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Escalade verbale

26 août 2012, 11:48

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Le retour de sir Anerood Jugnauth sur le terrain, à la faveur de deux meetings publics chaque semaine, se caractérise moins par un gros succès d’audience que par une escalade verbale continue et une radicalisation de ton contre le Premier ministre personnellement.

Ceci ne sera pas sans conséquences dans le climat politique actuel.

Il faut d’abord le reconnaître : la démarche de SAJ est, quelque part, courageuse. Elle intervient en plein hiver, à un âge avancé et à un moment où peu de Mauriciens croient encore en la viabilité à long terme d’un « remake » de circonstance déjà lourdement ébranlé par la choquante infi délité du MMM au départ même de la relation.

Elle contraste singulièrement avec l’indolence du fils, plus préoccupé par ses longues vacances outre- mer que par l’activité sur le terrain, de même qu’avec la technique du MMM qui dit tout et son contraire et qui ne sait plus très bien s’il arrive ou s’il part.

Ce qui retient pourtant le plus l’attention, ces jours- ci, c’est la spirale d’attaques personnelles que mène l’ancien président contre Navin Ramgoolam, carrément menacé à Petit- Raffray « d’emprisonnement » en cas de retour du MSM au pouvoir, si les circonstances justifi aient demain pareille mesure extrême. Malgré leurs fanfaronnades habituelles, ce n’est pas tous les jours que les chefs politiques mauriciens font peser sur leurs adversaires de telles menaces. Quand on sait comment, en d’autres temps, sir Anerood a traité sir Gaëtan Duval, SSR et Paul Bérenger quand ceux- ci avaient le genou à terre, on aurait quelques raisons d’être nerveux au PTr ! SAJ n’est pas connu généralement pour mâcher ses mots. Il dit ce qu’il pense et il pense ce qu’il dit. Avec lui, le plus souvent on sait où on est. Seuls son opportunisme proverbial et son grand instinct de survie politique lui ont, dans le passé, commandé de se servir du PTr ( 1983- 90), puis inversement de mettre le MSM au service de Navin Ramgoolam ( 2009- 2011) et de se laisser reconduire à la présidence par Ramgoolam en 2008. Pour l’essentiel, toutefois, en 50 ans de politique, SAJ a été d’une extrême férocité envers SSR de 1963 à 1982, puis en 1990 a transféré son antipathie viscérale sur le fi ls à son entrée en politique. Pour faire simple, sir Anerood Jugnauth méprise profondément Navin Ramgoolam et n’a jamais tenu celui- ci comme digne de lui succéder. Ce n’est pas à 82 ans qu’il va changer. SAJ livre son tout dernier combat et peut estimer n’avoir rien à perdre. Il pourrait donc foncer dans le tas, à la manière d’un kamikaze politique.

Sir Anerood a, ces jours- ci, plusieurs choses à établir : qu’il est encore physiquement, mentalement assez fort et a suffi samment d’énergie nerveuse pour tenir la distance ; qu’avec lui, en comparaison de son fils, le pays est devant une autre paire de manches ; que sous sa direction le MSM peut retrouver vigueur et infl uence en régions rurales, divisant dangereusement un vote que le PTr croit acquis ; qu’il conserve un capital certain de respect. Pourtant, SAJ ne souhaite pas seulement faire peur à Navin Ramgoolam ( et, qui sait, ramener le cas échéant celui- ci à la table des négociations), il veut surtout marquer sa différence dans l’opposition même, et ce d’abord par rapport à Paul Bérenger.

Dans la situation diffi cile qui est la sienne depuis sa démission et le démembrement du groupe parlementaire MSM par le PTr, SAJ n’a eu d’autre alternative pratique que d’accuser le coup, faire contre mauvaise fortune bon coeur et – faute de stratégie de rechange - de sembler pardonner à Paul Bérenger ses dernières indélicatesses. L’ex- président est pourtant trop fi• pour ne pas mesurer correctement le déficit de crédibilité considérable qu’a accumulé Bérenger récemment avec ses allersretours infructueux chez Ramgoolam. Il fonce donc dans la brèche, opposant indirectement à l’ambiguïté bérengiste face à Ramgoolam une forme d’opposition musclée, frontale, totale.

La menace de « faire emprisonner » Navin Ramgoolam s’il est demain en situation de le faire ne résulte donc pas d’un coup de sang. Elle n’est pas non plus politiquement innocente. Elle vise à entraîner ( par association) Bérenger et le MMM dans des sables mouvants d’outrances verbales, qui auront pour conséquence de ligoter le MMM dans une hostilité patente envers Ramgoolam ; de détruire les rapports équivoques entretenus depuis 2010 par le MMM avec le Premier ministre ; de compromettre les rapports trop décontractés du MMM avec le PTr et du coup de prévenir toute nouvelle perspective de rapprochement MMM- PTr - tout au moins jusqu’aux municipales.

Ramgoolam ignorant superbement SAJ, il sera intéressant d’observer, dans le forcing actuel pour les municipales, si le MMM suit son allié dans l’outrance ou si on verra, au contraire, émerger au « remake » deux styles différents d’opération. L’opposition a pourtant grand tort d’estimer qu’il lui suffi t d’affirmer que le « remake » est « à nouveau sur les rails » pour que chacun se rallie aussitôt à l’idée. Pour avoir, ces derniers mois, traité les Mauriciens comme des demeurés et insulté ouvertement leur intelligence par du n’importe quoi, l’opposition a toute une image à refaire, toute une crédibilité à recréer. Sa parole est aujourd’hui largement dévaluée. Et il faudra bien davantage que quelques hurlements sur des camions pour changer cela !

SAJ livre son dernier combat. Il pourrait donc foncer dans le tas, à la manière d’un kamikaze politique.