Publicité

Côte d’Ivoire: La route encore longue

12 avril 2011, 00:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

C’est fait : les armes lourdes ont fini par remplacer les urnes en Côte d’Ivoire. Les forces françaises et internationales ont eu raison de Laurent Gbagbo, qui, du fond de son bunker, s’accrochait au pouvoir depuis novembre dernier, malgré sa défaite électorale (environ 46 % pour Gbagbo et 54% pour son rival Alassane Ouattara, reconnu vainqueur par l’Onu et la CEDEAO qui supervisaient l’élection).

L’arrestation de Gbagbo est-elle pour autant synonyme de paix dans un pays trop souvent à feu et à sang en raison de sa tumultueuse histoire? Si les médias projettent surtout des images de joie dans les quartiers pro-Ouattara, ceux qui sont en Côte d’Ivoire font état d’un pays coupé en deux, avec des gangs armés des deux côtés. Des messages remplis de haine sont lancés aux acteurs internationaux, accusés de s’immiscer dans les affaires internes d’un pays souverain. Les pro-Gbagbo n’hésitent pas à parler de coup d’Etat international !

Le sentiment anti-occident, mais surtout anti-français, cultivé par Gbagbo, expliquerait-il alors l’hésitation de l’Elysée de confirmer si les troupes françaises ont bel et bien remis, après l’avoir arrêté, l’ancien président Gbagbo au camp Ouattara, comme l’affirment le camp Gbagbo? Après leur opération « Licorne », les Français, au lieu de brandir leur trophée-Gbagbo, ont voulu calmer le jeu. Mais pour autant la paix et la stabilité ne seront pas automatiques pour Ouattara, lui qui voulait venir au pouvoir après une transition démocratique qui n’a jamais eu lieu.

Déjà Premier ministre dans le passé, Ouattara est conscient que les cicatrices de l’actuelle crise politique prendront du temps pour se refermer. La population d’environ 22 millions de la Côte d’Ivoire est encore plus divisée aujourd’hui qu’hier. La césure entre un Nord où prévaut la savane, et un Sud forestier n’est pas que géographique, elle est aussi et surtout ethnique et religieuse. Au plan humain, la Côte d’Ivoire compte cinq principaux groupes ethniques : Sénoufo, Malinké, Nandé au Nord totalisant 38 % de la population. Dans le Sud, les Krous et Akans (divisés du royaume Ashanti de par les frontières arbitraires), avec un total de 52 %. Gbagbo appartient à un groupe ethnique qui a une longue tradition de résistance: les Bétés. D’abord en s’opposant à la conquête coloniale, préférant incendier leurs villages plutôt que de se rendre. La Côte d’Ivoire compte d’autre part plus de 4 millions d’étrangers, environ 40 %, dont deux millions de Burkinabés. C’est ce terreau qui alimenté la crise durant ces cinq mois.

Le poids de l’histoire
La France, qui a dominé le pays des éléphants de 1893 à 1960, y a développé une économie de traite fondée sur le café et le cacao. D’où le concept de “Côte d’Ivoire utile”, qui marginalise le Nord au profit du Sud (d’où sont issus les présidents). C’est la seconde fracture, instrumentalisée par la colonisation, comme l’observe le professeur Mouctar Thierno Bah, un spécialiste de l’histoire politique et militaire de l’Afrique de l’Ouest.

Après l’indépendance, et ce pendant 33 ans, Houphouët-Boigny a dirigé la Côte d’Ivoire en évitant, avec prudence, les conflits ethniques. Originaire du Sud, ce Baoulé a associé les différentes composantes de la nation à la gestion du pays. C’est ainsi qu’il devait désigner Ouattara Premier ministre en 1990. La Côte d’Ivoire devient le symbole de prospérité et de stabilité en Afrique de l’Ouest.

Mais Houphouët n’a cependant pas su doter son pays d’institutions suffisamment solides. L’armée, on le sait, est le pilier et le bouclier de toute nation. Mais Houphouët s’en méfiait, surtout après le coup d’Etat qui a renversé son voisin Nkrumah en 1966 au Ghana. Sous son long règne, il a privilégié plutôt la gendarmerie, et demandait…à la France d’agir comme son bouclier sécuritaire.

Dans la course à la succession qui s’ouvre à la mort d’Houphouët, se défient deux protagonistes : Bédié et Ouattara. Pour éliminer son adversaire du Nord, Bédié met en exergue le concept d’Ivoirité. D’abord affirmation de la souveraineté du peuple, face à une immigration jugée préjudiciable, ce concept dérive et cible personnellement Ouattara. La conceptualisation de l’Ivoirité est un concept sans validité scientifique et moralement condamnable. « L’Ivoirité est une honte pour l’Afrique et est en contradiction avec toute cette rhétorique sur l’unification du continent », fait ressortir le Dr. Bah.

Depuis le refus de Gbagbo de quitter le pouvoir, un intense ballet diplomatique a opéré, pour dénouer la crise : recomptage des voix, partage du pouvoir à la Kenyane, partition à la Soudanaise, organisation d’un troisième tour. A l’évidence, aucun de ces schémas n’a de chance de réussir. D’où l’option de l’usage de la force armée. Ultime recours quand toutes les avenues sont volontairement bouchées, et quand les morts politiques se ramassent à la pelle dans la rue.

Pour la paix en Côte d’Ivoire et la stabilité de l’Afrique de l’Ouest, Gbagbo devait se retirer. Il ne l’a pas fait, préférant réveiller les vieux démons. Mais est-ce que ses partisans vont accepter sa chute, qui a été facilitée par les Français ? Est-ce Ouattara, perçu comme étant l’homme de l’Occident, pourra calmer les sirènes nationalistes et ethniques déclenchées par Gbagbo pour se maintenir au pouvoir ?

Une fois cette paix retrouvée, ce qui n’est guère gagné, la feuille de route d’Ouattara devra essentiellement être axée sur le dialogue national, la création d’une armée unifiée et républicaine l’élaboration d’une nouvelle constitution accordant une large autonomie aux régions. La route pour arracher le pouvoir aura été longue et meurtrière, celle pour redonner à la Côte d’Ivoire son éclat d’antan risque d’être encore plus longue et cahoteuse…Non, ce n''''est pas l''épilogue. Regardez la Tunisie et l''Egypte, il ne suffit pas que l''homme-fort s''en aille pour que tout retourne à la normale! Tout est en fait à reconstruire...