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La leçon de BoJo

10 juillet 2022, 09:10

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La leçon de BoJo

Quand, dans le parler courant, un politicien devient plus connu par son pseudonyme que par son nom propre, c’est généralement mauvais signe. Pas toujours, il est vrai, si on se réfère à «Chacha», par exemple, un pseudonyme porteur d’affection et de respect, même si pas mérité en toutes circonstances. Mais quand tout le monde sait de qui l’on parle quand l’on prononce les mots Harry Bodo, Tricky Dick, Ti Crétin, Slick Willie ou BoJo, on sait que le porteur dudit diminutif n’est plus ni particulièrement estimé, ni singulièrement estimable… Tout est assurément dans la fréquence d’utilisation relative, en fin de compte. Par exemple, les adversaires peuvent occasionnellement se référer à Requin, mais le prénom demeure solidement utilisé, ainsi que le nom de famille, même en mode négatif. L’éparpillement dans les tentatives de pseudos, puisque l’un ou l’autre n’accroche pas en finalité, est souvent déterminant. Macarena, Toussali ou Cotomili ne faisant pas souche, le prénom, en effet, surnage. 

BoJo est désormais en partance. L’étonnant, c’est qu’il ne soit même jamais arrivé ! 

On a souvent dit de ce produit de suffisance d’Eton et de Balliol qu’il tentait de se battre pour se défaire d’une image de clown. Mais est-ce cela la vérité ou est-ce qu’il cultivait délibérément cette image frivole qui lui permettait dès lors de se dédouaner de ses (ir)responsabilités dans le sillage de ses bêtises diverses ? En sus de taper dans l’oeil du public. Ainsi la vérité elle-même ne l’a jamais particulièrement arrêté. Que ce soit pour la fabrication d’une citation «verbatim» quand il était journaliste au Times, incident pour lequel il fut d’ailleurs congédié ; un article cinglant et insensible sur la ville de Liverpool quand il était rédacteur en chef du Spectator, pour lequel il dut s’excuser platement ; ou ses outrances et ses mensonges vendeurs sur le Brexit – notamment sur les 350 millions de sterlings qu’il disait pouvoir rendre à nouveau disponibles au NHS, chaque semaine ; BoJo a souvent menti entre deux respirations, un peu comme Trump de l’autre côté de l’Atlantique qui, lui-même, allait pousser l’outrecuidance à décrire le mensonge comme une «vérité alternative». 

Dans un article exubérant et particulièrement bien cerné dans le Guardian, l’an dernier (*) BoJo est dépecé avec sérieux et férocité. Il y est présenté comme l’ange gardien de la parodie et de la frivolité, l’homme spectacle qui ne prend rien au sérieux ; le nez rouge ayant été remplacé par une chevelure en bataille rappelant la serpillière, des vêtements moins qu’impeccables, de l’embonpoint, des propos à l’emporte-pièce, 3 mariages et des maîtresses. Les conventions sur ce qui est permis en politique, sur la vérité, la coiffure, le sexe ou la parole elle-même sont présentées par lui comme ridicules et donc passibles d’être chahutées. L’accord signé avec l’Union européenne sur la mer d’Irlande le gène ? On y passera donc outre, comme chez nous d’ailleurs, pour le contrat avec Betamax. BoJo a été décrit comme également à l’aise avec la vérité et le mensonge, qu’il estime être les deux faces de tous les arguments, tous deux à la fois fastidieux ou dignes d’intérêt, tous deux relevant de l’absurde et de toute manière moins dignes d’intérêt que le théâtral, la distraction, la manipulation, même le maladroit quand correctement mis en scène… Pas pour lui, non plus, les détails et l’étude minutieuse des dossiers. On a dit de lui qu’il était capable, indifféremment d’arguer pour ou contre le charbon ou le Bovril. Comme maire de Londres, il a été jugé paresseux et dissipé. Bien sûr que le politiquement correct peut scléroser et que pour avancer il faut parfois s’attaquer au sacré, dénoncer l’absurde et rompre avec l’ordinaire, mais il y a toujours la manière et le dosage, ça compte dans tous les cas. Dans ses propres rangs, la frustration s’accumulait avec chaque incident, chaque scandale, chaque mensonge, minant son autorité et la confiance que l’on avait en lui, après le Brexit et son dernier triomphe électoral en 2019… 

La vitesse avec laquelle la première défection du ministre des Finances, Rishi Sunak, a été suivie dans son Cabinet et parmi ses divers nominés politiques, quelques semaines seulement après avoir survécu, plutôt juste, à un vote de confiance des parlementaires conservateurs, ne lui laissait plus beaucoup de marge de manoeuvre. Le nouveau ministre des Finances qu’il nommait pour remplacer Sunak, M. Zahawi, l’invitait d’ailleurs à démissionner 48 heures seulement après avoir été lui-même nommé ! Le tour de piste est donc maintenant terminé. Les costumes seront bientôt rangés. 

Les parallèles avec notre pays existent, même si le côté «clown» n’y est pas. Ici, on ne rit pas ! Pas du tout ! Mais notre PM a lui aussi présidé à une longue liste de scandales les uns plus sulfureux que les autres avec un certain degré de désinvolture. Quelques exemples parmi d’autres. C’est l’homme qui a présidé, sans aucun procès-verbal, un high powered committee sur les achats urgents (et très coûteux !) apparemment exigés par la pandémie. Acceptable ? La même personne après une enquête personnelle, avait assuré le public que son ministre Sawmynaden était innocent et qu’il lui faisait «full konfians». Ledit ministre dut démissionner. Ce même homme a promis la transparence dans l’imbroglio d’Angus Road, mais rien depuis, face aux incohérences qui demeurent. Cette semaine, il acceptait, après plusieurs jours, avoir téléphoné au CEO démissionnaire de MT – ce qui est fondamentalement contre les règles de bonne gouvernance de toute manière – pour un «survey» plutôt tardif du câble SAFE sur fond de «sécurité de l’État». Nous expliquera-t-on les risques sécuritaires qui existent dans la situation actuelle du pays, en 2022 ? Ou est-ce, commodément… secret d’État ? 

Par contre, chez nous, point de comité style 1922, point de ligne rouge ou de «trop c’est trop», pas assez de Rishi Sunak ou de Caroline Nokes, ou de Nadhim Zahawi ou de Stephen Hammond. Pas assez de Bhadain et de Bodha. Chez nous, mon bon Monsieur, on conteste rarement le chef, le leader ne commet jamais d’erreur, est par contre responsable de toutes les bonnes idées ou a défaut, inspire les bonnes idées des autres et puisqu’il contrôle effectivement les caisses du parti, il reste pour cela omnipotent et inamovible. Chez nous, les erreurs sont «humaines», même quand elles s’accumulent (**), la démocratie n’a que faire d’institutions indépendantes et de liberté d’opinion mais nous serons une démocratie tant que le chef le dira. Chez nous, on n’a aucune honte à se cacher derrière le bouclier tout-terrain d’un speaker partial, même si cela finit par sérieusement desservir le mythe de la démocratie parlementaire (***). Chez nous, cher Monsieur, on nomme ses mignons là où c’est possible et là où c’est utile, peu importe l’équité envers «les autres», la méritocratie, les vertus de la séparation des pouvoirs et les discours mielleux sur l’unité nationale et la sagesse d’être «Ensam». 

Parce que, cher Monsieur, parmi nous, c’est nousmêmes et que c’est bien mieux ainsi…

(*) https://www.theguardian.com/news/2021/mar/18/all-hail-the-clown-king-how-boris-johnson-made-it-by-playing-the-fool

(**) “Errare humanum est, sed perseverare diabolicum !”

(***) Au point où l’on pourrait dire, des rangs de l’opposition et comme George Floyd : «I can’t breathe !» en prélude à son dernier soupir.