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Fatalité ou félicité

10 juillet 2022, 12:18

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«Il y en a qui veulent créer des émeutes, brûler des matelas et du caoutchouc. Je vais prendre toutes les dispositions pour que personne ne vienne allumer le feu ni ne tente de déstabiliser mon gouvernement», a déclaré Pravind Jugnauth, vendredi, au Victoria Urban Terminal. Voilà une déclaration qui traduit un certain état d’esprit. 

Le Premier ministre n’a eu d’autre choix que de durcir le ton parce qu’il sait que la semaine écoulée a été particulièrement agitée dans le sillage des terribles allégations de «sniffing» (mot à la mode qui pourrait supplanter «Maharajah» ou «Lady Macbeth») de notre réseau Internet. Il a dû changer de version par rapport à ses échanges avec l’ancien CEO de Mauritius Telecom. Il a aussi eu, face à la condamnation sans réserve, à dire sa frustration par rapport au speaker qui ne lui a pas donné l’occasion de répondre au leader de l’opposition (Phokeer croyait bien faire). Il doit aussi composer avec le retour en force de Navin Ramgoolam, qui s’érige en défenseur des données digitales des Mauriciens et qui se donne comme mission de réunir toute l’opposition derrière lui. 

Si, en 2019, le MSM pouvait concentrer tous ses tirs contre le leader du Parti travailliste, les choses ont bien changé en bientôt trois ans. Les adversaires du régime, de Gérard Sanspeur à Sherry Singh, sont bien plus nombreux. De plus, ils ont vécu à l’intérieur du monstre et connaissent les points faibles de la dynastie Jugnauth, comme hier Rakesh Gooljaury se vantait de tout savoir ou presque sur Navin Ramgoolam ; cela lui a du reste permis de toujours trouver son fromage. 

Autre complication pour notre Premier ministre, devenu maître du film «Atann ou pou gété» : les révélations de Sherry Singh, qui ont pris France Telecom de court, résonnent avec les logiciels espions qui provoquent des tempêtes politiques, en Inde comme au Canada, depuis ces deux dernières années. À l’ère de la grande amitié entre Sherry Singh et les Jugnauth, ces logiciels étaient vendus aux gouvernements en Afrique comme une arme de surveillance incontournable. Selon le script de ceux qui faisaient le marketing pour Pegasus ou Candiru, ces logiciels espions permettent de surveiller tout ce qui se passe sur le portable ou dans l’ordinateur des cibles, souvent des opposants, journalistes, syndicalistes. Ils permettent d’écouter et d’enregistrer les conversations, de lire et de sauvegarder des courriels, d’activer à distance les caméras et les micros des portables… Imaginez si Pravind Jugnauth savait ce que faisait Sherry Singh depuis, disons, 2020 quand il en a eu marre de Lakwizinn 2.0. Il l’aurait sûrement coupé bien avant qu’il n’infiltre davantage le système. Maintenant, imaginez si Sherry Singh a eu le temps d’épier tout le Conseil des ministres et les conseillers du couple Jugnauth. Qu’il a tout organisé en différents fichiers. Chaque semaine, un nouvel épisode… avec le slogan de Pravind Jugnauth détourné : Gété ou pou trouvé. 

Les menaces, cette semaine, ont fusé de partout. Attention aux secrets d’État, à l’Official Secrets Act, à la Data Protection Act, à la sécurité intérieure ou à la diffamation criminelle… cela peut aller chercher dans les 15 ans de prison, m’a-t-on rappelé. Cependant, quand l’intérêt public prime, les autres lois passent au second plan. C’est souvent le cas quand nous avons révélé les affaires Yerrigadoogate, Platinumcard/Sobrinhogate, Soodhun/NHDC, voire les Mauritius Leaks (qui nous ont permis de prendre conscience de nos lacunes afin de sortir durablement des listes grise ou noire)… 

Cette semaine, nous attendons Sherry Singh de pied ferme. L’homme a raté un premier rendez-vous. L’homme en soi ne nous intéresse pas, parce qu’on l’a suffisamment vu à l’oeuvre depuis 2015, comme partie prenante de la stratégie gouvernementale, anti-démocratique, visant à nous priver des revenus publicitaires, dans une vile tentative de nous réduire au silence. Aujourd’hui, dans le sillage de la seconde salve de ses révélations, et alors que l’État se retourne contre lui, peut-être réaliset- il, enfin, l’importance d’un contrepouvoir solide et durable. Ce qui nous intéresse, ce n’est pas de savoir de qui Sherry Singh serait proche ou pas, ce qui nous intéresse, comme journalistes, ce sont les documents qu’il dit avoir pour soutenir ses graves allégations contre le Premier ministre. Encore plus important que la personne du Premier ministre, nous voulons savoir si, oui ou non, le trafic sur Internet est sécurisé ou pas…

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Parmi ceux qui veulent remplacer Boris Johnson (ou BoJo), figure l’ancien ministre des Finances Rishi Sunak, dont la démission mardi soir a déclenché une cascade d’autres. Même s’il est donné favori – un quart des membres du Parti conservateur lui sont favorables, il y a beaucoup de scepticisme sur le fait que Sunak, 42 ans, pourrait remplacer Johnson. Pas forcément en raison d’un manque de compétences, mais en raison de ses… origines. Si les États-Unis ont brisé un tabou en élisant, en 2008, Barack Obama au poste le plus important du pays (exploit qui ne risque pas d’être réédité de sitôt), la Grande-Bretagne ne semble pas prête pour un changement aussi radical, même si le programme de Sunak – qui est de rétablir la confiance, reconstruire l’économie et réunir le pays – fait l’unanimité. 

Bientôt on verra bien si, en 2022, le faciès demeure une fatalité ou une félicité ?