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Sipa Pravind, Navin : fatalisme incontournable ?

27 août 2022, 09:20

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De l’avis de presque tous les observateurs de la société mauricienne, le seul adversaire que redouterait le Premier ministre, Pravind Kumar Jugnauth (PKJ), serait Navin Ramgoolam. Ni le MMM, ni le PMSD encore moins un groupuscule quelconque, ne serait en mesure de battre PKJ.

Ce fatalisme électoral et politique, c’est-à-dire que le choix est limité à ces deux dirigeants suscite évidemment des réactions hostiles car l’avenir du pays semble être confié à ce qui semble être une tribu et cela en excluant tous les autres.

Dans un contexte moderne où un grand nombre de Mauriciens ont eu accès à des études secondaires et universitaires et où la transparence et la méritocratie dans la gestion des administrations publiques deviennent des critères généralement recherchés, le fait que le poste de Premier ministre soit limité aux seuls Vaishs ne serait nullement acceptable par de nombreux citoyens dont un grand nombre de jeunes.

Ce vif débat lié à la transparence et à la méritocratie est particulièrement focalisé sur la classe politique et sur la façon dont les institutions publiques sont gérées. Les mêmes critères ne sont pas exigés par rapport au secteur privé. Car pour les institutions publiques, c’est l’argent du contribuable qui finance tout alors que pour les entreprises privées, il s’agit de fonds… privés.

Le fait qu’on soit arrivé à une situation où le choix se fait ‘entre Pravind et Navin’ ne pourrait être attribué au seul fait que ces deux leaders aient été des fils privilégiés ou qu’il existerait dans le pays des traditions monarchiques. Cette situation nous a été léguée par notre héritage colonial et constitutionnel. Notre histoire politique est aussi fortement marquée dans sa dimension sociologique par le processus du peuplement de Maurice.

Avant l’introduction du suffrage universel en 1959, une élite était en mesure de contrôler le pouvoir tant politique qu’économique en s’imposant à la majorité. Depuis 1959, on assiste à un changement radical de paradigme avec l’élection d’un grand nombre de députés d’origine indienne. A partir de 1967, avec le regroupement des 40 circonscriptions en 20 unités, cette tendance allait s’affirmer d’élections générales en élections générales. L’élite traditionnelle allait quand même tenter en 1967 de provoquer de profondes divisions chez des Mauriciens d’ascendance indienne et dans la communauté hindoue même.

Le peuplement indien de Maurice avait commencé à l’ère coloniale française avec l’introduction de marins connus comme ‘lascars’ de la côte de Malabar et d’artisans originaires de la région de Madras aujourd’hui connue comme Tamil Nadu. Mais c’est sous administration coloniale britannique que s’opéra la plus grande immigration. Les colonisateurs britanniques, contrôlant déjà l’Inde, se chargèrent d’aider les grands planteurs et usiniers d’origine française à se procurer de la main-d’œuvre indienne pour remplacer les travailleurs africains et malgaches après l’abolition de l’esclavage.

Evidemment, les colonisateurs britanniques et les planteurs-usiniers cherchaient à employer de rudes travailleurs pouvant être déployés dans les champs de canne. Ils n’avaient aucun intérêt à recruter des artistes, des poètes, des musiciens ou des adeptes des danses classiques indiennes. Ce qui explique la forte prépondérance dans la communauté d’immigrés des gens dont les ancêtres, de par l’attribution de leur caste, avaient pratiqué l’agriculture pendant des millénaires. C’est en raison de ce facteur que dans l’île Maurice moderne, des gens issus de ce milieu jouissent d’un poids électoral prépondérant.

Notre système électoral basé sur le principe de first-past-the-post (FPTP) et la délimitation des circonscriptions avec une forte dose de gerrymandering* constituent les deux facteurs déterminants qui expliquent les résultats que nous enregistrons après chaque scrutin. Il faudrait reconnaître le fait que les Britanniques avant d’accorder l’Indépendance à Maurice avaient manœuvré pour permettre à une composante de la population à asseoir son autorité politique.

Bien qu’en maintenant le FPTP à Maurice, les Britanniques avaient pourtant imposé la représentation proportionnelle (RP) dans leur colonie de la Guyane. Avec pour objectif de créer de profondes divisions dans la communauté indienne de la Guyane et empêcher Cheddi Jagan de contrôler ce pays. Autant les Britanniques favorisaient sir Seewoosagur Ramgoolam à Maurice, autant ils s’acharnaient contre Cheddi Jagan en Guyane. Car Jagan ne cachait pas son grand amour pour le communisme et l’Union soviétique.

Il est fort probable que si Londres avait introduit la RP à Maurice avant les élections de 1967, le PMSD se serait retrouvé en position de prendre le pouvoir par le biais des opérations de divisions et de sous-divisions menées dans l’électorat pro-travailliste tant rural qu’urbain. Le PMSD avait d’ailleurs lancé le mouvement ‘les Tamouls ne sont pas des Hindous’ mais aussi une campagne de revendication Ravived Rajput animée par Narainduth Sookhoo, Ashok Kandhye et Ritttoodoise Daby. Ces voix dissidentes se seraient amplifiées si on votait d’après le système de la RP à Maurice car chaque vote compte alors que dans le mécanisme de FPTP, les votes des battus sont comptabilisés seulement pour designer des best losers mais sans mettre en péril la majorité acquise.

Pour que Maurice échappe au fatalisme ‘Sipa Pravind, Navin’, il faudrait que quelqu’un remporte une majorité de trois quarts des sièges au Parlement, modifie la Constitution et introduise la RP. C’est à cette condition qu’une toute nouvelle société mauricienne serait créée.

*Il s’agit d’un mécanisme de découpage des circonscriptions de façon à favoriser un parti, une communauté, un groupe. Par exemple, en 1987, on a eu recours à du gerrymandering de la circonscription de Belle-Rose-Quatre-Bornes pour s’assurer que Paul Bérenger y soit lourdement battu. C’est un gouverneur d’un Etat américain, Elbridge Gerry, qui avait inventé le système en 1811. Une circonscription avait été tellement manipulée par Gerry qu’elle avait pris la forme d’une salamandre, salamander en anglais. D’où le terme Gerrymander.