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Changer d’opinion, changer le monde

4 septembre 2022, 09:35

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Souvent, nous voyons des individus et surtout des politiciens être pris à partie parce qu’ils ont changé d’opinion. Si c’est un politicien, les chances sont que ses adversaires ne le laisseront pas s’échapper et lui feront la leçon, tant que celle-ci permettra de marquer des points. Les médias aussi sont souvent sur ces remparts, citant le verbatim ou affichant les extraits de vidéos qui prouvent la contradiction.

Cependant, changer d’opinion n’est pas un mal en soi. Surtout si l’on va ancrer son évolution sur des faits nouveaux ou un environnement neuf ou même des arguments différents qui ont fraîchement émergé. Le vrai problème, ce n’est pas une opinion qui évolue, mais une opinion qui fait sa mutation aussi souvent que son audience change !

Prenez le cas du Dr Oz, qui est à la recherche d’un mandat de sénateur dans l’État de Pennsylvanie ces jours-ci. C’est un vrai médecin, un chirurgien d’origine turque, mais exactement comme celui qui le soutient dans sa tentative sénatoriale du moment, c.-à-d. l’ancien président Trump, il a surtout été rendu électoralement fiable à cause de sa grande réussite médiatique, qui l’a d’ailleurs rendu riche. Cependant, le grand réseau d’admirateurs de cette ‘star’, selon un article cinglant publié par la revue réputée qu’est Scientific American (*), a souvent été ébloui par des recommandations pseudoscientifiques, des thérapies non prouvées, des remèdes fallacieux qui incluaient, comme avec Trump d’ailleurs, le fameux hydroxychloroquine comme remède contre le Covid, par exemple. L’auteur de cet article, M. Caulfield, s’insurge en fait contre le phénomène de célébrités (ou d’influenceurs…) qui, sans méthode et sans preuves, font de la promotion d’idées farfelues sur la seule base de leur popularité et souvent, à leur profit. Dans cette dernière catégorie, pensez à David Beckham faisant, ces jours-ci la pub ‘bon père de famille’ du Qatar. M. Caulfield n’hésite pas à pointer du doigt Oprah Winfrey ainsi que le footballeur américain Aaron Rodgers. Mais là n’est pas la question centrale du jour…

Le Dr Oz, qui est en campagne et qui dans le passé, notamment lors des primaires républicaines en mai, était farouchement anti-avortement, insistant qu’un tel acte est un meurtre à n’importe quel stade de la grossesse, a réaménagé un peu son discours récemment dans sa confrontation avec son adversaire démocrate. En effet, pour tenter d’amadouer un électorat surtout féminin, galvanisé par le rejet de Roe v. Wade par une Cour suprême très ‘trumpiste’ ; le Dr Oz accepte maintenant les exceptions de l’inceste, du viol et du risque à l’état de santé de la mère ! À noter qu’il était en 2019, pro Roe v. Wade ! Nous avons là affaire à un caméléon dangereux qui change de couleur et de conviction au gré de ses besoins immédiats.

Le cas local récent du métro n’est pas aussi tranché. Le PM actuel, qui était contre le métro pour les élections de 2014, s’est largement reconverti à cette aventure en arguant que cela allait coûter bien moins cher, d’une part à cause d’un ‘don’ de l’Inde de 10 milliards de roupies, même si au prix du délestage de certains de nos gros avantages sous le Double Taxation Agreement et d’autre part parce que le métro allait moins survoler nos routes, comme à Quatre-Bornes, ce qui allait aider à contenir les coûts. Même si peut-être pas à contenir les protestations des automobilistes y transitant…

Les points principaux de la lettre du 28 octobre 2014 du leader de l’opposition d’alors, M. Pravind Kumar Jugnauth, au Premier ministre indien, demandant à ce dernier de reconsidérer, au nom de la bonne gouvernance et de la démocratie, le contrat AFCONS qui allait être signé, tournaient autour du COÛT du projet (Rs 24 milliards) et, indirectement, des risques de corruption, puisque, le Parlement ayant été dissous, le financement du projet allait se faire «in total opacity».

Le coût du projet entamé avec, maintenant l’extension vers Réduit, puis vers Côte-d’Or ne semble plus du tout être un souci. L’opacité totale non plus. La «bonne gouvernance et la démocratie», vous pensez ? Un autre simple cas de ‘fais ce que je te dis, mais ne fais pas ce que je fais’ ?

D’autres lettres au Premier ministre Modi ont d’ailleurs suivi (**)…

En tout cas, changer d’opinion est, je le répète, parfois nécessaire et souvent salutaire. Pensez seulement à ce que serait le monde si personne n’avait, souvent à grand risque personnel d’ailleurs – surtout au début, décidé de changer d’opinion sur la pratique de l’esclavage, sur les suffragettes et le droit de vote des femmes, sur la sati des veuves comme pratiquée jusqu’à au moins la loi fédérale de 1987 (***), sur le respect des droits des LGBT, sur la pratique de la colonisation ou sur les relations internationales apparemment irréconciliables…

Sur ce dernier exemple, Mikhaïl Gorbachev est un de ces rares personnages qui ont véritablement marqué l’histoire. Et contrairement à Stalin ou à Poutine, qui marquera, lui, certainement l’histoire par son invasion de l’Ukraine, ce sera pour de bonnes raisons.

À sa mort cette semaine, le président Poutine reconnaissait d’ailleurs que Gorbachev avait eu un impact important sur le cours de l’histoire et tout en reconnaissant son désir sincère d’en finir avec la guerre froide, il lui reprochait d’avoir cru possible une «romance éternelle» avec le monde et l’Ouest en particulier.

Ce qui est certain, c’est que Gorbachev a été une minitornade d’air frais à son élection à la tête de l’empire russe en 1985. D’abord, il avait 54 ans et prenait le relais d’une série de vieux leaders fatigués. Son prédécesseur, Chernenko mourait en poste à 73 ans. Avant lui, Yuri Andropov mourait aussi en fonction à 70 ans et Brezhnev, juste avant, mourait, un peu sénile, avec le double pouvoir de l’État et du parti, à 75 ans. Kosygin, Gromyko, vous vous en souvenez ?

Ensuite, si à son élection, il n’entrevoyait sûrement pas la fin de l’empire soviétique et une Europe de l’Est libérée de son emprise, il souhaitait sincèrement de profondes réformes pour revitaliser la société grise, morne et surveillée de son empire. La perestroïka introduisait certaines libertés de l’économie libérale et la glasnost regroupait sa politique d’ouverture et de démocratisation. Lors de ses années lumineuses par leur contraste, il refusa d’envoyer les troupes russes pour mater les soulèvements populaires en Europe de l’Est contre les régimes communistes en Pologne, en Hongrie, en Allemagne de l’Est, en Roumanie, en Tchécoslovaquie et en Bulgarie ; négocia une substantielle réduction des armes nucléaires avec les Américains et mit un terme à l’invasion russe de l’Afghanistan qui avait débuté en 1979 et qui s’enlisait, comme ce sera le cas pour les Américains 33 ans plus tard. Sa politique d’ouverture, qui incluait une presse beaucoup plus libre, engendrait cependant des courants nationalistes de plus en plus forts dans la fédération soviétique qui se cristalliseront finalement en 1991 avec la dissolution de l’Union soviétique, après un putsch raté des réactionnaires et à sa propre démission.

Prix Nobel de la paix en 1990, il ne mourait pas, comme ses prédécesseurs, un peu gaga, à sa table de travail. Sa seule tentative de retourner en politique fut aux présidentielles de 1996, mais résulta cependant en un désastre puisqu’il récoltait seulement 0,5 % des votes. Cette élection se tenait pendant les huit années de présidence de Boris Yeltsin (1991-99), dont le dernier Premier ministre fut un certain… Vladimir Poutine. Qui lui succéda.

Gorbachev a démontré que l’on pouvait changer un monde apparemment figé, y compris dans un état de guerre très froide. Poutine illustre malheureusement un monde qui peut se rebiffer pour tenter de retrouver son passé, même au prix d’oublier son avenir.

(*) https://www.scientificamerican.com/article/dr-ozshouldnt-be-a-senator-or-a-doctor/

(**) https://www.lexpress.mu/article/389251/letter-indianprime-minister-light-rail-project

(***)https://www.lemonde.fr/archives/article/1987/12/30/ inde-l-ancienne-pratique-de-sati-de-lourdes-peines-sont-prevuescontre-ceux-qui-encouragent-le-sacrifice-des-veuves_4074