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Commission d’enquête sur Gurib-Fakim : Un rapport qui pose davantage de questions

19 septembre 2022, 10:07

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Commission d’enquête sur Gurib-Fakim : Un rapport qui pose davantage de questions

Pravind Jugnauth n’aime pas, ni ne croit aux commissions d’enquête, comme il l’a fait savoir face à Xavier-Luc Duval après les révélations sur les tortures policières. Ni le scandale de sniffing, pour lequel beaucoup voulaient une commission d’enquête, ne l’en a convaincu. Pourtant, on a vu le PM, vendredi, commenter de long en large celle sur l’ancienne présidente de la République.

La montagne a-t-elle accouché d’une souris ? Paul Bérenger pense qu’il n’y avait nullement besoin d’une commission d’enquête pour déterminer les points inclus dans les Terms of Reference. Les leaders du MMM et du PMSD sont révoltés du fait que l’enquête ne se soit pas portée sur Álvaro Sobrinho mais sur l’ex-présidente. Et que les «gros poissons» n’ont pas été pris, Bérenger citant même Ivan Collendavelloo, parmi d’autres. Pour eux, la question principale était de savoir qui a décidé d’amender la Finance Act de 2017 pour permettre à la Financial Services Commission (FSC) de délivrer une licence de banque d’investissement à l’escroc angolais à la suite du refus du gouverneur de la Banque de Maurice d’alors, Rameswurlall Basant Roi, de l’accorder. On se rappelle aussi que même à la FSC, il y a eu des résistances et des démissions après l’octroi de cette Banking Licence à Sobrinho.

Il y aurait donc bien eu des faveurs accordées à l’Angolais. Cependant, Xavier-Luc Duval rappelle que ce n’est pas Ameenah Gurib-Fakim (AGF) qui a le pouvoir de faire changer les lois. Ceux qui ont ce pouvoir ont-ils reçu des prébendes, si AGF, elle, a reçu une petite carte de crédit pour son lobbying ? On parle de berlines et de villas, à Royal Park et à l’étranger. D’ailleurs, la lettre anonyme signée «Patriote Indigné» – ça ne s’invente pas – présumée issue du PMO, fait état de ces «dons». Lettre qui allait atterrir à l’ICAC mais qui n’a pas connu de suite, la commission d’enquête Caunhye avec des Terms of Reference plus «soft» remplaçant l’enquête de la commission anticorruption.

Cette lettre semble, en fait, n’avoir été qu’une menace adressée aux ennemis intimes du gouvernement, tout comme d’autres lettres d’ailleurs, telle celle visant le commissaire de police. Donc, lorsqu’il a fallu faire une réelle enquête en public par un ex-juge, le cahier des charges s’est rapetissé pour se concentrer sur AGF. Pour rappel, cette dernière avait bien inclus ces points concernant les circonstances de l’octroi de licence à Sobrinho dans les Terms of Reference de sa propre commission d’enquête mort-née.

En revanche, ce qui a semblé le plus important au PM lors de sa conférence de presse de vendredi, c’est qu’AGF a dépensé Rs 2,2 millions en achats personnels (mais aussi pour l’hébergement et la nourriture, ce qu’il n’a pas précisé). Ces shoppings aux frais des étudiants qui ont attendu en vain une bourse sont graves. Cela, même si ce n’est pas l’argent du contribuable, comme se défend AGF, qui a été utilisé car c’est une sorte de «gratification» reçue de Planet Earth Institute (PEI).

Mais gratification contre quoi ? Le rapport de l’ex-chef juge Caunhye épingle AGF en la confrontant notamment à une lettre qu’elle avait adressée au PM d’alors, lettre dans laquelle elle faisait carrément du lobbying pour que Sobrinho obtienne sa licence bancaire et l’autorisation d’acquérir des biens immobiliers à Maurice. Toutefois, la question qui se pose : AGF avait-elle le mens rea ou intention coupable de faire octroyer ces permis contre la carte de crédit obtenue de PEI ? Une cour de justice devra éventuellement le déterminer.

Si elle pensait bien à cette carte et les Rs 2,2 millions en faisant ce lobbying, elle aurait fait alors preuve d’une incroyable naïveté et imprudence en couchant par écrit ses démarches auprès du PM d’alors, et en utilisant sans compter la carte de PEI. La légèreté, ou «l’innocence», diront certains, d’AGF étaient telles que cela avait poussé Pravind Jugnauth à déclarer en public qu’il faut faire attention lorsque l’on utilise une carte de crédit car cela laisse des traces. Il adressait sans doute cette mise en garde à ses amis et collègues du gouvernement… Ce qui est sûr, c’est qu’il ne faut plus compter sur ce gouvernement pour donner des cartes à ses ministres pour leur per diem.

Une commission d’enquête dont on a attendu les conclusions pendant quatre ans et dont on ignore le coût pour confirmer ce que l’express avait déjà publié depuis février 2018 ? En valaitelle la chandelle ? À moins que ce fût pour humilier et punir l’ex-présidente d’avoir non seulement tenté de mettre sur pied une commission d’enquête mais surtout d’avoir inclus des Terms of Reference dont la seule publication aurait dérangé beaucoup ?

Pour sa part, l’ex-chef juge Asraf Caunhye ne peut être blâmé pour la façon dont il a mené l’enquête car il était lié par le cahier de charges qui ciblait AGF. S’il a parlé des dépenses folles de celle-ci en premier, c’est probablement pour respecter la chronologie des événements. Et si l’on ne voit aucune mention des villas de Royal Park dans le rapport, ni des puissantes berlines offertes ici et là ; si aucune enquête n’a été faite sur les circonstances menant à l’octroi de licence bancaire à Sobrinho, c’est parce que le gouvernement les a soigneusement exclus des Terms of Reference.

Et la «pauvre» AGF qui a compté sur l’aide des hommes de loi invités lors d’un dîner et surtout sur Ivan Collendavelloo, qui lui aurait même conseillé de demander à l’express d’authentifier les relevés du compte bancaire, lui un senior counsel ! Et que dire des autres SC et QC !

En tout cas, une telle commission d’enquête par un tel juge qui nous a donné un cours magistral sur le droit constitutionnel – il en était prof – aurait pu être tellement plus utile pour les centaines de millions perdus dans les scandales d’achat de Pack & Blister ou autres Molnupiravir. Quel gâchis !