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Ecouter les pauvres, un devoir sacré

18 octobre 2013, 00:00

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Cette année, j’aurais vraiment eu envie de poser un «local leave» pour boycotter la Journée mondiale de la Misère, jeudi dernier. Étrange pour une journaliste travaillant pour un site internet à vocation sociale ? Non, pas vraiment, à vrai dire…

 

Honnêtement, depuis quatre ans que je vis à Maurice, je suis riche… Riche de mon mari, qui a l’âme riche, riche des valeurs et conseils terre à terre de mes parents, riche de l’affection de mes soeurs, de mes amis pour la vie, riche des rencontres avec des hommes et des femmes engagés dans le social, avec qui je refais le monde et Maurice chaque jour, dans les associations et dans l’univers virtuel… Je suis riche des villages que je traverse à pied en souriant comme une touriste, des plages où je me bronze en lisant des biographies de femmes ou en écoutant le silence de la mer à Gris-Gris…

 

Pourtant, en sillonnant le pays et en discutant avec un large éventail de citoyens dans les abribus, j’ai aussi eu l’amer sentiment de vivre quatre années de misère : l’écart entre les riches et les pauvres qui se creuse, les enfants de Cité La Ferme qui n’ont même pas de savates solides pour aller à l’école, les enfants maltraités et retirés à la garde de leurs parents par la «Child Development Unit» qui, pour la plupart, «grandiront» jusqu’à leur majorité dans des «shelters», sans avoir eu la chance d’être rendus «adoptables» par la justice, ce qui leur aurait donné l’opportunité de grandir dans une famille de cœur ou de relais…

 

J’ai rencontré aussi des femmes sans logis, qui n’ont aucun abri d’urgence dans ce pays, alors qu’un troisième abri va ouvrir pour les hommes… Alors que des femmes se cachent jour et nuit dans la rue, pour que l’État ne leur retire pas la garde de leurs enfants… Au moins, une fois chaque jour, je me suis sentie isolée, incomprise, impuissante, malheureuse et pauvre. Comme quoi la pauvreté ne tient pas qu’à l’argent…

 

 

Maurice est riche de son cadre naturel exceptionnel et pauvre de son management des déchets, riche de sa spiritualité et pauvre du communalisme, riche de sa culture mais pauvre du manque d’infrastructures culturelles, riche de ses écrivains et intellectuels polyglottes, mais surtout riche de ses citoyens simples, parfois pauvres, mais emplis de sagesse. Et Maurice est pauvre de ses palabres inspirés des «telenovelas», qui inondent les écrans et inspirent immoralement chaque génération de Don Juan… «Welcome to paradise island !»… Seulement pour les touristes, j’ai envie de demander ?

 

Reste à trouver une voie pour que le pays devienne réellement une «Île paradisiaque» pourvue d’un développement holistique permettant à chaque citoyen de se développer lui-même intérieurement et intégralement. «Be the change, you want to see in the world», proclamait Gandhi. Et n’oublions jamais que les pays qui ont le Bonheur Intérieur Brut (BIB) le plus élevé par habitant ne sont pas ceux qui ont le Produit Intérieur Brut (PIB) le plus élevé… Et au Bhoutan, le calcul du BIB remplace celui du PIB. Vive le roi* ! Et si la voie du développement mesuré résidait justement dans les voix… Pas les voies du ciel, car elles sont impénétrables… Bien que les politiciens tendent l’oreille aux religieux et ne sont pas convaincus par la laïcité... Mais la voie du développement réside dans les voix des plus démunis. Comme celles qui ont résonné le 17 octobre au Caudan, à l’occasion de la Journée internationale de la misère et celle qui résonneront encore à travers le pays, notamment le 27 octobre au Jardin Telfair, à Souillac.

 

Aux États-Unis, donner la parole aux plus démunis, et le faire de manière digne, fait l’objet d’une spécialité au sein des meilleures facultés de journalisme. Et si «the Voice of the Voiceless» était tout simplement la clé du développement de Maurice ? En pleine consultation prébudgétaire, j’espère que le Grand argentier a pensé à donner la parole aux «plus pauvres d’entre les pauvres», comme disait Joseph Wrésinski.

 

Ce ne serait que pure logique, car ce sont eux qui vont souffler un peu ou souffrir en premier des mesures budgétaires… Cette année, j’ai appris qu’il fallait toujours garder foi en l’être humain, alors j’ai foi en Xavier-Luc Duval, j’ai foi que le ministre invitera aux consultations prébudgétaires les plus pauvres d’entre les pauvres. Écouter les pauvres, un devoir sacré…

 

*Cet indice a été préconisé par le roi du Bhoutan, Jigme Singye Wangchuck, en 1972. Son but est de bâtir une économie qui serve la culture du Bhoutan reposant sur des valeurs spirituelles bouddhistes.

 


 

Joseph Wrésinski (1917-1988)

 

«Là où les hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les Droits de l’Homme sont violés. S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré.» (Père Joseph). Quatre mois avant son décès, survenu le 14 février 1988, le fondateur et secrétaire général du Mouvement international A.T.D. quart-monde a fait graver cette inscription sur le parvis des Libertés et des Droits de l’Homme au Trocadéro. Ce geste résume le message de celui qui a rencontré la misère du XXe siècle et qui l’a comprise dans l’histoire d’autres temps. Dans le même esprit, l’abbé Joseph Wrésinski avait été l’inspirateur et le rapporteur des propositions du texte «Grande Pauvreté et précarité économique et sociale», votées à une très large majorité, en février 1987, par le Conseil économique et social français.