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23 septembre 2012, 08:58

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En jetant, au début même de la controverse, son poids politique considérable contre tout nouveau recensement ethnique, contre le maintien dans sa forme actuelle du Best Loser System (BLS) et en faveur de la représentation proportionnelle, le Dr Navin Ramgoolam a franchi lundi le Rubicon et vient peut-être de poser un des gestes les plus marquants de ses douze années de primeministership. Sa posture, déterminée et audacieuse en la circonstance, influence déjà positivement l’atmosphère du débat, la vidant d’une partie de sa charge émotionnelle et faisant avancer les chances d’une bonne réforme électorale, jugée absolument nécessaire.

La position du Premier ministre, exprimée pour une fois sans ambiguïté, est politiquement courageuse, socialement réconfortante, moralement correcte. Elle est assez inhabituelle et assez hors de caractère de la part d’un homme habitué à soupeser longuement toutes ses options, pour être saluée comme un pas en avant décisif pour le pays dans sa recherche d’un système politique plus moderne et représentatif.

Sans doute pourra-t-on arguer qu’au-delà de convictions personnelles profondes sur ces questions, le Premier ministre y trouve aussi politiquement son compte : Navin Ramgoolam ne s’engage pas dans la réforme électorale pour les beaux yeux de Paul Bérenger. Avec celle-ci, telle qu’envisagée, il se partage avec le MMM le contrôle absolu du jeu politique, à l’exclusion possible des Jugnauth et des autres petits partis. Le Premier ministre garantit aussi une forte représentation parlementaire demain au Parti travailliste au cas où le vent tournerait et que, comme en 2000, les rouges soient bottés hors du pouvoir. Il affine, devant la jeunesse du pays, son image d’esprit moderniste et d’homme de progrès. Accessoirement, il met davantage en collision le MMM pro-réforme et son allié MSM plus conservateur sur la question. Enfin, Navin Ramgoolam entend bien que, quelque part, en retour d’une représentation proportionnelle pour laquelle il s’est toujours battu, le MMM lui renverra l’ascenseur quand il remettra sur la table (sans doute bientôt) la question de IIe  République et de présidence plus puissante. De tout cela, bien sûr, personne n’est dupe.

Il reste, pourtant, que la démarche anti-recensement et anti-BLS du Dr Ramgoolam est, pour lui, un important tournant qu’il convient de soigneusement noter. Le Premier ministre n’aime pas particulièrement le risque. Il fait toujours très attention où il met les pieds et n’avance que quand il est sûr de lui. En prenant les positions qui sont aujourd’hui les siennes, Navin Ramgoolam est conscient de prendre à contre-pied et de défier plusieurs courants de pensée prévalant dans diverses parties de son électorat. Historiquement, dès 1965, la vieille garde travailliste a toujours été très réservée sur la représentation proportionnelle, de crainte qu’elle n’inverse les résultats du First Past the Post. Le système électoral actuel arrange, en effet, les courants les plus conservateurs du régime, qui voient dans le mode de scrutin et les délimitations des circonscriptions actuelles l’assurance d’une victoire à répétition du Labour. Ces appréhensions sont manifestes, semaine après semaine, dans l’hebdomadaire de l’intelligentsia travailliste, The Mauritius Times, qui ce vendredi encore évoquait (fort peu subtilement) la perte possible de « levers of power in your hands », s’inquiétait de « permanent shifts of power in the wrong hands » et invitait Navin Ramgoolam « not to invite change that can destroy for good an edifice which rests on a frail but proven balancing of electoral outcomes ».

Par ailleurs, Navin Ramgoolam (suivant en cela l’exemple de son père SSR et de sir Abdool Razack Mohamed) a bâti, depuis dix ans, avec les milieux musulmans un rapprochement politique qui, avec le Dr Rashid Beebeejaun, élargit la base de son pouvoir. En estimant le BLS « dépassé » et en recherchant avec Rama Sithanen d’autres formes d’assurance de représentation adéquate des minorités, le Premier ministre engage son prestige et sa crédibilité auprès d’une partie importante de son électorat. En prenant les positions qui sont les siennes aujourd’hui, Navin Ramgoolam se donne un challenge personnel de pouvoir entraîner et convaincre l’opinion rurale travailliste et l’opinion musulmane qu’il engage le pays sur la bonne voie, que le recensement ethnique est chose du passé et qu’il faut maintenant (malgré les imperfections du système) commencer à passer à autre chose.

On n’a pas eu, au cours de ce troisième mandat assez terne, l’occasion de saluer souvent le statemanship et la détermination de Navin Ramgoolam. Il faut pourtant, en toute honnêteté, reconnaître qu’il y a là de sa part une forme de courage politique suffisamment rare, ces jours-ci à Maurice, pour être notée et encouragée.

La posture nouvelle du Premier ministre ne souligne que mieux l’impérieuse nécessité pour le MMM et son leader de se ressaisir publiquement sur plusieurs questions. Brillant tacticien donnant la pleine mesure de son talent politique considérable en 2011 pendant l’affaire Medpoint, Paul Bérenger s’égare et a beaucoup déçu l’opinion publique depuis quelque temps. Les acrobaties idéologiques des derniers mois et son ambiguïté sur les sensibilités communales n’ont certainement pas constitué l’heure de gloire du MMM. En adoptant ses positions actuelles sur la réforme électorale, le Premier ministre place en quelque sorte le MMM au pied du mur, le rendant ultimement responsable de l’échec d’une cause pour laquelle le MMM a lui-même milité pendant des décennies. Il serait dramatique que ce soit le parti qui s’est construit sur la grande idée du mauricianisme qui consacre lui-même l’échec d’un des grands chantiers susceptibles d’y mener.