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Déstabilisons

2 octobre 2011, 04:09

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Avec le retour du Premier ministre, l’opinion a osé espérer un coup de gueule. Elle souhaitait voir le PM replacer les institutions malmenées – Public Service Commission (PSC), police et ICAC – sur leur piédestal en donnant la garantie de leur totale indépendance. Elle aspirait à un
peu de fraîcheur dans cette odeur de pourriture...

Une réprobation de l’attitude de la police aurait confirmé que c’est une sotte servilité qui est à l’origine de la charge farfelue contre les deux membres de l’opposition inculpés cette semaine. Une condamnation des méthodes de recrutement de Dhiraj Khamajeet aurait rassuré le milieu des affaires qui s’inquiétait, par la voix de la Chambre de commerce et d’industrie de Maurice, que « les règles ne soient plus les mêmes pour tous ». Une réaffirmation même de sa propre innocence par Ramgoolam dans l’affaire Medpoint aurait, un tant soit peu, justifié l’extrême sévérité de la police contre Soodhun.

Il n’en a rien été. Resté dans une logique politique, Navin Ramgoolam s’est contenté de reprendre de plus bel le petit jeu des connivences avec le MMM. Il a choisi le détachement. Il ne désapprouve pas la police ; il l’approuve donc. Du coup, il conforte notre malaise. Un malaise fait de questionnements.


L’enquête Medpoint est-elle en train d’être travestie ? Les enquêteurs sont-ils dans l’impasse, et manquent-ils de moyens pour faire éclater toute la vérité ? Le choix de la police et de l’ICAC de s’en prendre aux dénonciateurs plutôt que de chercher la vérité sur la réévaluation, est-il un aveu d’échec ? Une directive d’un gouvernement qui panique ? Plusieurs petits signes, dans les incidents de cette semaine, alimentent nos doutes et nous poussent à envisager une proximité compromettante entre le gouvernement et les institutions.


La formulation même de cette charge d’abord. L’accusation de départ contre Joomaye et Soodhun est celle de « diffusion de fausse nouvelle ». Les enquêteurs constatent-ils en route que, la faute ne tenant que s’il y a désordre public, la charge ne tiendrait pas ? Toujours est-il que la formulation à l’arrivée a changé. Et, surprise, elle reprend mot pour mot le reproche fait par Navin Ramgoolam à Paul Bérenger accusé de « fabriquer des informations avec son esprit machiavélique pour déstabiliser le gouvernement ». La charge retenue contre les deux membres de l’opposition est : « conspiracy (…) to fabricate facts and use them to destabilize the government of Mauritius ».


D’un point de vue légal, c’est peut-être normal. On pourrait quand même se poser des questions. Le rôle de la police est d’enquêter, à partir d’une plainte, afin de déterminer où est l’offense en s’appuyant sur celles répertoriées dans le Code criminel. Ainsi formulé par la police, le délit de complot dans l’affaire Joomaye n’est pas très évident ; on ne voit pas la gravité de la faute. Cela ressemble à une charge... « fabriquée ».


Pourtant, l’apparence de l’indépendance de la police dans cette affaire a été en tout point sauvegardée. Le Premier ministre est resté loin du pays durant l’épisode de l’inculpation des deux hommes. Personne ne savait pourquoi il ne rentrait pas, mais c’est un fait qu’il était loin. Il est revenu, l’affaire était faite.


L’autre doute est suscité par la récupération, deux mois plus tard, d’une déposition faite à l’instigation de Nita Deerpalsing par son frère. Il faut sans doute revenir à cette semaine d’août pour comprendre comment une banale stratégie politique devient complot. C’est une semaine politique cruciale. Bérenger a rencontré Pravind Jugnauth, le 11. Le lendemain, c’est Joomaye et Soodhun qui dévoilent à l’ICAC toute l’affaire de l’échange allégué Ramgoolam-Malhotra. Dans un quotidien d’allégeance gouvernementale, c’est la riposte, le 12 : il barre sa une avec le document avalisé par Jugnauth le 23 décembre, sur le paiement des Rs 144  millions, celui-là même qui allait être utilisé pour l’arrêter. C’est dans ce contexte que survient le « projet » du MMM, appelé pompeusement « complot » : Malhotra débarquerait, confirmerait sa « conversation », ce qui provoquerait la chute du gouvernement.


La révélation de Joomaye est-elle arrivée à un moment de fébrilité pour le PTr ? Pourquoi cette réaction exagérée de Nita Deerpalsing ? On sait jusqu’où elle est prête à aller pour son leader mais a-t-elle vu, en l’arrivée du Dr Malhotra, une « menace » pour Ramgoolam au point de courir à la police pour tenter d’empêcher ça ? Pourquoi ? Ce n’était  raisemblablement pas un complot : si les membres de l’opposition voulaient « comploter », est-ce, of all people, à Nita Deerpalsing qu’ils se seraient confiés ? Et si cette menace avait été prise au sérieux par la police, s’il y avait dans ce « unlawful act » une potentialité de faire du tort à Ramgoolam, pourquoi la police n’a rien fait alors ? Pourquoi, ignorée hier par la police, est-elle soudain prise au sérieux aujourd’hui ? Comment Soodhun, à qui la police a refusé la liberté, pouvait être un danger aujourd’hui alors qu’il est en liberté depuis le « complot » ?


Ces incohérences laissent sans voix. Mais le comble, c’est que la nature du délit reproché aux deux membres de l’opposition s’apparente en réalité à la sédition, qui n’a pas sa raison d’être en 2011. L’archaïque délit de sédition est un héritage des colons qui devaient faire taire toute réprobation contre la domination pour pouvoir régner. À une époque où le débat et  l’expression n’ont jamais eu autant de liberté, punir une personne pour ce qu’elle « dit » ne peut être considéré un délit que s’il y a un potentiel réel d’inciter au désordre public et à la violence. Ce n’était clairement pas le cas ici.


Déstabiliser, Bérenger a raison, c’est le propre de l’opposition. Il annonce d’autres opérations déstabilisation, tant mieux. Notre gouvernement – pour être efficace –, notre démocratie – pour vivre –, ont sans cesse besoin d’être déstabilisés, car c’est l’instabilité qui révèle les failles, c’est d’elle que naissent le changement et le progrès.