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Alteo et la transition énergétique

12 février 2014, 09:17

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Alteo et la transition énergétique

La décision d’Alteo de faire fonctionner la centrale de Beau-Champ au charbon à 100 % soulève bien des questions. Elle met aussi en exergue l’urgence de s’attaquer à la perte de terres sous cannes, qu’elle vienne des sucriers ou des petits planteurs. Un programme pour accroître la disponibilité de la biomasse, en accord avec un plan plus large d’aménagement du territoire, devra comprendre une rétribution équitable pour tous les producteurs de biomasse.

 

Le fond de la question cependant porte sur la volonté et la crédibilité des autorités pour propulser la formulation d’un tel programme et sa mise en oeuvre. Pour ce qui est de la centrale de Beau-Champ, si c’est une question d’obligation contractuelle envers le Central Electricity Board (CEB), autant faire revenir la bagasse d’Union-Flacq et continuer à produire au charbon-bagasse.

 

Depuis décembre 2013, la sucrerie de Beau-Champ n’existe plus. FUEL et Beau-Champ ayant fusionné pour former Alteo. Dans le cadre de cette fusion, les cannes du Factory Area de Beau-Champ seront envoyées à la sucrerie de FUEL pour être broyées. Ce qui n’est pas sans incidence sur la production d’électricité, étant donné qu’à l’avenir il n’y aura plus de bagasse à Beau-Champ pour alimenter la centrale thermique bagasse–charbon. Dès lors, les options qui restent à court terme sont :

1. Beau-Champ opère sa centrale thermique au charbon seulement jusqu’à l’expiration en juillet 2015 de son Power Supply and Purchase Agreement avec le CEB.

2. De son côté, FUEL utilise la bagasse des cannes de Beau-Champ dans sa centrale thermique à Union-Flacq et utilise moins de charbon pour produire la même quantité de GWh.

3. La bagasse des cannes envoyées pour broyage à Union-Flacq retourne à Beau-Champ pour alimenter la centrale thermique. La centrale de Beau-Champ cesse d’opérer complètement dès cette année.

 

Quelle est l’incidence de ces trois scénarios dans l’équation globale/nationale ? En théorie, dans les scénarios un et deux, la quantité de charbon utilisée au niveau national devrait rester la même ; et dans le scénario deux, il n’y a plus de centrale à 100 % charbon à Beau-Champ. Dans le troisième scénario, la quantité de charbon baisse, mais il en résultera un manque dans la fourniture d’électricité équivalent à la production de Beau-Champ et ce dernier entre en rupture de contrat avec le CEB. Le rapport Environmental Impact Assessment (EIA) sur la fermeture de la sucrerie de Beau-Champ indique que l’option trois n’est pas envisagée.

 

Dans son rapport annuel 2013, Alteo indique qu’elle désire utiliser moins de charbon et davantage de biomasse à l’avenir et a fait une présentation dans ce sens à la National Energy Commission (NEC). Elle justifie la nécessité du 100 % charbon à Beau-Champ par son obligation contractuelle avec le CEB de lui fournir de l’électricité jusqu’en juillet 2015 et pour maintenir la stabilité du réseau. Ce qui est tout à fait intelligible si dans la balance, la quantité de charbon utilisée reste la même ou baisse.

 

Or, le rapport EIA d’Alteo indique que pour 2014, la compagnie (Beau-Champ+ FUEL) va consommer 19 744 tonnes de charbon additionnelles et 23 838 tonnes de bagasse en moins (EIA Report, 3-10). Ce rapport mentionne également que jusqu’à décembre dernier, Beau Champ exportait 110 GWh d’électricité sur le réseau et utilisait 36 GWh pour les besoins de sa sucrerie qui ne fonctionnera plus désormais (EIA Report, 3-10). S’il s’agit réellement d’une obligation contractuelle et de la stabilité du réseau, pourquoi alors à Beau-Champ décide-t-il de fournir 50 GWh de plus (160GWh) au CEB en 2014 et de brûler du même coup 39 605 tonnes de charbon de plus ? Comme transition vers moins de charbon, dire que c’est mal démarrer est peu dire. Si c’est une question d’obligation contractuelle, autant faire revenir la bagasse d’Union-Flacq et produire au charbon-bagasse. Le rapport EIA fait état d’une baisse dans la récolte de cannes, ce qui expliquerait (on le présume) la baisse dans la disponibilité de la bagasse. Mais la valeur calorifi que de 23 838 tonnes de bagasse est bien inférieure à celle de 19 744 tonnes de charbon, de sorte qu’il faut normalement moins de charbon pour compenser la perte des quelque 24 000 tonnes de bagasse.

 

Autre question d’importance, quelle serait l’incidence environnementale sur son voisinage d’une centrale à charbon brûlant 109 000 tonnes de charbon au lieu de 69 000 tonnes ? Le rapport EIA fait-il une analyse sur les impacts des émanations gazeuses sur l’environnement,y compris les habitations dans les environs ? Le rapport EIA écrit à ce sujet que “the ambient air quality is within permissible limits during both the crop and intercrop season”. Pour arriver à cette conclusion, le rapport compare les chiffres pour les principaux rejets atmosphériques avant la fermeture de Beau-Champ avec les «standards» en vigueur actuellement, soit ceux du Government Notice 105 qui date de 1998.

 

Le rapport poursuit ainsi: «… It is unfortunate that the same monitoring locations have not been used for the crop and intercrop season in 2008. However with the closure of the Beau-Champ milling operation, the power plant shall now run on coal only all year round (until new renewable raw materials such as the Arundo Donax is possibly used) (EIA Report, 5-12). Plus loin, le rapport EIA mentionne simplement la nécessité que des tests soient effectués régulièrement pour assurer la conformité aux standards (EIA Report 6-10).

 

La perte de terres sous cannes est inquiétante, qu’elle vienne des sucriers ou des petits planteurs. L’utilisation de la bagasse a fait l’objet de nombreuses études (du privé et du privé/public) et les centrales thermiques des IPP sont technologiquement conçues ou se sont adaptées au fil des années pour rouler au charbon-bagasse. Une transition vers davantage de biomasse et moins de charbon jusqu’à son élimination requiert un plan d’action complet et cohérent qui inclurait une étude de faisabilité comparative des différentes sources de biomasse par rapport aux conditions locales et une rétribution équitable pour tous les producteurs. Le rapport NEC recommande un programme de développement pour la biomasse pour mi-2014 ; cette recommandation a-t-elle été retenue par les autorités? Sa mise en oeuvre a-t-elle démarré ? Le budget 2014 indique que le gouvernement a l’intention de venir de l’avant avec un Biomass Development Scheme. Quand celui-ci verra- t-il le jour ?

 

Mais au final, le fond de la question porte sur la volonté et la crédibilité des autorités. Ont-elles vraiment la volonté de stopper la perte de terres sous couverture végétale au profit de béton stérile ? Le projet Maurice Île Durable (MID) ayant déjà perdu sa crédibilité avec CT Power qui va faire augmenter la consommation annuelle de charbon (+400 000 tonnes) pendant au moins 20 ans, quelle crédibilité les autorités ont-elles pour propulser le phasing out du charbon et la réalisation de l’objectif MID de 35 % d’énergie renouvelables en 2025 ? Il en sera de même pour Alteo.

 

Voir aussi en page 12 dans l'express du 12 février 2014