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El Dodorado ? Rareté des vestiges

25 décembre 2013, 14:48

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Outre le fait que cet oiseau figure comme élément fondamental de nos armoiries et constitue de ce fait un véritable emblème de notre pays, le dodo n’est certainement pas un animal comme les autres. Il inspira un nombre incroyable d’artistes à travers le monde, de Roelandt Savery à Ustad Mansoor.

 

Au plan de l’histoire naturelle, il figure en fait et bien malgré lui, comme le point d’origine de notre conscience écologique puisque, pour la première fois, l’être humain eut conscience de la disparition d’une espèce animale et eût même une certaine présomption de sa propre part de responsabilité dans cette extinction. Sait-on également qu’au sein du plus ancien musée du monde, encore visitable aujourd’hui, l’Ashmolean Museum d’Oxford, figurait, dès l’origine, la présence d’un spécimen de dodo au sein des collections? C’est ainsi que cet oiseau devint également symbolique des limites et des dangers encourus par notre patrimoine naturel, symbolique aussi d’une certaine idée de la conservation de ce dernier. Les vestiges d’ossements de dodo ne sont pas légion.

 

Seulement treize musées à travers le monde sont réputés posséder des os de notre célèbre dronte. La plupart proviennent de la Mare-aux- Songes, à la suite de la découverte de l’ingénieur des chemins de fer Harry Higginson qui, en 1865, apporta les os d’un oiseau au maître d’école George Clark alors en poste à Mahébourg. Une première campagne de fouilles s’ensuivit. Par la suite, d’autres vestiges furent à nouveau extraits entre 1891 et 1892 par le naturaliste Théodore Sauzier, qui s’empressa de les envoyer à Cambridge où le squelette de l’oiseau put être, pour la première fois, reconstitué, avant d’être enfin retourné au Musée de Port-Louis.

 

La reconstitution du dodo du Muséum américain, pour ne prendre qu’un exemple, fut en fait pratiquée au sein des ateliers de taxidermie Roland Ward à Londres. En 1870, quelques ossements de dodo furent donnés au Muséum par J. Carson Brervort, qui les reçut lui-même du consulat américain à Maurice. On sait par ailleurs, que d’autres lieux comme Mare- Sèche, dans le nord de l’île, recèlent des restes de cet oiseau. L’un des plus beaux squelettes de dodo est certainement celui qui figure au musée de Port- Louis, trouvé en 1907. Ses éléments, récoltés près de la montagne du Pouce, sont les restes d’un unique individu, tandis que les autres squelettes ont été reconstitués à partir d’un mélange, une recomposition émanant de nombreux individus.

 

Mi-novembre 2013, le journal Daily Mail rapporte dans ses colonnes, que deux os de dodo provenant d’une patte et d’un pelvis, furent mis aux enchères par Summers Place Auctions de Billingohurst dans l’Ouest Sussex. Dans les commentaires du journal, ils sont déclarés tous deux en excellent état de conservation. La mise à prix est fixée à £ 30 000, soit la coquette somme de Rs 1 500 000 !!! Comme il est dit dans l’article, il s’agit de la seconde vente privée d’os de dodo pour l’année 2013. Il est dit qu’aucune vente d’os de dodo n’a eu lieu entre 1934 et 2013…

 

En effet, en mars 2013, un simple petit fragment de fémur a été mis à prix pour £ 8 000 lors d’une vente chez Christie’s à Londres. Il existe des lois à Maurice proscrivant formellement l’exportation d’os de dodos. Prouver qu’un spécimen aurait été excavé et collecté en 1865 puis légalement vendu ou hérité depuis cette époque, paraît tout bonnement peu plausible, voire farfelu… Ce type d’intérêt du grand public pour des reliques d’animaux particulièrement rares, telles que mâchoire de dinosaures, dent de requin megalodon ou oeuf d’Aepyornys maximus, va croissant. On observe même une sorte de mode d’un goût douteux où exposer dans son salon une ammonite d’une demi-tonne revient à exhiber des trophées de chasse d’autrefois telles des défenses d’éléphant d’il y a cinquante ans !

 

Aussi, la question mérite d’être posée : Deux ventes coup sur coup dans les plus prestigieuses salles du Royaume- Uni, alors qu’il n’y en avait eu, aucune depuis 1934… Cela fait réfléchir. À tout le moins, il conviendrait d’enquêter afin de pouvoir connaître la provenance de ces vestiges de dodos. 

 

Comme le déclare naïvement James Hylop, directeur du département Travel, Science and Natural History au sein de la maison de vente aux enchères Christie’s située dans le sud de Kensington à Londres, «il est tellement rare pour quelqu’un de tomber sur une parcelle de si grande valeur»… et le directeur d’ajouter que «le dodo est un oiseau qui, au fil des ans, s’est fait une place dans la culture du patrimoine». À savoir justement, que la dernière vente d’une pièce rare provenant de cet animal désormais mythique remonte à 1934. En effet, les ossements de cette ancienne vente furent recueillis jusqu’en 1930, année où le marais fut alors comblé afin d’éviter les risques de propagation de la malaria.

 

Aux dires des concernés, les fouilles reprises en 2005 et depuis se sont avérées particulièrement fructueuses en os de dodos. Le Mauritius Institute est aussi, et de loin, l’institution à posséder le plus d’os de dodos, environ 3 000 ! 3 000 x £ 15 000 = £ 45 millions… Soit, tenez-vous bien, Rs 2 milliards 250 millions actuelles, voilà désormais l’équation ! C’est aussi simple que cela…

 

Après les fouilles de ces dernières années, certains ossements furent envoyés à l’étranger pour analyses. Quel suivi y a-t-il eu ? Certains ossements étaient aussi demeurés au sein d’un coffre de Mon Trésor and Mon Désert Limited, propriétaire légal du terrain de la Mare-aux- Songes. À qui appartiennent légalement ces vestiges trouvés sous terre ?

 

La loi évoque le fait que des trésors excavés sont la propriété de l’État mauricien. Les os de dodo sont-ils un trésor de l’humanité ? Au sens d’aujourd’hui, cela ne fait aucun doute, mais au sens strict où l’entendait le législateur ?

 

Pas évident… Mais une chose est sûre, au prix des ventes, il vaudrait mieux mettre de l’ordre dans tout cela ! Selon le journal mauricien Week-End en date du 27 novembre 2005, des ossements auraient aussi été envoyés à l’étranger sans que certaines instances locales directement concernées aient été mises au courant. On se rappellera également le scandale de décembre 2005, entourant le lancement de l’ouvrage Maroonage and the Maroon Heritage, à l’université de Maurice, où Prem Mahadeo, à l’époque, nouveau directeur de l’Aapravasi Ghat Trust Fund, s’était publiquement interrogé sur la «disparition» de certaines choses trouvées dans le cadre de ces travaux. Notamment des ossements de dodos, trouvés dans la région de Bel- Ombre. «Où se trouvent ces ossements aujourd’hui ? Quelqu’un peut-il nous le dire ? Nous avons appris qu’ils ne sont plus à l’université, ni aucune part ailleurs.»

 

(…) «Nous avons appris qu’ils auraient disparu. Sont-ils dans un autre pays ? Ou chez certains particuliers ? » lance alors Prem Mahadeo, qui fit certaines allégations à ce sujet. (Week-End 11 décembre 2005). En 1998, j’allais moimême aux Casernes centrales pour déposer plainte contre la disparition de nombreux tableaux de la collection de Rochecouste, dont le fameux Pont-Neuf d’Armand Guillaumin qui, par la suite, fut découvert avoir été mis en vente en 1991 lors d’une vente aux enchères à Divonne-Les-Bains… Un tableau à Rs 35 millions, cela ne passe pourtant pas inaperçu… Malheureusement, aucune enquête ne fut diligentée. Le dossier paraissait on ne peut plus simple…

 

Aujourd’hui, serait-il possible, à travers Interpol ou, mieux encore, une commission rogatoire, d’exiger des deux salles des ventes concernées par ces enchères sur des ossements de dodo, de dévoiler l’origine exacte de ces vestiges et de donner le ou les noms des anciens propriétaires ? Il y va d’une certaine idée de notre souveraineté, sans quoi, demain, nous ne tarderions pas à voir apparaître, si ce n’est déjà le cas, un trafic aussi odieux que juteux, se faisant sur le dos de notre patrimoine mauricien qui, il est vrai, se trouve ici même peu pris en compte, mais qui s’avérerait, à l’étranger, une véritable poule aux oeufs d’or… Pauvre dodo !

 

Un meilleur suivi de ces ossements et de leur état serait le moins qu’on puisse faire, faute de quoi, ne nous étonnons pas qu’en fait de dodos, nous ne devenions purement et simplement que les dindons de la farce !