer que sur les fonctions en question. Un ministre et a fortiori le Premier ministre sont l’équivalent des Chief Executive Officers ou des présidents directeurs généraux de grandes entreprises locales employant chacune des milliers de personnes. Or, dans le privé, ces chefs d’entreprise sont rémunérés à hauteur d’un demi-million de roupies et plus dans de nombreux cas. En théorie : à responsabilité égale, paye égale…

 

Rabattons-nous donc sur d’autres aspects critiquables de la revalorisation salariale. Il y a d’abord le barème de la hausse. Si le NAAB est adopté tel quel, le Premier ministre bénéficiera d’une augmentation de 25%, les ministres de 32% et les députés de 26%. Or, la moyenne des hausses salariales du PRB et du récent rapport Errors and Omissions se situe plutôt autour de 20%. Seuls quelques grands commis de l’Etat ont eu droit à un traitement plus favorable dans le dernier rapport du PRB. A l’instar du chef juge (+32%), des Senior Chief Executives et des Permanent Secretaries (30% et 29% respectivement).

 

Ce qu’il convient de dénoncer, en fait, c’est le manque de compétences au sein du conseil des ministres. Maurice, l’ex-élève modèle africain, n’est plus en mesure de se dresser en donneur de leçon sur le continent. Dans un récent article de Harvard Business Review, intitulé « Why President Kagame runs Rwanda like a business »(1), le chef d’Etat rwandais explique, sous le regard admiratif de Michael Porter, professeur à Harvard et sommité mondiale en « competitive strategy », comment il gère son pays en « incentivizing the people to act in a certain way ». C’est cette approche et le succès économique retentissant de Kagame qui ont fait de lui le chouchou de Bill Gates ou de Tony Blair.

 

Un titre qu’aurait sans doute adoré Navin Ramgoolam. Dont l’une des grandes faiblesses semble justement être son incapacité à « incentivize » ses ministres à « act in a certain way ». Il est donc certain que l’incitation mensuelle de Rs 192 000 n’amènera en rien l’écrasante majorité des ministres en place à faire mieux leur travail. Car le problème est autre. Il ne faut pas se demander s’ils méritent une augmentation. Il faut tout simplement se dire qu’ils ne méritent pas d’être ministres !

(1) http://goo.gl/mraSj